Affaires
L’économie se fait peur et s’offre une petite déprime
L’optimisme affiché pendant le premier trimestre 2007 marque le pas.
La consommation des ménages en légère baisse, le commerce de proximité se plaint.
Séquelles des attentats manqués, mauvaise campagne agricole, krach boursier… Divers facteurs sont mis en évidence.
Les patrons restent partagés quant à un réel ralentissement.
Dès que la mécanique grince, nombre d’opérateurs économiques se mettent à redouter le pire. C’est cette situation qui prévaut actuellement sur le marché. Personne ne parle avec certitude de ralentissement. Mais ici et là , on invoque des signes pouvant attester que le monde des affaires, ou du moins une partie, a du vague à l’âme. Un climat paradoxal, si l’on prend en considération les déclarations optimistes de nombre de patrons, faites il y a quelques semaines (voir La Vie éco du 20 avril 2007), à propos du premier quart de l’année comme pour ce qui reste à parcourir. Toujours est-il que l’enquête mensuelle de conjoncture de Bank Al Maghrib révèle que le taux d’utilisation des capacités de production du secteur industriel a reculé de 4 points en avril par rapport à mars, à 69%.
Si l’on isole les particularités des différents secteurs, ce chiffre indique que les entreprises ont donné un léger coup de frein à leur activité, sans que l’on ne puisse dire clairement, en l’absence d’indicateurs fiables relatifs à la période étudiée, qu’une telle attitude résulte d’une volonté de réduire les stocks constitués durant les mois précédents ou d’une décélération de la demande globale. Une petite enquête réalisée par nos soins auprès d’un certain nombre d’acteurs révèle tout de même que les particuliers sont moins dépensiers qu’en début d’année. En d’autres termes, la consommation des ménages a marqué le pas. Dans le quartier du Maârif, lieu de prédilection pour le shopping à Casablanca, beaucoup de commerçants déplorent un net recul de la fréquentation. Un son de cloche identique est entendu à Derb Omar, le poumon économique de la capitale économique, d’o๠part l’essentiel des produits de grande consommation vers tout le réseau de distribution du pays (voir encadrés). Pour Noureddine Benmakhlouf, PDG d’Acima, «une baisse a été constatée en avril, non pas en termes de fréquentation mais plutôt de chiffre d’affaires».
Tout en avouant qu’il n’arrive pas à donner les raisons, M. Benmakhlouf indique que la baisse est plus prononcée sur Casablanca que dans les autres régions. Abdeljalil Lahlou, DG de Siera, confirme. Il souligne que le ralentissement au cours du second trimestre par rapport au premier trimestre est normal, mais s’inquiète du fléchissement d’avril et de la mimai par rapport à la même période de 2006. Enfin, à en croire un chef d’agence bancaire dédiée à l’entreprise, il y a effectivement moins de flux et moins de grands mouvements sur les comptes comme si, dit-il, «les entreprises attendaient quelque chose».
Cet état d’esprit est confirmé par Noureddine Ayouch, patron de Shem’s pub, qui souligne que «des projets en cours ont été mis en instance et des campagnes de pub décalées». Et d’ajouter que «plusieurs clients semblent lever le pied alors que le premier trimestre était plein d’enthousiasme ». Un simple sentiment de malaise ou des baisses sectorielles ? Cette torpeur supposée est diversement interprétée. D’aucuns évoquent les attentats manqués de mars et avril qui ont poussé les potentiels consommateurs à limiter leurs sorties. D’autres mettent en exergue la sécheresse qui pèse sur les revenus des agriculteurs et l’activité des entreprises liées au secteur.
Et pour ne rien arranger, le krach boursier de ces derniers jours aurait sapé le moral des consommateurs de luxe et de loisir. De là à dire que tout va mal, il y a un pas à ne pas franchir. En effet, quand bien même on ne peut écarter l’hypothèse d’un petit trou d’air, la situation s’explique en grande partie par un sentiment de malaise entretenu par la peur d’un réel retournement de tendance. Des patrons se disent même étonnés d’entendre des plaintes émanant de leurs confrères. Par exemple, dans le bâtiment, la cadence n’est pas ralentie. Bien au contraire. Dans bien des secteurs, on confirme la bonne tenue de l’activité. Mohamed Talal, DG de la Voie Express, entreprise de transport et de messagerie, estime qu’avril et mai sont à l’avenant du premier trimestre, c’est-à -dire très bons.
