Affaires
Les agences de voyages déboussolées par la crise
Sur 150 agences de voyages recensées à Marrakech, seule une soixantaine tient le coup en se tournant vers les marchés émergents. La chute des circuits qui concerne tout le pourtour méditerranéen se situe entre 20 et 50% selon les régions. Seules les grandes agences parviennent à s’en sortir.

Les temps sont durs pour les agences de voyages. Ayant prospéré jusque-là grâce au réceptif pour les tour-opérateurs (TO) des marchés traditionnels, l’exploitation de certaines niches touristiques, la vente de billets d’avion et, pour nombre d’entre elles, l’organisation du Haj et de l’Omra, elles se sont trouvées déboussolées par la crise qui frappe le secteur du tourisme et par la transformation profonde des canaux de distribution. Le constat est général : depuis trois ans, l’activité est en recul continu et les perspectives ne sont pas réjouissantes. Mais le tissu associatif étant profondément désorganisé et divisé, et donc inefficace, les pertes subies par l’ensemble de la profession composée aujourd’hui de quelque 700 agences sur tout le territoire national ne sont pas quantifiées avec précision. Selon Abdellah Baaziz, DG d’Orange Tours, l’agence de voyages du TO français Fram, le recul de l’activité réceptive est de l’ordre de 18% en trois ans, et cette baisse est franchement ressentie aussi bien au niveau des arrivées que de la durée de séjour dans les hôtels gérés par le groupe, avec une forte réduction des circuits touristiques dont Fram s’était fait à un moment le champion. Le recul est particulièrement sévère dans le Sud du pays.
Si un groupe intégré comme celui-ci, avec agence de voyages, hôtels et transport touristique, affirme être touché de plein fouet par la crise, que dire des agences de petite et moyenne taille qui n’ont pas de tels moyens. Selon, Khalid Majdi, président de la Fédération nationale des agences de voyages (FNAVM), sur 150 agences de voyages recensées à Marrakech, seule une soixantaine tient le coup en essayant toutes de diversifier leur activité en se tournant vers certains marchés émergents, sachant que les marchés traditionnels du Maroc (France, Espagne, Italie, etc.) sont aujourd’hui en pleine crise économique… Les autres, poursuit-il, sans pour autant fournir de chiffres précis, vivotent, sont en veilleuse, ont réduit leur effectif ou ont mis pour de bon la clé sous le paillasson. «Ce sont les plus forts qui s’en sortent», conclut-il.
Cette tendance est confirmée par Othman Cherif Alami, patron d’Atlas Voyages, qui fait remarquer que la chute des circuits qui touche tout le pourtour méditerranéen se situe entre 20 et 50% selon les régions. Ceci dit, poursuit M. Alami, si la situation est préoccupante, «il n’ y a pas encore péril en la demeure». Pour lui, il y a deux catégories d’agences de voyages : celles qui font de la billetterie, le Haj et l’Omra et un peu de tourisme, pour l’essentiel situées en dehors de l’axe Casa-Rabat, ont eu durant les trois exercices précédents des pertes d’exploitation difficilement surmontables avec des difficultés de trésorerie dues à des impayés de leurs clients. L’autre catégorie, composée d’une centaine d’agences qui, précise-t-il, accapare 60% du business, affichent aujourd’hui de bons résultats.
L’informel et les sites de deal aggravent la situation
La situation générale du secteur est rendue plus compliquée par la concurrence des deals sur internet, des offres directes des hôtels et d’une manière générale de l’informel. Jean Yves Marais, patron de l’agence Destination Evasion Maroc, spécialisée dans le Mice et dans des petites niches d’évasion et présent au Maroc depuis 15 ans, est plus explicite. Selon lui, s’il est évident que le monde du voyage va mal en raison de la crise économique dans les pays émetteurs, cette crise se fait sentir particulièrement sur le créneau du Mice qui ne compte plus les annulations des commandes des grandes entreprises, même quand elles ont versé des acomptes à l’avance, en raison de restrictions budgétaires. Il estime que la situation est aggravée ici par le non-respect des lois qui régissent cette profession. «Par peur de ne pas avoir de touristes, les autorités ferment les yeux et laissent n’importe qui faire n’importe quoi. L’informel, poursuit-il, après avoir tué Ouarzazate et sa région est en train de tuer la destination Marrakech au vu et au su de tout le monde, sans qu’il n’y ait de réaction, ni du département de tutelle ni des autorités locales qui sont pourtant régulièrement interpellées». Au train où vont les choses, ce voyagiste affirme ne plus être à l’abri de la fermeture.
Enfin, Fouzi Zemrani, patron de Z Tours, résume bien la situation. Il explique que les agences ont du mal aujourd’hui à trouver leurs marques, car elles ont perdu pour la plupart leurs clients qui étaient des TO de petite et moyenne taille, mais qui assuraient entre 1 000 et 5 000 clients à partir des capitales européennes et des villes de province pour des séjours d’une semaine avec circuits, les agences de voyages se positionnant avec des offres d’hébergement et un service de qualité en partenariat avec les hôteliers. Ce modèle a commencé à péricliter à partir de 2004 avec l’arrivée des low cost et la disparition des petits TO absorbés par les plus grands qui ont entraîné dans leur chute les réceptifs nationaux dont beaucoup ont fermé ou se sont repliés sur des petites niches.
Quant aux agences qui se sont spécialisées dans le tourisme religieux, elles sont nombreuses à se laisser gagner par la rente et par le gain facile au point d’oublier leur métier de base, déplore M. Zemrani. Avec la libéralisation à terme de ce segment, le réveil sera dur dès 2014.
