Affaires
Le secteur du textile et cuir tire à la baisse l’emploi industriel
L’emploi dans l’industrie manufacturière, hors textile et cuir, a augmenté de 63,5% entre 2007 et 2016.
Les services personnels et domestiques, une branche appelée à se développer fortement.
Les emplois peu ou pas qualifiés à l’épreuve des mutations de l’économie.
En 2016, l’économie marocaine a perdu 37 000 emplois nets. Ainsi présentée, l’information est au minimum incomplète. En fait, les 37000 emplois perdus sont le solde entre la création de 126 000 postes d’emplois rémunérés, dont 25 000 en milieu urbain, et la destruction de 163 000 postes non rémunérés, en totalité enregistrés en milieu rural, nous apprend l’enquête du HCP sur le marché du travail en 2016. Sous cet angle, la dynamique de l’emploi apparaît non plus seulement comme un processus d’accumulation quantitative, mais aussi de transformation qualitative des structures de l’économie. Certes, cette transformation est encore lente, elle n’en est pas moins réelle cependant. Pour le vérifier, il importe d’observer l’évolution de l’emploi non plus seulement dans les grands secteurs d’activité, mais aussi à travers le comportement des branches et même des sous-branches d’activité (pour autant que l’information soit disponible, ce qui n’est pas toujours le cas).
La situation du secteur industriel est, à cet égard, intéressante à observer. Souvent, l’on a expliqué que ce secteur ne crée pas assez d’emplois, ce qui, admettons-le, n’est pas tout à fait faux. En termes agrégés, en effet, l’industrie (y compris l’artisanat) n’a créé, ces quinze dernières années, que 1 000 emplois nets par an en moyenne. Bien plus, en croisant les chiffres du HCP et ceux du ministère de l’industrie, on constate que sur les dix dernières années, le volume d’emplois du secteur industriel (y compris l’industrie extractive et l’artisanat) a baissé de 8% (-100 000 emplois) à 1 166 000 emplois.
Et cependant, lorsqu’on décompose ces statistiques par branches, on se rend bien compte que les pertes d’emplois ne concernent que l’artisanat et l’industrie du textile et cuir, soit les métiers à fort contenu en main-d’œuvre et souvent de moindre qualification. A cela, il faut ajouter, s’agissant du textile et cuir, la forte concurrence des pays asiatiques, en particulier ; une concurrence face à laquelle, du reste, de grands pays comme la France et les États-Unis n’ont pas pu (ou su) résister. Résultat : la part du textile et cuir, qui représentait près de 44% de l’emploi industriel en 2007, tombe à 28% aujourd’hui.
Le volume de l’emploi dans l’agroalimentaire a presque doublé en dix ans
Mais hormis le textile et cuir (ainsi que l’industrie extractive dont l’emploi a quasiment stagné), les autres branches des industries de transformation ont réalisé, entre 2007 et 2016, une croissance de l’emploi de 63,5% (ou +166 756 postes nets). Et toutes les branches y ont participé. Ainsi, la branche agroalimentaire a vu son volume d’emplois augmenter de 93,4%, à 142235 postes sur la période considérée ; celle de la chimie et parachimie de 38%, à 123656 emplois ; l’industrie mécanique et métallurgique de 82,8%, à 91 278 postes, et enfin, l’industrie électrique et électronique de 43,6%, à 68 234 postes d’emplois.
Bien entendu, on peut considérer que, sur dix ans, ce niveau de création d’emplois est insuffisant au regard des besoins exprimés et qui se manifestent dans le taux de chômage, bloqué à légèrement moins de 10% depuis une dizaine d’années. A ceci près que ces industries-là, contrairement au textile et cuir, sont capitalistiques et relativement peu consommatrices de main-d’œuvre peu qualifiée. D’ailleurs, lorsque le secteur industriel est appréhendé dans son ensemble (y compris donc le textile et cuir), la productivité du travail, entre 2008 et 2014, y est la plus faible (+0,1%), alors que dans l’agriculture, elle est de 9,2% et dans les services de 3,3%, selon les indications du HCP, publiées dans son étude sur le rendement des investissement en 2016. Mais c’est déjà mieux que sur la période 1998-2007 où la productivité du travail dans l’industrie était négative (-1,6%). La légère amélioration obtenue sur la période suivante (2008-2014) n’a été possible que parce que, précisément, il y a eu une baisse des emplois occupés, principalement dans l’industrie du textile et cuir. Il serait toutefois intéressant de mesurer le niveau de productivité du travail des seules industries de transformation, non compris le textile et cuir. Car, sans aucun doute, c’est cette branche qui tire vers le bas les indicateurs du secteur.
