Affaires
L’économie atterrit, tous les indicateurs le confirment
La croissance est de plus en plus faible. Le taux de chômage est reparti à la hausse et la consommation des ménages se tasse. La production de crédits bancaires aux entreprises est inférieure aux remboursements.
La situation économique se corse et il suffit d’observer les principaux indicateurs pour s’en rendre compte. Le PIB, qui reflète tous les autres indicateurs, on l’a déjà signalé ici même, n’a progressé au premier trimestre que de 2,2%, soit le niveau le plus faible depuis au moins 2007. Et pour l’essentiel, les causes de ce ralentissement sont connues : hormis la baisse de la production agricole, il y a également le ralentissement des autres secteurs et la faiblesse de la demande étrangère, reflétée par la contre-performance de nombreux produits à l’export.
Le gouvernement Benkirane, qui arrive dans cette conjoncture, doit en outre faire face à l’éternelle problématique de la compensation, sous peine de voir filer encore plus le déficit budgétaire. Rappelons ici que l’année 2011 s’est achevée sur un déficit budgétaire de 6,2% (en réalité de 7% si l’on met de côté les recettes de privatisation). Mais les hésitations qu’il affiche sur cette question, comme d’ailleurs ses prédécesseurs, montre bien l’immensité de la tâche.
Même si dans la Loi de finances 2012, le gouvernement a introduit quelques mesures comme la hausse des vignettes sur certaines catégories de véhicules et des droits sur la première immatriculation, censées faire revenir dans les caisses de l’Etat une partie des subventions aux carburants, cela reste évidemment très insuffisant. Quelques dizaines, peut-être quelques centaines de millions de DH supplémentaires ! Une bagatelle par rapport aux 46 milliards de DH prévus pour la compensation (32 milliards pour 2012 et 14 milliards au titre des arriérés). Et encore, si les prix des matières subventionnées restent à leurs niveaux actuels, il faudra, à partir de septembre au plus tard, trouver de l’argent pour couvrir le reste de l’année, sous forme d’arriérés très certainement, c’est-à-dire, indirectement, de crédits…contractés auprès des distributeurs.
La difficulté supplémentaire pour cet Exécutif, mais qui est apparue bien avant lui, ce sont les finances extérieures, fortement dégradées. En raison de la crise qui frappe la zone euro, en particulier, les exportations croissent faiblement (+4,3% à fin avril), au moment où les importations, «boostées» par le renchérissement des prix des matières premières, progressent à un rythme toujours soutenu (+5,2%), engloutissant du coup les envois des MRE, en petite forme (+3,7%), et les recettes touristiques en quasi-stagnation (+1%).
Moyennant ces évolutions, il est acquis que la balance des paiements sur le premier trimestre (comme d’ailleurs sur le reste de l’année), qui sera publiée à la fin de ce mois, affichera un solde déficitaire, réduisant ainsi les réserves de changes, déjà à un niveau bas, puisqu’elles ne couvrent plus que 4 mois et une quinzaine de jours d’importations de biens et services.
Avec la récession prévue en zone euro, les déficits extérieurs pourraient s’aggraver
Il se trouve que sur le front des exportations, précisément, il n’y a pas grand-chose à attendre pour cette année puisque la zone euro, qui a évité de justesse la récession en réalisant une croissance nulle sur le premier trimestre, ne s’est pas encore tirée d’affaire. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a même prévenu que les pays de la zone euro risquent de s’enfoncer dans une «sévère récession» (-2% pour 2012) et, ainsi, affecter l’ensemble de l’économie mondiale. Il s’agit là, certes, d’un scénario pessimiste fondé sur l’hypothèse que les Européens continuent de diverger sur la thérapie à administrer à la crise qui les secoue (baisse des dépenses selon l’Allemagne, et combinaison entre maîtrise des dépenses et relance économique selon la France). Mais même dans son scénario «normal», l’OCDE prévoit, malgré tout, une récession pour cette zone (-0,1%) en 2012.
Ce détour par la situation en Europe s’impose pour souligner combien le contexte est difficile pour les entreprises marocaines tournées à l’export et, subséquemment, pour le niveau des réserves en devises, nécessaires pour continuer d’irriguer l’économie, d’un côté, et, on l’oublie souvent, pour pouvoir honorer sans trop de douleurs les échéances de la dette extérieure. Rappelons ici que le HCP a déjà prévu que le déficit du compte courant en 2012 atteindrait 7,1% du PIB au lieu de 6,6% en 2011 et de 4,3% en 2010.
Mais si le remboursement des amortissements de la dette extérieure n’a pas l’air de poser problème puisque le gros de cette dette est de maturité longue (elle est même à 100% de maturité moyenne et longue), le financement de l’économie en revanche est, lui, problématique. C’est bien pour cette raison que le ministère des finances admet réfléchir à un emprunt international même s’il refuse d’en divulguer et la date et le montant, et il a raison de le faire.
C’est qu’en effet les avoirs extérieurs nets sont en baisse de 15,3% au 23 mai 2012 par rapport à la même période de 2011 et de 10,4% par rapport au 1er janvier de cette année. Et cette baisse a exercé un effet restrictif sur les liquidités bancaires tel que Bank Al-Maghrib a dû augmenter ses interventions sur le marché monétaire, à travers notamment les avances à 7 jours sur appel d’offres, en injectant un volume moyen de 54 milliards de DH depuis le 17 mai. Dans pareil contexte, la création monétaire a accusé une baisse sur l’ensemble du premier trimestre (-0,6% ou -5,8 milliards de DH), non pas tant d’ailleurs en raison du seul repli des avoirs extérieurs, mais aussi de l’atonie des crédits distribués par les banques à l’économie.
L’inflation est à un niveau très faible
En termes de flux, en effet, les crédits ont été globalement négatifs de 2,1 milliards de DH, même si les variations sont différenciées d’une composante à l’autre (voir encadré). Et c’est l’investissement qui a été le plus touché par la baisse. Et à ce propos, signalons au passage que les dépenses d’investissement du Budget général ont, elles aussi, accusé un repli de 33% sur les quatre premiers mois de 2012 par rapport à la même période de 2011, et de 38% par rapport à 2010. Le retard dans l’adoption de la Loi de finances ayant sans doute été pour quelque chose, sinon pour beaucoup dans cette baisse. Cela a-t-il un lien avec la baisse des flux des crédits à l’équipement ? Peut-être bien que oui, car, bien souvent, c’est l’investissement public qui sert de locomotive à celui du privé.
S’agissant de l’autre composante de la demande, c’est-à-dire la consommation, notamment des ménages, son rythme d’évolution a été lent : 1,9% au premier trimestre par rapport à la même période de 2011 (6,3%). Tout cela explique d’ailleurs que le PIB n’a augmenté que de 2,2%, résultant à la fois d’une faible progression de l’investissement (public et privé) et de la consommation.
Enfin, l’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) est très faible : 0,7% sur les quatre premiers mois de l’année par rapport à la même période de 2011. Elle a même été négative pour le mois d’avril par rapport à mars (-0,2%). On ne peut pas dire pourtant que la Banque centrale, ces derniers temps, mène une politique restrictive, dont la faiblesse de l’inflation serait la résultante. Elle fait même le contraire en ramenant la réserve monétaire de 16% il y a trois ans à 6% actuellement et en abaissant le taux directeur de 3,25% à 3%.
Comment alors expliquer, dans un contexte de désinflation ou presque, le ralentissement de la consommation ? Est-ce dû à la hausse du chômage (+0,9 point, à 9,9% de la population active) ? Ou bien serait-ce l’effet combiné du chômage et de la baisse de la production agricole ?