Les responsables de la CTM abondent dans le même sens. Après un bon premier trimestre caractérisé par une progression de 20% du transport de voyageurs, ce transporteur a continué sur sa lancée durant les deux premiers mois du deuxième trimestre. La même constatation vaut pour la messagerie qui a également évolué de 20% au premier trimestre. Seul bémol, ajoute-t-on à la CTM, le ralentissement du transport touristique lié au léger recul des croisières, américaines notamment.
A rebours de Siera, qui espère toute fois une reprise en juin,Whirpool, dont les résultats 2006 sont par ailleurs excellents,fait état d’une solide progression sur les produits blancs. Chez Richbond, Karim Tazi, le patron, annonce même une reprise dans des domaines qui avaient peu performé durant le premier trimestre,notamment le matelas. Sans se montrer très enthousiaste, Abdelilah Boumehdi,
DG de FMTM (Franco-marocaine de traitement métallurgique) et de Forges du Maroc, fabricant de pièces métalliques, souligne que le début du deuxième trimestre est resté sur le même trend.
Il redoute même une pénurie de techniciens qualifiés si toutes les entreprises étrangères qui en ont l’intention concrétisent leurs projets de délocalisation dans le pays. La continuité est aussi confirmée par des cabinets de recrutement et de conseil, des activités qui, certainement plus que la publicité qui peut servir à relancer les ventes en cas de difficulté, font les frais d’une politique de réduction de coût.
Bref, cette lapalissade de Faouzi Chaabi du groupe Ynna qui souligne aussi que l’activité évolue selon le même rythme que pendant les trois premiers mois de l’année, résume bien la situation : «Ceux qui travaillent bien s’en sortent». Ce faisant, on peut continuer à y croire pour le reste de l’année. Mais il faudra quand même bien surveiller le moral des ménages et l’évolution de l’économie européenne qui reste le principal client du Maroc.
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Dans ce quartier mythique de Casa, les commerçants sont fatalistes. «Le commerce est aléatoire, lorsqu’il démarre, tout le monde en bénéficie», commente un gérant de magasin qui ne se prive pas d’invoquer Dieu. Depuis quelques jours, dit-il, «le climat des affaires est très calme». D’autres soulignent que pour les denrées périssables, les détaillants, leur clientèle de prédilection, ne constituent pas de stocks parce que les clients achètent moins. Un autre facteur est aussi mis en évidence : la multiplication des grandes et moyennes surfaces en plein centre-ville. Mais Acima dit aussi enregistrer une baisse du chiffre d’affaires. De manière générale, on affirme que le mois de juin devrait être plus tonique que ceux d’avril et de mai et, surtout, on compte sur l’arrivée des MRE pour booster les affaires. Et la consommation intérieure ? |
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Le Maârif fait grise mine
Ce n’est pas la joie au Maârif. Selon nombre de gérants de magasins que nous avons interrogés, les clients se font rares. La baisse de la fréquentation est estimée à 50% en semaine et à 20% durant les week-ends, période o๠se réalise une bonne partie du chiffre d’affaires. Les raisons invoquées sont très nombreuses. Selon une commerçante, cette situation prévaut depuis les attentats. «Les gens venaient parfois pour la seule raison que le quartier est le seul endroit o๠il est possible de se restaurer, de flâner ou prendre un café tranquillement à Casablanca». Ce qui est bon pour le commerce de la mode (la spécialité du quartier) qui compte beaucoup sur les achats impulsifs. Mais il y a des facteurs plus conjoncturels pour expliquer le comportement du chaland. On cite pêle-mêle l’attente des soldes de fin juin ou des nouveautés de la nouvelle saison et le changement intempestif de saison qui fait que personne ne sait plus quoi se mettre. |