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Le tassement des recettes touristiques menace les hôteliers

L’hôtellerie classée obligée de baisser ses prix à cause de la concurrence des destinations voisines, de l’informel, de la baisse du pouvoir d’achat des touristes… Malgré la hausse des arrivées et des nuitées, les marges des établissements s’effondrent. Les professionnels préconisent un retour au tourisme culturel et de découverte.

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Marrakech a accueilli touristes

Les arrivées de touristes étrangers ont progressé de 13,7% au premier semestre 2017 par rapport à la même période en 2016 et celles des MRE de 3,3%. Une performance qui ne s’est pas reflétée sur les recettes de voyages qui, elles, augmentent très lentement. On assiste même à une stagnation des revenus. A fin juin, ils ont fait du surplace (-0,5%) par rapport à la même période de 2016 pour s’établir à 32,9 milliards de DH. A fin juillet, ils se sont certes redressés de 3,1%, mais l’on reste loin des taux de progression à deux chiffres des arrivées et nuitées. Cette situation inquiète les professionnels. «La baisse des recettes de voyages traduit la perte d’attractivité de la destination Maroc», estime un expert.

Pour rappel, les recettes de voyages englobent toutes les consommations de biens et de services effectuées au Maroc par des touristes non résidents. Ce chiffre rapporté par l’Office des changes est obtenu par tracking des opérations effectuées à travers le réseau bancaire ou via les bureaux de change.

Les causes de ce ralentissement sont multiples. Mais celle qui revient le plus chez les professionnels du tourisme est la baisse des prix de l’hébergement dans l’hôtellerie classée. En effet, pour rester compétitive, la destination Maroc a dû s’aligner sur les offres des autres pays de la région, à savoir la Tunisie, la Turquie et l’Egypte qui mènent une véritable guerre des prix. Seuls les hôtels de prestige maintiennent leurs tarifs au Maroc. «A Marrakech, principale destination du Royaume, les hôteliers ont commencé à brader les prix depuis 2016. Et cela continue en 2017. A Agadir, on retrouve les mêmes pratiques mais avec une certaine maîtrise, puisque la ville est encore en sous-capacité. Aujourd’hui, les nuitées dans les établissements 5* sont vendues au prix des 4*. Les 4* sont à leur tour commercialisés aux prix des 3* et ainsi de suite», se désole Abdellatif Kabbaj, président du groupe Kenzi Hotels et de la Confédération nationale du tourisme (CNT).

L’orientation vers le balnéaire et le All Inclusive ont impacté les recettes

«Face à la concurrence des destinations voisines et à la baisse du pouvoir d’achat des touristes, les hôteliers n’ont eu d’autre choix que de baisser leurs tarifs. A ce titre, ils misent trop sur la formule All inclusive. Autre problème, la tendance est au tourisme balnéaire et non à la découverte du pays. Même Marrakech devient une destination balnéaire. Sauf qu’avec ses moyens, le Maroc ne peut concurrencer les pionniers du balnéaire dans la Méditerranée», détaille un spécialiste du secteur.

A Marrakech, la surcapacité structurelle n’aide pas non plus. «L’offre n’arrête pas d’augmenter alors que la demande est limitée. S’ajoute à cela les prêts bancaires des hôtels remboursables au Maroc sur 12 ans, contrairement à l’Egypte où le délai dépasse 20 ans. On se retrouve obligés de brader les prix pour remplir les hôtels et pouvoir ainsi rembourser nos prêts», déclare Abdelali Chaoui, propriétaire de l’Eden Andalou.

Un autre phénomène récent est la mise en location en masse des appartements invendus au centre-ville de Marrakech. «Avec la crise de l’immobilier, des spécialistes mettent en location un lot d’appartements invendus à travers la plateforme Airbnb pour 500 dirhams/jour et ne paient aucune taxe. Ce qui crée une concurrence déloyale vis-à-vis des hôteliers», s’alarme M. Chaoui. Airbnb vient en effet contribuer, de manière marginale, au tassement des recettes déclarées. C’est du moins l’avis des professionnels. Certaines villes européennes telles que Paris, Barcelone ou Amsterdam ont régulé la plateforme de location touristique à travers notamment le paiement de taxe de séjour. «Les mesures appliquées ailleurs dans le monde peuvent être synthétisées en une semaine et adaptées à la réalité marocaine», propose un hôtelier. Mais là ne réside pas le problème. Les hôteliers font face aujourd’hui à une véritable dégradation de leurs agrégats financiers à cause des baisses consenties sur les prix.

Elargir le spectre du tourisme vers les territoires

«Si les nuitées ont évolué de 17,7% et les recettes ont baissé de 0,5% à fin juin 2017, cela implique que la recette moyenne par client a chuté de 18,2%», analyse un hôtelier qui a préféré garder l’anonymat. Cet indicateur se redressera légèrement à fin juillet 2017 grâce à une reprise des recettes de voyage de 3,1%. Mais la situation microéconomique ne risque pas de s’améliorer. «La moindre perte de chiffre d’affaires a un impact exponentiel sur la marge brute qui peut s’effondrer de 30 à 40%. Parallèlement, les salaires et les coûts augmentent chaque année de 3 à 10%. A lui seul, le Smig évolue tous les 3 ans de 10%. Nous avons certes connu une accalmie au niveau des coûts de l’énergie. Mais de manière générale, les charges augmentent significativement lorsque la marge est compressée. Le résultat d’exploitation est par conséquent affecté de manière désastreuse», explique cet hôtelier. La situation pourrait se redresser à condition que les arrivées de touristes étrangers continuent sur le même trend haussier sur les deux à trois années à venir.

Au niveau macroéconomique, la valeur ajoutée pour l’économie nationale est sous pression. «Tout le monde y perd, que ce soit la ville, l’Etat ou les entreprises touristiques. Le travail doit donc se faire en bonne intelligence entre les associations professionnelles, les villes et l’Etat accompagnateur», suggère ce professionnel. L’image de la destination peut aussi avoir une conséquence sur l’attractivité du pays. Ainsi, à cause des événements de Barcelone ayant terni l’image du Maroc, des promotions imminentes seront consenties par les professionnels pour ne pas perdre le marché espagnol. A l’heure où le ministère du tourisme entame la révision de la vision 2020, il sera nécessaire d’inclure l’humain, d’augmenter le budget de promotion et d’élargir le spectre du tourisme vers les territoires. «Pour augmenter les recettes, il faut s’orienter vers cette expérience orientale rare et différenciée que nous savons offrir. Le potentiel existe à Fès, Meknès, Chefchaouen, Taroudant, Rissani, Tinghir et le désert…», commente ce spécialiste. Le bilan de la vision 2010 a conclu l’atteinte de 93% de l’objectif en termes d’arrivées et 91% en termes de recettes cumulées, soit 440 au lieu de 485 milliards de dirhams. Qu’en sera-t-il dans 3 ans et demi ? Stratégie à suivre.