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L’épargne nationale baisse depuis 5 ans

En 2014, l’épargne nationale s’établirait à  25,8% du PIB au lieu de 26,6% en 2013, et devrait presque stagner en 2015. La réduction du besoin de financement de l’économie provient de la baisse du taux d’investissement. Le solde ordinaire du Budget accuse en 2014 un déficit de
16 milliards de DH, soit 1,8% du PIB.

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Après la très légère hausse de 2013, l’épargne nationale reprend son cycle baissier, amorcé en 2010. En 2014, en effet, l’épargne nationale s’est établie à 25,8% du PIB, au lieu de 26,6% un an auparavant, selon les estimations du Haut commissariat au plan (HCP). Et cette année, elle stagnerait à 25,7% du PIB. Ceci a conduit le patron du HCP, Ahmed Lahlimi, lors de la présentation du Budget économique prévisionnel 2015, le 20 janvier courant, à considérer cette évolution comme une «des fragilités» du modèle de croissance marocaine.

Voici donc cinq ans que cette principale source de financement de l’économie est en recul quasi continu. C’est vrai que, parallèlement, le taux d’investissement en proportion du PIB reflue également (31,8% du PIB en 2014 contre 34,2% en 2013 et 35,3% en 2012), ce qui a eu pour effet de réduire le besoin de financement. Celui-ci, rappelons-le, avait frôlé les 10% du PIB en 2012, avant de retomber à 7,6% en 2013 pour s’établir à environ 6% en 2014.
Le problème est que pour réduire le déficit de financement, ce n’est pas tant l’investissement qu’il faut comprimer, mais l’épargne qu’il importe d’améliorer. Dans le cas contraire, c’est la croissance et l’emploi qui s’en trouveraient affectés. Et d’une certaine manière, l’économie marocaine est aujourd’hui dans cette configuration : le déficit du compte épargne/investissement se resserre progressivement, certes, mais la croissance reste faible (2,6% en 2014, 4,4% en 2013, 2,7% en 2012), tandis que le chômage se remet à grimper pour s’établir à 9,6% au troisième trimestre de 2014, un niveau jamais atteint depuis 2008.
Cette situation, on peut l’observer en Europe où les politiques restrictives destinées à assainir les finances publiques se sont traduites presque partout par une récession de laquelle les économies de la région commencent à peine à émerger. La menace de déflation à laquelle est confrontée la zone euro est encore une autre conséquence de cette politique que la BCE tente maintenant de contenir au moyen d’un assouplissement monétaire (“quantitative easing”).
L’économie marocaine, bien sûr, est loin de pareille situation ; et c’est le cas plus généralement des pays en développement qui, eux, ont des difficultés d’une autre nature. Mais contrairement aux pays développés où 2% ou 3% de croissance sont une excellente chose (compte tenu du niveau extrêmement élevé de leur PIB), le Maroc, lui, avec un PIB qui atteint péniblement 900 milliards de DH, a besoin d’une croissance supérieure à 5% et sur une période relativement longue. Il en a besoin, car c’est ainsi qu’il pourra améliorer le taux d’emploi, les recettes fiscales, donc ses finances internes et, pourquoi pas, externes également.
Cette croissance, c’est l’investissement – et la consommation aussi – qui devrait la porter. Mais un investissement orienté davantage vers les secteurs produisant des biens échangeables, comme le recommande d’ailleurs le Haut commissaire au plan dans sa récente analyse de la situation économique du pays. Et là apparaît le rôle crucial de l’épargne. Si celle-ci est insuffisante, comme c’est le cas présentement, l’investissement le sera tout autant ou alors se réalisera via des emprunts à l’étranger. Le Maroc a certes encore de la marge sur le plan de l’endettement (la dette du Trésor équivaut à 64,3% du PIB en 2014, contre 63,5% en 2013), mais la tendance à la hausse du niveau de l’endettement, apparue depuis 2009, ne devrait pas se poursuivre indéfiniment.

C’est pourquoi, une fois de plus, réussir à développer une épargne nécessaire au financement de l’économie apparaît désormais comme un des enjeux principaux qui requiert le plus d’attention. Tout le problème néanmoins est de savoir comment s’y prendre. L’Etat lui-même (au niveau central, s’entend) ne dégage plus d’épargne depuis quelques années déjà. En 2014, par exemple, le solde ordinaire du Budget est déficitaire d’un peu plus de 16 milliards de DH (1,8% du PIB), selon les statistiques de la Trésorerie générale du Royaume (TGR). En 2013 et 2012, ce déficit avait été respectivement de 0,5% du PIB (ou -4,44 milliards de DH) et de 1,7% (ou -14 milliards de DH).

