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Les ATD ne rapportent que 5 à 7% des recettes des organismes qui les émettent

L’usage et l’intérêt des ATD semblent toujours mal compris malgré la réforme de 2014. Les comptables publics assurent que cette procédure de recouvrement forcé n’est plus systématique, elle est entamée juste pour les créanciers récalcitrants. Généralement, les fonds ne sont débités que 72 heures après la réception de l’ATD par la banque.

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Les ATD

Le récent bras de fer autour des Avis à tiers détenteur (ATD) opposant la CNSS au GPBM a remis à la surface le débat autour de ce moyen de recouvrement. S’il est établi que quelques organismes, de par le code de recouvrement des créances publiques, sont habilités à engager la procédure de recouvrement forcé, le mode d’intervention et l’usage qui en est fait continuent de diviser les parties concernées par les ATD. Au-delà du bien-fondé du jugement de la Cour de cassation du 14 septembre 2017 ayant qualifié d’illégaux les Avis de la CNSS et de la controverse qui s’en est suivie, cet outil est-il utilisé à bon escient, sans abus de la part de l’Administration ? Le mode opératoire protège-il les droits des contribuables ? Quelle est sa part dans l’effort de recouvrement des organismes qui l’actionnent ?

Déjà, les responsables des quatre établissements qui recourent à ce moyen, en l’occurrence la TGR, la DGI (les deux qui ont la qualité de comptables publics de par la loi), la CNSS et l’Administration des douanes et des impôts indirects (ADII), sont unanimes quant à l’importance des ATD dans la mobilisation des recettes de l’Etat auprès des contribuables récalcitrants, entreprises et particuliers. «C’est un outil non seulement efficace mais nécessaire pour le recouvrement», assure Nabyl Lakhdar, DG des Douanes. Un haut responsable à la CNSS affirme que les ATD sont utilisés surtout pour leur caractère dissuasif plutôt que comme un instrument de recouvrement à part entière.

Un directeur régional des impôts nuance toutefois ces propos. Il reconnaît que ce procédé a été utilisé et continue de l’être de manière aléatoire, en contradiction flagrante avec sa finalité d’ultime recours. De leur côté, les responsables de la TGR évoquent le non-respect des procédures par les différents organismes concernés. C’est justement en raison de ces errements, qui ont des incidences parfois très graves sur les entreprises et les particuliers, que les ATD suscitent tant d’émoi.

Beaucoup d’abus par le passé

«Depuis 2010, les ATD sont passés d’une dizaine de milliers par an à plusieurs dizaines de milliers par mois», confie un haut responsable. Entre 2010 et 2011, ceux émis par la TGR sont montés de 46000 (179 MDH) à 127000 (485MDH) ! «L’administration fiscale a usé de ce moyen pour cibler surtout les grosses tranches des RAR (reste à recouvrer), alors que cette procédure ne doit être utilisée qu’en dernier recours, comme il est expressément stipulé dans le code», commente le responsable du fisc. Durant cette époque, l’ensemble des rapports d’activité de ces organismes indiquait que la hausse des recettes (quand c’est le cas) résultait, entre autres, du recouvrement forcé. Des établissements sont même allés jusqu’à émettre des ATD sur des facilités de caisse ou encore des dépôts à terme (DAT). Des entreprises ont dû faire l’objet d’ATD pour des avis fiscaux qu’ils n’ont pas reçu. Et souvent, les avis reçus par les banques ne sont pas accompagnés des avis d’imposition. «Il arrivait aussi que des fonds soient prélevés dans deux banques pour la même créance», ajoute le DG de l’Administration des douanes. Les entreprises plus fragiles se sont retrouvées en situation de cessation de paiement en raison d’un ou deux ATD.

Plusieurs particuliers ont aussi fait les frais de l’usage abusif de ce moyen ! Des salariés ont vu la totalité de leur salaire retenue par la banque sans aucune information préalable, alors que le code de recouvrement précise clairement que le montant exposé aux ATD doit être limité à 40% du salaire. Certains ont été traqués avec le même procédé pour des sommes dues par des membres de leurs familles, d’autres en raison de méprises sur le calcul des impôts. Des banquiers indiquent qu’il existe des solutions intermédiaires que les recouvreurs publics peuvent utiliser tels que la mise sous séquestre ou encore l’émission de caution bancaire du montant réclamé. Ces moyens sont moins coercitifs certes, mais garantissent en grande partie le paiement des dettes.

La CNSS revendique son droit d’utiliser les ATD

Selon Nabyl Lakhdar, les abus sont aujourd’hui limités. «Nous n’allons jamais aux ATD avant d’adresser un dernier avis sans frais (DASF) et le commandement avec frais de poursuites», explique-t-il. Selon lui, les administrations sont aujourd’hui plus outillées, notamment en système de recoupement de l’information pour mieux cibler les contribuables et les comptes utiles (avec provision suffisante pour blocage du montant des ATD). Le haut responsable de la CNSS soutient que l’objectif n’est pas d’emporter automatiquement les fonds, mais de pousser le contribuable récalcitrant, plusieurs fois relancé par d’autres moyens, à se rapprocher de l’administration pour trouver une solution. Les banquiers affirment de leur côté que les fonds ne sont débités que 72 heures après la réception de l’avis. Assez suffisant pour qu’un client désirant régulariser sa situation à l’amiable réagisse! Si le montant est bloqué et recouvré par erreur, les organismes émetteurs de l’avis créditent en 48 heures le compte du contribuable. «Il faut dire que le nouveau cadre régissant les ATD, adopté en 2014, a permis un assainissement substantiel des pratiques», résume une source au Trésor.

Quoi qu’il en soit, la contribution des ATD à l’effort de recouvrement est marginale, indique-t-on auprès de la CNSS qui revendique son droit d’user de cet instrument. Pour 150 000 entreprises affiliées, 8 695 ATD ont été émis en 2017 et 7 058 en 2016. En définitive, moins de 5% des cotisations sont recouvrées par ce procédé.

Chez le fisc, le recouvrement forcé a rapporté en 2016 environ 9,4 milliards de DH sur les 130 milliards de recettes, soit environ 7%. Les dernières données disponibles relatives aux ATD de la Trésorerie font ressortir moins de 6%. «L’administration dans sa volonté d’apaiser les relations avec les usagers a changé de paradigme : l’ATD n’est plus une fin en soi, il est utilisé surtout pour pousser les contribuables à s’acquitter de leur dû dans les délais», résume M.Lakhdar.