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Le social absorbe 57% des dépenses du Budget général et pourtant…
Les budgets de l’éducation et la santé ont été multipliés respectivement par 3.5 et 4 en près d’une vingtaine d’années. Les dépenses de compensation « aspirent » plus de 6% de la richesse nationale produite. Les indicateurs sociaux se sont améliorés, mais certains secteurs accusent des retards parfois importants.

La perception qu’ont les observateurs du Maroc est que ce pays, malgré les niveaux de croissance relativement et globalement corrects qu’il réalise, traîne des déficits sociaux importants. Le 5e rapport sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD – voir La Vie éco de la semaine dernière), préparé et présenté par le Haut commissariat au plan (HCP) le 12 de ce mois, montre pourtant que des progrès énormes ont été réalisés depuis la date référence (1990) de cette feuille de route des Nations Unies jusqu’à aujourd’hui. Mais le rapport pointe également, il est vrai, les insuffisances et les retards, énormes dans certains secteurs, qui restent à combler.
La question peut se poser de savoir si cela est dû à une insuffisance de moyens, à une gestion peu efficace des moyens existants, ou à une mauvaise répartition des richesses produites.
Sur la question des moyens en tout cas, les statistiques disponibles, sur une période assez longue (une vingtaine d’années), laissent voir que, progressivement, le social occupe une grande place dans les dépenses publiques. En 2012, en effet, la part de l’enveloppe allouée aux secteurs sociaux représentait 55% du Budget général. Vingt ans plus tôt, en 1994 plus exactement, cette part était de 36%. C’est une hausse de 20 points, soit environ 1 point de plus chaque année. En raisonnant en termes de Budget de l’Etat et pas seulement de Budget général, c’est-à-dire en tenant compte des dépenses liées au Régime d’assistance médicale pour les économiquement démunis (RAMED) et à l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), la part des ressources allouées aux secteurs sociaux atteint 57% en 2012.
Comme les résultats obtenus ne le montrent pas assez, ce sont les départements de l’enseignement et de la santé qui bénéficient de l’essentiel de ces dépenses sociales. Entre 1994 et 2012, ces deux secteurs ont vu leur budget multiplié respectivement par 3,5 et par 4. Avant que les charges de compensation ne connaissent la croissance que l’on sait, la part des budgets de l’enseignement et de la santé représentait à elle seule 74% de l’ensemble des dépenses sociales (et pas seulement des dépenses du Budget général). Avec le renchérissement des prix des matières premières énergétiques et agricoles, en particulier, ainsi que l’augmentation de la consommation, les dépenses de subvention ont crû de…2000% entre 1994 (2,3 milliards de DH) et 2012 (48 milliards de DH). Ce faisant, la part des dépenses de l’éducation et de la santé a été ramenée en proportion, à 46% du total des dépenses allouées aux secteurs sociaux, contre 74% auparavant.
INDH : 17 milliards de DH pour la 2e phase 2011-2015
Rappelons qu’après la première phase 2005-2010 pour un montant de 14 milliards de DH, une deuxième phase de l’INDH, couvrant la période 2011-2015, a été lancée pour une enveloppe globale de 17 milliards de DH.
C’est clair, d’importantes ressources financières ont été et sont consacrées au social dans ce pays, même si d’aucuns peuvent estimer que cela est insuffisant au regard de l’ampleur des déficits accumulés à ce niveau. Mais d’autres peuvent également considérer que les résultats obtenus ne sont pas (ou pas tout à fait) à la hauteur des efforts consentis, et la preuve, c’est que le Maroc n’arrive toujours pas à améliorer sa position dans les classements mondiaux relatifs à la problématique du développement social. Selon les indications du rapport du HCP sur les OMD, si la pauvreté absolue (1 dollar en parité de pouvoir d’achat par jour et par personne) et la faim ont été quasiment éradiquées au Maroc depuis déjà le début des années 2000, il reste cependant des efforts à fournir pour lutter contre la pauvreté relative (2,15 dollars en PPA par jour et par personne) et surtout la pauvreté perçue ou sentie. Bien sûr, par rapport à il y a une quinzaine d’années, des progrès importants ont été réalisés à ce niveau, mais, paradoxalement, le phénomène des inégalités a suivi parallèlement une courbe ascendante.
Dans le secteur de l’éducation, tous les indicateurs montrent que la situation s’est nettement améliorée par rapport à ce qu’elle était au début des années 90. Par exemple, le taux de scolarisation dans le primaire (6-11 ans) est passé de 52,4% en 1990/1991 à 96,6% en 2011/2012. Mais comme le souligne le rapport du HCP, des facteurs exogènes à l’école, comme la pauvreté et l’enclavement dans les régions, sont autant de handicaps qui viennent entraver la scolarisation et surtout la rétention des enfants. Dans l’enseignement secondaire, en revanche, le taux de scolarisation des 12-14 ans, s’est certes nettement amélioré en atteignant 53,9%, mais cette amélioration semble s’expliquer par le fait que l’on partait de loin : 17,5% en 1990/1991. Ce qui veut dire que même si l’on a multiplié par 3 le taux de scolarisation de cette tranche de jeunes, le chemin si l’on peut dire n’est qu’à moitié parcouru.
Mortalité infantile et maternelle encore élevée
Il est significatif à cet égard qu’aujourd’hui encore, le taux d’analphabétisme au Maroc, même s’il a énormément reculé, reste élevé (30%). Grosso modo, seuls les pays de l’Afrique au sud du Sahara ont des taux d’analphabétisme plus élevés. Dans le domaine de la santé, pratiquement le même constat est établi: des progrès significatifs ont été réalisés, mais le Maroc demeure le pays où la mortalité infantile (enfants morts avant l’âge de 1 an sur le nombre total d’enfants nés vivants) est encore élevée: 29 pour mille. Idem pour la mortalité des enfants de moins de 5 ans : 30,5% pour mille. Ce sont là des valeurs élevées lorsqu’on sait que dans deux ans, en 2015, elles devraient pouvoir être ramenées respectivement à 19 pour mille et 25 pour mille, selon les objectifs fixés par la feuille de route des Nations Unies. Ces valeurs sont élevées surtout lorsqu’on les compare à celles des pays comme le Chili, le Panama, Oman, la Syrie, ou même la Tunisie et l’Algérie pour citer les pays du voisinage immédiat. Le taux de mortalité maternelle (nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes) demeure lui aussi élevé au Maroc : 112 décès en 2009, contre, il est vrai, 332 décès sur la période 1985-1995. C’est un progrès énorme, mais d’autres pays ont fait mieux (Jordanie, Irak, Pérou, Syrie, etc.).
Il faut le dire, ce qui tire vers le bas ces valeurs, c’est surtout la situation qui prévaut dans le milieu rural. D’où la nécessité de réduire les inégalités non seulement sociales mais aussi spatiales.
