Affaires
Les banques à couteaux tirés sur le crédit !
Attijariwafa bank, Banque Populaire et BMCE Bank of Africa ont aspiré les trois quarts des dépôts additionnels. La plupart des établissements ont réduit leurs efforts sur les dépôts à terme. CIH Bank est très active sur la collecte des ressources.

La compétition entre les banques a atteint de nouveaux sommets en 2016, comme en témoignent, entre autres, les records de baisse des taux du crédit. Il faut encore attendre la publication des résultats annuels qui devrait intervenir en mars pour savoir comment chaque établissement s’en est tiré. Cependant, des chiffres sur les réalisations commerciales au titre de 2016 de chacune des neuf grandes banques de la place, incluant Al Barid Bank, diffusées de manière restreinte par le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), que La Vie éco a pu consulter, permettent déjà de s’en faire une idée.
En matière de dépôts de la clientèle, Attijariwafa bank, Banque Populaire et BMCE Bank of Africa prolongent leur mainmise en captant près de 75% de l’additionnel de ressources collecté par le secteur l’année dernière, qui se chiffre à 37,6 milliards de DH, correspondant à une hausse de 4,4%. Juste après les banques de tête, qui ne font là que profiter de l’avantage naturel que leur procure leur réseau commercial étoffé, c’est CIH Bank qui retient l’attention puisqu’elle a amené vers elle près de 10% des nouveaux dépôts de 2016.
La marge d’intérêt s’effrite
La banque qui décline une stratégie offensive pour le recrutement d’une clientèle de jeunes affiche ainsi une progression de ses ressources de plus de 13%, un effort bienvenu pour l’établissement qui reste bon dernier en matière de part de marché sur les dépôts avec seulement 3,1%. Le reste du secteur se répartit les 16% restants des nouvelles ressources dont plus de 5% pour la seule Al Barid Bank. Il faut toutefois exclure du lot BMCI dont les dépôts s’érodent très légèrement en 2016 après s’être contractés de 3% l’année d’avant.
En bout de course, il faut retenir que c’est BMCE Bank of Africa qui signe la plus belle progression de part de marché en 2016 en grappillant plus de 0,70 point, portant son poids à 14,88%, tandis que la majorité des autres banques est plutôt dans une logique de stabilisation de leur poids sur le marché des dépôts, sur lequel Banque Populaire règne toujours en maître avec une part de près de 27%. Mais la performance de BMCE Bank of Africa est à relativiser du fait que la banque a hérité d’encours volontairement abandonnés par la concurrence. La plupart des établissements ont en effet eu tendance à se délester de leurs dépôts rémunérés en 2016, notamment les dépôts à terme (DAT) entreprises, pour optimiser la structure de leurs ressources dans un contexte de liquidité abondante. «Dès le début de l’année passée, nous nous sommes fixé pour objectif de nous débarrasser de tout DAT rémunéré à plus de 4% sur 12 mois», illustre le directeur d’un établissement. Pour cela, les concernés ont réduit les rémunérations offertes, même quand le client envisage de partir chez la concurrence. «On a d’autant plus de facilité à céder ces dépôts à la concurrence que l’on sait qu’on pourra les récupérer rapidement si on le souhaite par la suite», explique un banquier. «Il suffit pour cela de proposer des rémunérations de 10 à 15 points de base supérieurs aux taux du marché», assure-t-il.
C’est ainsi que Banque Populaire s’est délestée de 3,1 milliards de DH de DAT entreprises pour ramener son encours à 8 milliards de DH. Attijariwafa bank a eu la main plus lourde encore en abandonnant 4 milliards pour ne plus en détenir que 6,7 milliards de DH. La tendance concerne encore les banques à capitaux français, Crédit Agricole du Maroc et Al Barid Bank, sur un marché des DAT qui lui-même est en baisse de 18% en 2016. Cela a effectivement permis à ces établissements de compresser la part de leurs ressources rémunérées de 2,5 points, à 34,5% par exemple pour Attijariwafa bank, et même de plus de 5 points, à 38,1% pour Crédit du Maroc.