L’épargne des ménages évolue en dents de scie

Pourtant, en 2014, la charge de compensation, qui pesait lourdement  auparavant sur le Budget, a baissé de 24,7%, toujours selon la TGR (cette précision est importante, car le ministère des finances retraite par la suite les chiffres de la TGR). Il se trouve que les dépenses de biens et services, autres que les dépenses de personnel, ont augmenté de 16,4% à 55,4 milliards, et les intérêts de la dette de 10,7% à 24,3 milliards.
Et tandis que les dépenses augmentent, les recettes, elles, paraissent rigides à la hausse : +0,7% en 2014. Et quand on observe l’évolution des recettes ordinaires sur une longue période, on s’aperçoit qu’elles stagnent à une moyenne de 24% du PIB entre 2005 et 2014.

Outre donc l’inexistence de l’épargne publique depuis 2011, celle des ménages, la plus importante, connaît, elle, des hauts et des bas. En valeur absolue, et observée sur une quinzaine d’années, elle évolue en dents de scie : tantôt elle augmente, tantôt elle baisse. Mais elle est en légère  hausse entre 2007 et 2011. Les données récentes sur l’épargne des ménages, par contre, ne sont pas encore disponibles. Cependant, en proportion de leur revenu disponible, l’épargne des ménages est en stagnation entre 2007 et 2011 et en baisse par rapport aux années antérieures. Et rien ne semble indiquer que ces tendances ont changé entre 2011 et 2014 (sous réserve bien entendu des modifications qui peuvent apparaître dans cette variable à l’occasion du changement de l’année de base que le HCP est en train de finaliser).

La question que l’on se pose souvent, ici même, à propos de l’épargne des ménages est celle de savoir pourquoi celle-ci reste modeste : 87,4 milliards de DH, soit 15,7% de leur revenu (chiffres de 2011, encore une fois, mais ça ne doit pas avoir changé substantiellement depuis). Est-ce parce que les ménages consomment trop, ou bien parce que leurs revenus ne progressent pas de manière satisfaisante ? La faible variété des produits d’épargne et/ou le peu d’attractivité qui les caractérise, y sont-ils également pour quelque chose? Il y a sûrement un peu de tout ça ; même si l’impact de chacun de ses facteurs n’est évidemment pas le même. Il est significatif à cet égard que les ménages réservent la plus grosse part de leurs revenus à la consommation: plus de 84%. Mais la question n’est pas pour autant épuisée : le fait de consacrer une proportion aussi élevée à la consommation n’est-il pas le signe que les revenus des ménages sont faibles ? Car, et c’est un phénomène bien connu dans le monde, ce sont les ménages modestes qui dépensent plus dans la consommation. On n’épargne que lorsque les besoins fondamentaux sont satisfaits. Inutile de revenir ici sur les revenus des ménages tels qu’il apparaissent dans les études du HCP, ils sont bien modestes, et c’est le moins qu’on puisse dire. Reste l’autre secteur institutionnel, les entreprises. D’abord, les entreprises non financières : celles-ci dégagent certes une épargne, mais compte tenu du niveau de leur investissement, elles se retrouvent toujours dans une situation de besoin de financement. Les entreprises financières, de par leur nature, réalisent, elles, des investissements peu coûteux et parviennent ainsi à dégager des capacités de financement, au même titre d’ailleurs que les ménages mais pas dans les mêmes proportions bien entendu (la capacité de financement des entreprises financières étant supérieure à celle des ménages).

Mais après tout, le Maroc n’est pas le seul à être confronté à cette faiblesse de l’épargne. Un pays comme la Tunisie, par exemple, a vu sa consommation exploser depuis des décennies et, au même moment, son épargne dégringoler. Aujourd’hui, la Tunisie a un taux d’épargne inférieur à celui du Maroc, et l’Egypte encore beaucoup moins. La moyenne en Union européenne tourne autour de 20%. Seuls, ou presque, les pays pétroliers ont des taux d’épargne élevés…