SUIVEZ-NOUS

Affaires

Les boulangeries subissent la rude concurrence des fours traditionnels

Plus de 6 000 fours traditionnels existent et fournissent plus de 40% du pain consommé dans le pays. Ils réalisent des marges allant de 70 à  100%, grà¢ce à  l’achat de la farine nationale du blé tendre sur le marché parallèle. Le bon niveau de rentabilité a encouragé de nouveaux opérateurs informels à  investir dans cette activité.

Publié le


Mis à jour le

Les boulangeries subissent fours traditionnels 2015 02 26

Ils sont dans tous les quartiers, à côté des supermarchés, des bouchers et même des boulangeries. Ils ? Ce sont les marchands ambulants de pain qui prolifèrent dans la plupart des villes. Dans des voitures où des charrettes, ils exposent toute sorte de pain et des pâtisseries variées. Grâce à leur prix très compétitif, ils ne cessent de gagner du terrain. Bien qu’il n’y ait pas de statistiques officielles, El Houssine Azzaz, président de la Fédération nationale de la boulangerie et pâtisserie, confirme que ces opérateurs informels contrôlent plus de 40% du marché.

La montée en puissance de ce secteur informel date à peine de quelques années. Et pour cause, les prix pratiqués par les boulangeries et pâtisseries ne cessent d’augmenter. Hormis le pain à base de farine dont le prix est fixé à 1,20 DH, toutes les autres variétés de produits ont connu des augmentations. Il s’agit notamment des pains à base de semoule, maïs, blé dure et orge. «Or, actuellement, ce sont les produits les plus demandés par les consommateurs», confirme un propriétaire de boulangerie. Les changements de tendances de consommation et l’augmentation de prix sont les deux principaux facteurs qui ont contribué au développement de ce secteur informel. «Il faut dire que ce mouvement a été initié par les fours traditionnels qui, depuis que le nombre des ménages qui confectionnent le pain à la maison a chuté, ont commencé à s’adonner à cette activité pour assurer la continuité du travail», explique El Houssine Azzaz.

L’activité profite aussi aux marchands ambulants

Aujourd’hui, ils sont plus de 6 000 fours traditionnels qui opèrent sur tout le territoire national. «L’activité démarre très tôt, vers 4h du matin», explique Lmaati, ouvrier dans un four du côté de la rue Ibrahim Nakhai, au Maârif extension. Ce four traditionnel qui s’est transformé depuis le début des années 2000 en une unité de production de pain emploie une dizaine de personnes (hommes et femmes). Ces ouvriers sont répartis sur plusieurs activités: la préparation de la pâte, la cuisson, l’emballage et la livraison. Ce petit four traditionnel «produit quotidiennement plus de 3 000 unités de pain rond de grande taille». A cela s’ajoutent quelque 4000 unités de pain de petite taille ainsi que les viennoiseries, le «msemen» et le «baghrir». En tout, ce sont plus d’une cinquantaine de commerçants qui viennent s’approvisionner tous les matins chez ce «ferrane».

Parmi ces revendeurs, un jeune homme de 26 ans prénommé Said. Ce natif de la région de Fès vend le pain depuis 2004. «En cette année, je suis venu à Casablanca pour passer les vacances scolaires chez mon frère qui, lui, travaillait dans un four dans le quartier El Oulfa. Un jour, il m’a proposé de louer une charrette et de vendre du pain, juste pour gagner un peu d’argent. Après quelques jours, j’ai trouvé que la vente du pain est une activité facile et rentable. Depuis je l’ai choisie comme métier», raconte-t-il. En effet, tous les jours Said commence sa journée à 9h30 du matin. «Je fais la queue pour pouvoir récupérer ma dotation de pain vers 10h. Ensuite, je l’expose sur ma charrette avant de s’installer devant le supermarché Carrefour sis à la rue El Fourate». Cet emplacement, Said l’a choisi parce qu’il connaît un important trafic. La preuve, ce petit commerçant écoule chaque jour plus de 100 unités de pain rond de grande taille ainsi qu’une cinquantaine de sachets de 10 unités de pain complet. Il réalise un bénéfice quotidien minimum de 90 DH. «Le pain rond je l’achète à 1 DH et je le revend à 1,50 DH, soit 50% de gains. Les sachets de 10, qui sont très demandés, je les vends à 7,50 DH, ce qui me permet de dégager un bénéfice de 2 DH par sachet. Le pain que je n’arrive pas à vendre, je le rends vers 20 h au four afin de pouvoir faire les comptes et payer la marchandise que j’ai prise le matin», explique-t-il.

Les fours s’approvisionnent en farine subventionnée auprès de commerçants véreux

En somme, la production et la vente du pain est une activité très rentable. Selon les estimations des professionnels, ces opérateurs informels réalisent des marges qui vont de 70 à 100% en fonction des produits et des lieux de commercialisation. Cette forte rentabilité n’a fait qu’encourager les gens à s’adonner à cette activité. Outre les fours traditionnels, «il y a de plus en plus de personnes qui s’intéressent à cette activité», déclare le président de la fédération. Selon lui, «pour démarrer la production, il suffit d’avoir un espace, généralement un garage, l’équiper avec des bassines et des fours à gaz». Mais comment ces opérateurs de l’informel réussissent-ils à commercialiser leurs produits à des prix imbattables, tout en dégageant d’importantes marges ? Sur cette question, M. Azzaz explique que «ces opérateurs ne paient pas d’impôts ni de charges sociales…». Cependant, d’après le professionnel, c’est le coût de la matière première qui joue le plus en leur faveur. Les boulangers de l’informel utilisent surtout la farine subventionnée appelée farine nationale de blé tendre (FNBT). Pour rappel, chaque semestre, le ministère des affaires générales et de la gouvernance accorde des dotations aux différentes provinces et préfectures du Royaume.

Ces quantités sont estimées (d’après les dotations de l’année 2014) à 90 millions de quintaux par semestre, soit 180 Mq par an. Afin d’assurer l’acheminement de ladite farine subventionnée aux différentes provinces et préfectures ainsi qu’aux centres qui leur sont rattachées, le ministère désigne les minoteries qui prennent en charge la production et la commercialisation de cette farine issue de la production locale, vendue au public à un prix de 2 DH/kg. Cependant, certains commerçants livrent leurs dotations à des centres autres que ceux pour lesquels elles étaient destinées conformément au programme d’approvisionnement arrêté par la commission interministérielle chargée de la détermination des dotations de la farine.

Résultat, «les opérateurs informels achètent les sacs de farine de 50 kg (qui coûtent 100DH) à 150 DH, alors que les boulangers produisent leur pain à base de farine de luxe facturée 175DH/50kg», regrette M. Azzaz. Et de conclure : «Ces derniers n’hésitent pas à ajouter des colorants et d’autres produits chimiques pour dissimuler la mauvaise qualité de leurs produits et induire le consommateur en erreur…»n