Affaires
Les banques mettent le paquet sur le recouvrement des créances en souffrance
Les réseaux d’agences sont exhortés de faire plus de récupération que de production de nouveaux crédit. Echéances de crédits impayées, positions débitrices anormales, comptes avec dépassements non autorisés et comptes gelés sont les principales rubriques scrutées. L’action des banques est dictée par la montée en flèche des créances en souffrance et le durcissement de leurs règles de classification par BAM.

Les banquiers se retroussent les manches pour contrer le dérapage des créances en souffrance ! Alors qu’elles se limitaient jusqu’ici à un suivi post-engagement secondaire, les agences font aujourd’hui de la récupération des créances difficiles une priorité. Cela vient même avant la production de nouveaux crédits ! D’après les cadres sondés des grands établissements de la place, les directions générales et régionales exhortent depuis le début de l’année, à coups de correspondances très explicites avec un accent sec, les équipes de leurs réseaux à un suivi quotidien plus rigoureux des engagements non sains et à «plus d’implication dans ce chantier décisif pour la rentabilité des opérations». «Le message de la hiérarchie est clair : récupérer l’argent de la banque, quitte à ne plus apporter de nouvelles affaires», confie un cadre chez BMCE Bank of Africa.
Des documents et correspondances internes de deux grandes banques, que La Vie éco a pu consulter, exigent des directeurs d’agences et centres d’affaires de scruter les comptes présentant des engagements à recouvrer, expliquer les positions débitrices et les retards de résorption des débits et des défaillances sur les échéances de crédits. Les réseaux sont invités à faire des reportings à des fréquences de plus en plus courtes pour remonter au management les actions entreprises et à entreprendre pour régulariser les situations. A en croire une source chez Attiajriwafa bank, auparavant les reportings des créances difficiles se faisaient mensuellement, voire deux fois par mois pour quelques banques. Plus maintenant! Chaque lundi, des mails de rappel sont adressés aux réseaux avec exigence de retour sous 48 heures. Dans le même ordre d’idées, les comités de crédit consacrent dorénavant une fenêtre pour faire le point sur les créances en souffrance en marge des réunions de validation des dossiers de financement alors que la discussion de ces dossiers se faisait jusqu’ici dans des comités spéciaux tenus une fois par mois.
Concrètement, les équipes commerciales sont appelées à fournir plus d’efforts sur quatre grandes rubriques: échéances de crédits impayées, positions débitrices anormales, comptes avec dépassements non autorisés et comptes gelés. «Sur chacune de ces catégories de créances, nous sommes tenus de faire le point et d’adresser un reporting pour la clientèle de notre agence», informe un chargé d’affaires. Une source chez une grande banque souligne que les systèmes d’information ont été perfectionnés par les équipes SI pour faciliter ce genre d’extraction et repérer facilement les comptes à régulariser. Elle ajoute que les systèmes sont en refonte continue pour aller de pair avec les requêtes des équipes du réseau et servir avec efficacité leurs besoins dans ce chantier de plus en plus stratégique pour les banques.
Un chargé d’affaires évoque un autre axe de suivi, en l’occurrence le renouvellement des découverts. Les instructions dans ce cas sont également claires : justifier les autorisations en place si elles ont toujours lieu d’être, dans ce cas les renouveler avec une nouvelle étude de dossier, sinon les supprimer sans délai.
Les méthodes d’évaluation des commerciaux en agence favorisent le laxisme face aux créances en souffrance
Ce tour de vis opéré dans les dispositifs de suivi des créances en souffrance s’est imposé aux opérateurs du secteur. En effet, les encours non sains ont atteint des niveaux jamais vus ! De 4,8% en 2010, le taux des créances en souffrance atteint 7,4% à fin juin, selon les statistiques de BAM. Pour quelques banques, ces taux se passent de tout commentaire (jusqu’à 14%). Au total, ce sont plus de 62 milliards de DH qui se trouvent aujourd’hui en péril. Concomitamment à cette montée en flèche sans précédent de la sinistralité du portefeuille, force est de constater que le taux de couverture de ces créances par les provisions a perdu 5 points de pourcentage, passant de 70 à 65% en 6 ans. Mais l’action des banques n’est pas motivée que par cela ! En effet, dans sa nouvelle circulaire 19/G, Bank Al-Maghrib a durci les règles de classification des créances et de leur provisionnement. Ce qui a expressément poussé les banques à exiger plus de rigueur de la part de leurs réseaux pour mieux appréhender les niveaux de risque sur ces comptes et faire une analyse plus fine de leur portefeuille. Le but étant de respecter la réglementation et, en même temps, ne pas pénaliser les bénéfices avec des provisions importantes. Il y a trois ans, plusieurs établissements ont été rappelés à l’ordre par la Banque centrale qui les a sommés de déclasser certaines créances. Cette différence d’appréciation du risque a été récemment commentée par l’agence de notation Fitch Ratings qui connaît bien le secteur bancaire marocain pour avoir noté plusieurs banques locales. Les analystes de l’agence estiment que le niveau réel des créances en souffrance des banques marocaines est largement supérieur aux niveaux calculés par celles-ci. «Les pratiques locales sous-estiment l’ampleur des créances non saines dans les bilans», estime l’agence de notation financière qui retient un taux de contentialité réel compris entre 12 et 14%.
En tout cas, outre la morosité de la conjoncture économique qui accroît l’insolvabilité des emprunteurs, la problématique des créances difficiles a également des ressorts culturels. Les banquiers en agences ont longtemps cru qu’ils ne sont pas concernés par celles-ci et se montraient laxistes dans le suivi de ces rubriques. Les politiques d’évaluation des banques et la perception qu’elles ont de la performance poussent aussi dans ce sens : les objectifs commerciaux portent sur le nombre de comptes ouverts, les crédits distribués, les dépôts ramenés et les produits placés. Aucune allusion n’est faite à l’effort de recouvrement. «Or récupérer un impayé, le débit d’un compte gelé ou régulariser un dépassement non résorbé est de loin plus rentable pour la banque que l’ouverture d’une ligne de crédit ou la domiciliation d’un gros dépôt», schématise le responsable du marché de l’entreprise d’une grande banque. Et d’ajouter que c’est ce changement d’appréciation de l’effort en agence et du temps productif passé au travail que les directions essayent d’opérer aujourd’hui pour pouvoir gagner la bataille des créances difficiles.
