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Leila El Andaloussi : «L’établissement d’un rapport préalable par le commissaire aux comptes peut se révéler très lourd et coûteux»
• L’objectif est d’améliorer les bonnes pratiques de gouvernance pour faire progresser l’éthique, la performance et la croissance des entreprises et du tissu économique dans sa globalité.

En août dernier, le ministère de l’industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique, a élaboré un avant-projet de loi 19.20 modifiant et complétant la loi 17.95 relative aux sociétés anonymes. Des changements ont concerné plusieurs articles afin de renforcer la transparence et instaurer un équilibre obligatoire en matière d’égalité des genres.
• Quelles sont les principales réformes de cet avant-projet de loi ?
Ce qui ressort, c’est d’abord l’instauration d’un équilibre obligatoire en matière d’égalité des genres. Initiative à saluer et prometteuse quant à la participation des femmes aux décisions économiques.
De nouvelles dispositions sont proposées en outre pour encadrer davantage les conflits d’intérêt entre la société, ses dirigeants, ou principaux associés. Aussi, le dispositif des conventions réglementées est revu. Les modalités d’intervention des commissaires aux comptes concernant ces dernières, ainsi que la durée de leur mandat, ont fait également l’objet de propositions d’amendement. Le régime de la société anonyme simplifiée n’est pas en reste.
Bien entendu, le but de cette loi est d’améliorer les bonnes pratiques de gouvernance pour faire progresser l’éthique, la performance et la croissance des entreprises et du tissu économique dans sa globalité.
• Et concernant le régime des conventions réglementées…
L’avant-projet prévoit que dès qu’une convention dépasse la valeur de 5% de l’actif d’une société, elle doit être soumise à une autorisation préalable du conseil d’administration, puis à celle de l’assemblée générale ordinaire et extraordinaire.
Aussi, le président du conseil d’administration avise le commissaire aux comptes dès qu’il ait connaissance de cette convention et demandera la rédaction d’un rapport à adresser, selon le cas, au conseil d’administration et à l’assemblée générale. Le rapport comprendra une évaluation des principaux éléments économiques et financiers de la convention et un avis sur la conclusion de la convention dans les conditions normales du marché.
• Avez-vous relevé des limites dans ces réajustements ?
Dans le cadre des nouvelles diligences, le commissaire aux comptes devrait désormais établir un rapport préalable avant toute convention dans lequel il donnera un avis sur la conclusion de la convention dans les conditions normales du marché. Ce qui nous paraît inapproprié par rapport à sa mission première, qui est avant tout une mission de «contrôle et suivi des comptes sociaux» tel que le prévoit l’article 159 et non pas d’investigations économiques et financières pour donner un avis sur la conclusion du rapport de gestion.
La convocation d’une assemblée générale extraordinaire exigeant en outre un quorum plus contraignant, le projet de loi devrait préciser les cas des conventions à soumettre à l’assemblée générale ordinaire ou extraordinaire.
L’établissement d’un rapport préalable par le commissaire aux comptes, la convocation d’un conseil d’administration et d’une assemblée générale préalablement à la convention, peut se révéler sur un plan pratique très lourd et coûteux. Sachant que le commissaire aux comptes présente déjà a posteriori à l’assemblée générale ordinaire un rapport spécial où il aura à éclairer les actionnaires sur les différentes conventions réglementées réalisées, et leurs conditions en vue de leur approbation.
Le projet de loi passe sous silence les délais d’autorisations des conventions autant par le conseil d’administration que par l’assemblée générale.
Concernant la durée du mandat du commissaire aux comptes, le projet limite ce dernier à 2 mandats successifs de 3 ans pour l’ensemble des sociétés anonymes, visant ainsi à garantir davantage la dépendance des professionnels.
Si on fait un benchmark à l’international, nulle part le renouvellement du mandat des auditeurs légaux n’est permis, à l’exception du cas des entités d’intérêt publiques où la rotation n’est exigée qu’après une durée d’exercice qui va de 10 jusqu’à 24 ans en Europe selon la législation du pays. D’ailleurs, pour les entreprises faisant appel public à l’épargne et les établissements publics, nous disposons déjà au Maroc depuis 2011 d’une norme qui inscrit la rotation des commissaires aux comptes au bout de 6 ans maximum pour l’associé signataire et au bout de 12 ans pour le cabinet ayant plusieurs experts-comptables.
Concernant la société anonyme simplifiée, nous préconisons l’instauration d’un audit légal, qui s’impose encore plus comme garant de la protection des actionnaires dans cette forme de sociétés qui jouit d’une liberté statutaire très large.
