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L’économie sous-exploite le peu de compétences disponibles !

Seulement 7,5% de la population âgée de 25 ans et plus ont atteint un niveau d’études supérieur. La proportion de diplômés de niveau supérieur parmi les actifs occupés ne dépasse pas 11,4. Les meilleurs profils préfèrent les fonctions managériales à celles d’enseignement et de recherche…

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Pour que l’économie marocaine accélère son rythme de croissance et le maintienne sur une période longue, il n’y a pas trente- six solutions, il y en a une et elle fait consensus : augmenter, voire doubler le niveau de productivité. Celle-ci se réalisera bien sûr par la poursuite de l’investissement matériel, mais aussi, et peut-être surtout, par un effort accru en investissement immatériel. Et la composante la plus importante, probablement la plus décisive du capital immatériel, c’est l’éducation.

L’état des lieux, établi par diverses institutions nationales, ne laisse aucun doute sur les retards accusés dans ce domaine, en dépit des efforts importants déployés au cours des quinze dernières années.

L’Atlas territorial des disparités en éducation, que vient de publier l’Instance nationale de l’éducation relevant du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, donne quelques chiffres qui en disent long sur cette problématique. Ainsi, en termes de nombre d’années de scolarisation de la population marocaine âgée de 15 ans et plus, en 2014, le Maroc est classé à la 136e place sur 175 pays, avec une durée moyenne de 5 ans et 6 mois de scolarisation par personne. Autrement dit, en moyenne, la population en âge de travailler n’a même pas accompli la totalité des années du cycle primaire. Par ailleurs, ce résultat situe le Maroc à la 10e place sur une échelle de 13 pays arabes, selon un comparatif réalisé par l’Atlas.

Le Haut commissariat au plan (HCP), dans sa publication sur les indicateurs sociaux au Maroc au titre de 2014, indique que seulement 7,5% de la population âgée de 25 ans et plus ont atteint un niveau d’études supérieur. Et dire que c’est dans cette tranche de la population que le marché du travail puise l’essentiel de ses besoins. Pourquoi s’étonner alors que parmi les actifs occupés, pas plus de 11,4% ont un diplôme de niveau supérieur en 2014, selon les indications du HCP. En valeur absolue, cela fait 1,2 million de travailleurs diplômés du supérieur sur une population active occupée totale de 10,6 millions de personnes en 2014. Pour sa part, la Banque mondiale, qui s’appuie sur des données du Bureau international du travail (BIT), rapporte dans son dernier mémorandum sur le Maroc que la part des cadres moyens et supérieurs dans l’emploi total était de 7,6% au Maroc, en 2008, contre environ 20% en Turquie, au Brésil et en Roumanie, près de 30% en Malaisie et quelque 33% en Pologne, à la même époque. Nous ne disposons pas de données actualisées pour cet indicateur, mais on peut considérer que le chiffre de 11,4% de diplômés de niveau supérieur dans la population occupée du Maroc en 2014 en fait office d’une certaine manière. Et pour mesurer les efforts qui restent à accomplir dans ce domaine, la Banque mondiale rappelle que cette part (10-11%) correspond à celle enregistrée dans les pays développés…dans les années 50. Ce retard apparaît, à l’échelle globale, dans la proportion encore élevée de l’analphabétisme (33%) qui frappe la population. Dix ans auparavant, soit en 2004, le taux d’analphabétisme dépassait 43%.

L’autre indicateur significatif qu’apporte Atlas 2017, c’est celui des inégalités dans l’accès à l’éducation. Selon le rapport, en effet, l’indice Gini de l’éducation au Maroc, bien qu’il se soit amélioré au cours des 35 dernières années, reste encore à un niveau élevé : 0,55 en 2014 contre 0,63 en 2004, 0,71 en 1994 et 0,80 en 1982 (les inégalités reculant à mesure que cette valeur s’approche de 0 et inversement lorsqu’elle s’approche de 1). L’Atlas de 2017 de l’éducation établit une corrélation entre la baisse des inégalités sur cette période 1982-2014 et une multiplication par trois du nombre moyen d’années de scolarisation qui passe en effet de 1,94 année à 5,6 années entre les deux dates. L’effort est réel mais néanmoins insuffisant. D’ailleurs, par rapport à l’indice Gini, le Maroc est classé à l’échelle mondiale à la 150e place sur 175.