Une économie qui tombe à pic pour soutenir la marge d’intérêt mise à rude épreuve du fait des réductions de taux concédées par les établissements sur leurs financements. Cela a donc laissé un boulevard à BMCE Bank of Africa qui, à contre-courant du marché, s’est considérablement renforcée sur les DAT entreprises. La banque a capté 4,2 milliards de DH de ces dépôts pour porter son stock à près de 17 milliards de DH. Cela fait gagner à la banque plus de 12 points de part de marché sur le segment et la propulse en leader ! Le revers de la médaille est que la banque voit le poids de ses ressources rémunérées augmenter de 0,44 point, à 49,3%.
Les particuliers font jouer la concurrence
Si, au final, la concurrence sur les dépôts est restée consensuelle en 2016, cela est très loin d’être le cas sur le marché des crédits. Il apparaît en effet à travers les chiffres du GPBM que les banques ont tenu à défendre leurs positions coûte que coûte. La plupart des établissements, quand ils ne parviennent pas à renforcer leur part de marché, ne s’autorisent à perdre plus de 0,2 point sur les crédits aux entreprises comme aux particuliers.
Attijariwafa bank, leader du segment avec une part de 24,11%, donne le ton. Alors qu’elle s’était laissée distancer par la concurrence en 2015 parce qu’elle faisait de la résistance sur la baisse des taux, abandonnant même le leadership sur le crédit à Banque Populaire, elle a veillé à revenir en force sur tous les compartiments l’année passée. C’est ainsi qu’elle a bataillé pour capter près du tiers de la croissance des crédits aux particuliers (soit 3,3 milliards de DH sur un total de 11 milliards de DH), ce qui renforce sa part de marché de 0,34 point, à 23,13% sur ce type de financements. «Nous avons fait d’importantes concessions sur les taux pour reprendre des parts de marché, car nous avons compris que l’on ne peut pas rester à l’extérieur du marché», explique-t-on, sans détour, en interne. «C’est une réalité aujourd’hui, les particuliers font jouer la concurrence et ils sont prêts à changer de banque pour économiser quelques centaines de DH par mois. La bataille sur le secteur est ouverte et tout le monde s’y mettra par la force des choses», insiste-t-on. Dans cet esprit, le leader du marché envisage de réviser plus encore ses conditions de financement à la baisse.
Légère hausse du financement aux entreprises
Les autres banques ne se font pas prier pour prendre part au mouvement. En dehors du trio de tête, qui capte 73% des nouveaux financements distribués aux particuliers en 2016, c’est Société Générale Maroc qui se défend le mieux avec un taux de captation de plus de 10%. Son poursuivant immédiat est Al Barid Bank qui attire 6% des nouveaux crédits en restant toutefois limité à une part de 1,14%, loin derrière le reste du marché. Au final, il n’y a que CIH Bank qui régresse sur le financement aux particuliers de 1,1%, ce qui s’explique par un recul de ses crédits acquéreurs, la banque n’étant pas particulièrement offensive à l’heure actuelle sur ce segment.
Ce même établissement semble porter son attention sur les financements aux entreprises dont il parvient à capter près de 17% de l’additionnel enregistré par le marché en 2016 (2,5 milliards de DH sur près de 15 milliards de DH), en ligne avec sa stratégie de diversification de ses activités en dehors de l’immobilier. Pour autant, la part des crédits aux entreprises reste toujours limitée à 25% dans son portefeuille, bien en dessous de la moyenne sectorielle de 68%.
Pour le reste, Attijariwafa bank se distingue sur le financement aux entreprises avec 1,28 point de part de marché gagné, ce qui porte son poids à 26,8% contre 23,06% pour son poursuivant immédiat, Banque Populaire. Au vu de la faiblesse de la demande sur ce compartiment, la concurrence y est encore plus intensive. A ce titre, même si le crédit à l’équipement a terminé l’année passée sur une bonne note avec une progression de plus de 9%, les banquiers assurent que cela est loin d’être lié à un réel effort d’investissement des entreprises. L’encours a été dopé en toute fin d’année par le remboursement d’Autoroutes du Maroc d’un emprunt international qui a été relayé au Maroc, fait savoir un banquier qui dévoile que deux ou trois autres opérations de ce type sont en négociation et devraient avoir lieu cette année. «La progression est aussi le fait des grands projets d’infrastructure, principalement la LGV, ainsi que le programme d’investissement de l’OCP, ce à quoi s’ajoutent des financements accordés à quelques institutionnels». La PME et même la clientèle corporate sont restées quasiment absentes du marché, tranchent les banquiers.