Quid des autres branches d’activités, hors industrie ? Dans le secteur secondaire, le BTP est, après l’industrie, le deuxième gros employeur. Le volume global d’emplois, entre 2007 et 2016, y a augmenté de 15,4% à plus de 1 million de postes. Là encore, en dix ans, l’évolution est relativement faible compte tenu des caractéristiques de cette activité et de son potentiel de croissance. Mais c’est compter sans la crise qui a frappé le BTP, engendrant des pertes nettes d’emplois en 2012 et 2013 (-70 000 postes) et une stagnation en 2014. Avec la reprise de l’activité en 2015 et 2016, 54 000 emplois nets ont été créés au cours de ces deux années. Inutile de rappeler cependant que les emplois ici sont fortement marqués par leur précarité, et il est significatif à cet égard que le taux de sous-emploi y est le plus élevé, approchant les 20%, contre 9% dans l’industrie par exemple.
Dans l’activité électricité, gaz et eau, autre branche du secteur secondaire, les chiffres disponibles montrent, en revanche, une baisse du volume de l’emploi de 18,6%, à 34 000 postes environ, par rapport à 2007. Cette évolution ne devrait toutefois pas surprendre ni étonner, compte tenu, d’une part, de la technicité qui caractérise ces métiers, et, d’autre part, de la forte numérisation de certaines tâches, comme le paiement des redevances par exemple. De ce point de vue, la baisse de l’emploi aurait pu être plus importante n’était le développement de la filière des énergies vertes. Et, justement, vu les nombreux programmes prévus ou en cours de réalisation, on peut penser qu’à terme cette filière pourra permettre de rééquilibrer le volume global de l’emploi dans cette branche.
Commerce de détail et de gros, la branche qui emploie le plus
Dans le secteur tertiaire, la branche commerce de détail et de gros est celle qui offre le plus grand nombre d’emplois : 1 487 000 postes, soit une hausse de 16,7% par rapport à 2007. C’est de loin la branche d’activité qui emploie le plus de monde, tous secteurs confondus. Rien d’étonnant là encore puisque, en général, le commerce, sauf pour certaines tâches, n’exige pas de qualification particulière ni même d’ailleurs de fonds substantiels. En particulier dans le commerce de détail.
Avec quelque 560 000 emplois en 2016, soit une augmentation de 20,3% par rapport à 2007, la branche des services personnels et domestiques (coiffure et soins de beauté, blanchisserie-teinturerie, bains et soins corporels, travail domestique, etc.) occupe la deuxième place dans le secteur tertiaire. Et il est à parier que, évolution de la société aidant (nucléarisation de la famille, allongement de l’espérance de vie, etc.), cette branche d’activité ira en se développant, comme il est loisible de le constater ailleurs. En revanche, l’emploi dans les services sociaux fournis à la collectivité (santé, enseignement, cultes, hygiène…) n’a que très peu progressé en dix ans : +2,6%, à 547 000 postes environ. La branche «transport, entrepôt et communication» a également peu évolué en termes d’emploi : +6%, à 480000 postes. Par contre, le volume de l’emploi dans l’hôtellerie et la restauration a, lui, enregistré une croissance de 24,6%, à 270 000 postes environ par rapport à 2007. Dans la branche «réparation», l’emploi a presque stagné : +1,3%, à 185 600 postes sur la période considérée. Faut-il y voir la conséquence du développement du consumérisme, avec des produits plutôt «jetables», en tout cas à faible durée de vie ? Grâce à la baisse des prix des produits de grande consommation et l’accès relativement facile au crédit, il est souvent plus intéressant de s’offrir un «frigo» neuf, par exemple, que de prendre la peine de réparer l’ancien.
Au total, si le volume global de l’emploi ne progresse pas suffisamment et que, par conséquent, le chômage se maintient au même niveau qu’il y a dix ans, c’est parce que l’économie, confrontée aux exigences de la compétitivité, est sommée en quelque sorte d’opérer sa propre mue. Moyennant quoi, les emplois peu ou pas qualifiés et ceux, encore nombreux, qui ne sont pas rémunérés (plus de 20%) en feront les frais.