Par rapport à la problématique de la compétitivité et de la croissance, la question que soulèvent ces indicateurs de l’éducation peut être formulée de la manière suivante : la lenteur de la transformation des structures de l’économie, donc de sa montée en gamme si on peut dire, résulte-t-elle du faible niveau général des ressources humaines disponibles, ou bien tout simplement des choix, voire de la frilosité des chefs d’entreprises, davantage portés sur des activités peu ou pas concurrentielles, donc moins exigeantes en innovation, en performance ? Difficile de répondre avec précision et certitude. La Banque mondiale, elle, tout en relevant les insuffisances connues en matière d’éducation, estime que, malgré tout, si l’économie n’arrive pas à passer à un palier supérieur, cela est dû moins à l’indisponibilité de cadres compétents et en nombre suffisant qu’à la persistance de situations de rentes, n’incitant pas à l’entrepreneuriat et à la prise de risque. La Banque mondiale cite à ce propos les pays émergents (cas de la Turquie, de la Malaisie, du Brésil) où «les meilleurs de leur génération» sont majoritairement employés dans l’éducation et la recherche ou se lancent dans l’entrepreneuriat. Autrement dit, ces compétences travaillent à transmettre le savoir, à innover à travers la recherche, ou bien créent leur propre business. Que dit la Banque mondiale des «meilleurs Marocains de leur génération», en particulier les ingénieurs ? Ils «se détournent presque systématiquement des secteurs de l’éducation, de l’ingénierie et de la recherche pour s’orienter vers des fonctions managériales, administratives et financières, notamment dans les grandes entreprises privées ou au sein des agences et entreprises publiques qui offrent des conditions salariales sensiblement plus attractives que les métiers de l’enseignement et de la recherche, sans comporter les risques inhérents à l’entreprenariat».

Ceci est une autre façon de dire que malgré les manques dont souffre le secteur éducatif, il existe des Marocains talentueux mais qui contribuent faiblement, de par les tâches qu’ils occupent, à faire émerger plus d’activités à valeur ajoutée élevée, à créer plus d’emplois de qualité, bref, à construire une économie plus performante. On l’aura compris, ceci n’est pas un jugement, c’est un constat, pas plus. Si les «meilleurs», en général, ne prennent pas trop de risque, c’est peut-être aussi que les conditions ne sont pas toujours favorables. Un ingénieur qui a fait polytechnique, par exemple, pourquoi irait-il enseigner, transmettre le savoir, avec un salaire qui peut représenter trois fois ou quatre fois moins que ce qu’il percevrait ailleurs ? Cet exemple, à lui seul, repose, de nouveau, la problématique de l’éducation dans ses différents paliers. On peut prendre ici le pari qu’aucune réforme de ce secteur ne donnera vraiment les résultats souhaités, si ce métier n’est pas valorisé, si l’enseignant ne retrouve pas le statut social qui fut le sien, celui qui faisait de lui presque un “prophète”, comme disait le poète. Ce métier ne peut pas attirer les meilleurs parce que, d’abord, l’enseignant n’est pas bien payé, ensuite, parce que la société, comme tombée dans une schizophrénie générale, n’a pas une haute idée de l’enseignant alors même qu’elle lui confie ses enfants et attend qu’il en fasse des cracks ! Cette «maladie», à vrai dire, n’a épargné aucun pays. Si les pays du tiers-monde veulent réduire l’écart qui les sépare des pays développés, il faudrait qu’ils pensent d’abord à réhabiliter l’enseignant. Et pas seulement sur le plan matériel, même s’il faudrait certainement commencer par là, et espérer que ça déteigne sur tout le reste.