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Le projet du chantier naval de Casablanca fait polémique
La configuration retenue pour la future zone du chantier naval ne plaît pas à tout le monde n Celle-ci prévoit la construction d’une cale sèche en premier, avant l’élévateur qui ne serait prévu que pour le moyen terme. Des professionnels considèrent que la nature de la demande impose un schéma contraire.
C’est la grande polémique du moment dans le secteur portuaire. Depuis quelques jours, le projet de construction du nouveau chantier naval du port de Casablanca fait l’objet de vives critiques de la part de plusieurs spécialistes du secteur maritime. En cause, le schéma retenu pour la future zone ne serait pas idéal pour son exploitation. Certains vont jusqu’à considérer que le projet est «mort-né», vu qu’aucun des opérateurs censés prendre en charge son exploitation n’oserait y investir alors qu’il paraît non rentable.
Pour avoir une idée claire sur la question, La Vie éco a approché le principal opérateur marocain concerné par le chantier naval, à savoir Chantiers et Ateliers du Maroc (CAM), ainsi que le maître d’ouvrage du projet, l’Agence nationale des ports (ANP). Le premier confirme en effet que la configuration retenue pour le projet risque de poser des problèmes, et ce, d’abord pour des raisons purement économiques. «Actuellement, le marché de la réparation navale est constitué principalement d’armateurs disposant de navires de taille moyenne», explique Chafiq Essakalli, PDG de CAM. Cela appelle donc à la mise en place de structures qui tiennent compte de cette spécificité. Selon les spécialistes du secteur portuaire, l’expérience à l’étranger a démontré que la structure la mieux adaptée pour cela est la plate-forme élévatrice. Il s’agit d’une sorte d’ascenseur qui plonge dans l’eau pour élever le navire qui sera ensuite transbordé dans le terre-plein pour la réalisation des travaux. Ce n’est pourtant pas la structure priorisée par l’ANP. Cette dernière a prévu la réalisation, dans un premier temps, d’une cale sèche d’une capacité de 240 m. Celle-ci est destinée à des navires d’une taille plus importante et ne serait donc pas adaptée à la demande actuelle adressée au Maroc. De même, si l’élévateur permet d’entamer les travaux de réparation sur plusieurs navires en même temps, la cale sèche ne permet généralement de traiter qu’un voire deux navires, au maximum, à la fois. Ce qui constituerait selon les détracteurs du projet une véritable menace pour la rentabilité du chantier naval.
L’ANP motive ses choix par une vision à long terme
Pourquoi donc retenir ce scénario s’il paraît aussi inadapté à la réalité du marché? Auprès de l’ANP, on motive ce choix par une vision à long terme du projet. Actuellement, le ministère de l’équipement, du transport et de la logistique se penche sur la conception d’une stratégie nationale dédiée au secteur de la réparation navale. Parmi les principaux objectifs de cette stratégie : renforcer le positionnement du Maroc dans l’échiquier international de l’entretien et la réparation navale. Cela devrait renforcer son attractivité et lui permettre d’attirer de grands armateurs internationaux. L’ANP souhaite anticiper cela en offrant au port de Casablanca la structure adaptée pour répondre à la nouvelle demande. De même, des demandes auraient déjà été formulées à l’ANP par des navires étrangers dont la taille dépasse 180 m. Cet argument n’est cependant pas pour convaincre les professionnels qui critiquent le projet de construction du chantier naval. «Si l’on estime que la cale sèche est la mieux adaptée à la demande future, pourquoi alors prévoir dans la deuxième tranche du projet la mise en place de la plateforme élévatrice?!», nous confie un spécialiste du secteur portuaire.
Un autre volet est également pointé du doigt dans le schéma retenu. Dans la pratique, en plus de la cale sèche et l’élévateur, un aménageur portuaire peut également prévoir un quai de réparation des navires à flot. Généralement, il sert pour les petits travaux d’entretien et de réparation qui ne nécessitent pas la mise à sec du navire. Dans le cadre du projet du chantier naval de Casablanca, il est prévu d’intégrer cette composante dans la première phase de réalisation du chantier. Or, selon le plan fourni en marge de l’appel d’offres lancé par l’ANP et qui est relatif aux travaux de construction, ledit quai est situé à l’entrée de la cale sèche. Selon cette configuration, l’accès à la cale sèche ne peut se faire que si aucun navire n’est stationné dans le quai, chose qui paraît illogique aux yeux de CAM. «Cela revient à déplacer les navires stationnés sur le quai à chaque fois qu’un autre navire veut entrer ou sortir de la cale sèche. Cela est non seulement contraignant, mais nuit également à la compétitivité du chantier naval», explique Chafiq Essakalli. En fait, les réparations à flot des navires sont des opérations qui ne nécessitent que des délais courts pour leur réalisation. Comment un armateur peut-il accepter de voir son navire immobilisé plusieurs heures de plus rien que pour gérer cette contrainte liée au positionnement du quai ? Ceci est d’autant plus problématique que le port de Casablanca est fortement concurrencé par d’autres ports dans la région qui semblent plus compétitifs dans le domaine de la réparation navale. Pour l’ANP, des simulations ont déjà démontré que le temps nécessaire pour le déplacement des navires en cas de besoin n’était pas considérable. Bref, ce sont là autant de problématiques qu’il faut aujourd’hui gérer pour réussir le challenge de faire de Casablanca un hub de la réparation navale.