Affaires
Le poisson moins cher que les légumes…
Ramadan est la période de forte demande, en particulier sur les produits alimentaires. Mais cette fois c’est un peu troublant, le poisson qui enregistre d’habitude des flambées notoires, toutes proportions gardées, se place désormais derrière les légumes.

C’est toujours la même chanson, Ramadan signifie une escalade systématique des prix. Exception faite de cette année, en principe la vedette éternelle de la hausse a toujours été le poisson. Comme on a pu le remarquer durant cette première semaine du mois sacré, on ne parle plus que des légumes qui ravagent la bourse de la ménagère. Personne, ou presque, ne se soucie du cours des prix des pélagiques et autres fruits de mer, pourtant très prisés durant Ramadan. Même le HCP, en parlant de hausses des produits alimentaires observées entre janvier et février 2023, a placé les «poissons et fruits de mer» parmi les produits dont les prix ont diminué de 1,0%.
Peut-être parce que la flambée des prix du poisson est devenue une triste habitude en cette période…, avec une inflation atteignant parfois le double du prix ordinaire de certaines espèces. Cela, bien sûr, en prenant en compte l’inévitable circuit bien installé des intermédiaires et des spécialistes de la spéculation.
Mais selon les explications de Said Ibrahim, professionnel du marché de poisson, il y aurait de nouvelles donnes qui font que «le circuit du produit en soi a connu des bouleversements structurels depuis quelques années. D’abord le secteur a reçu des “professionnels’’ supplémentaires, des gens qui ont perdu leur travail suite à la pandémie et qui se seraient convertis en poissonniers (houwata). Ensuite, le développement grandissant des infrastructures à travers toutes les régions de notre pays, la modernisation des moyens de transport de marchandises ont facilité l’écoulement régulier d’énormes quantités vers les villes de l’intérieur…». Et d’ajouter que «même des jeunes auto-entrepreneurs des villes de l’intérieur comme Meknès ou Khénifra ont intégré le domaine avec leur propre méthode de commerce de gros ou de semi-gros». C’est pour dire que dans le temps, le poisson arrivait des villes de Dakhla, Essaouira, Safi…, vers Casablanca avant qu’il ne soit redistribué vers, justement, ces villes de l’intérieur. Ce n’est plus le cas, les professionnels dans ces villes reçoivent désormais directement la marchandise qui sera redistribuée dans leur région.
Par conséquent, les quantités qui affluaient vers le marché de gros de poissons de Casablanca Lahraouiyyine sont considérablement réduites. Même du côté du port de la même ville, les quantités débarquées sont rapidement vendues. Et on ne parle pas des nouveaux acteurs du secteur. Ces entreprises qui opèrent à travers des applications web.
Des packs de poissons de votre choix emballés en polystyrène et refroidis à -4 degrés, température à laquelle ils arrivent jusqu’à votre porte.
Une autorégulation particulière des prix
Par ailleurs, plusieurs commerçants sont unanimes sur le fait que durant toute l’année 2022, le poisson a toujours été cher et pas que pendant Ramadan, comme auparavant. Lundi 27 mars, au marché de poisson de Souk Essalam, marché Bazil Hay Mohammadi et celui de Fal El Hana à Ain Sebaâ, la sardine est proposée à la vente entre 20 et 25 DH le kilo, la sole, celle de qualité moyenne, à 60-70 DH le kilo, le calmar de 140 à 160 DH et la crevette dépasse les 120 DH le kilo. En parlant de qualité moyenne, notre interlocuteur confie qu’il existe des espèces tellement chères qu’elles n’atteignent jamais les quartiers populaires. Par exemple, une espèce de sole qui coûterait 120 DH le kg.
On s’éloigne là du cliché traditionnel des bateaux qui apportent leur cargaison pour la proposer aux enchères, les acheteurs déclarés auprès du ministère de tutelle qui ont le droit d’y accéder…
Aujourd’hui, on ne peut pas parler d’autorégulation des prix de vente du poisson selon l’offre et la demande. Certes, en théorie, c’est bien le cas mais il s’agit d’une offre bien maîtrisée par les puissants lobbys qui détiennent l’information sur l’état du marché et influent en temps réel sur le cours des prix. «Ceux qu’on appelle intermédiaires sont des professionnels bien organisés. Financièrement très puissants, ils adoptent une approche d’achat agressive en faisant monter les prix afin de s’arroger l’ensemble de l’offre, quelles que soient les quantités débarquées. Des groupes ou des associés qui se partagent le marché selon les espèces. Il y a par exemple le spécialiste du merlan qui va s’adjuger coûte que coûte toute la cargaison. Celui spécialisé dans la crevette fait la même chose et ainsi de suite», explique Youssef Zagmote, un marchand de Lahraouiyyine. D’un autre côté, Saïd Ibrahim affirme que si tout se vendait quel que soit le prix, il faut savoir que les gens n’achètent plus le poisson à la même fréquence d’autrefois lorsque le client s’approvisionnait chaque semaine. «L’actuelle cadence dure 10 ou 15 jours. Autrement dit, on ne fait que traîner des petites quantités en attendant ce rendez-vous bimensuel, sachant que c’est le consommateur qui a toujours le choix», souligne-t-il. A signaler que le mois de Ramadan n’a pas un rendez-vous fixe dans l’année, il fait toujours le tour des quatre saisons, Ramadan en été n’est pas le même qu’en hiver ou au printemps et donc on peut rencontrer une abondance de l’offre comme on peut se retrouver face à une pénurie d’un ou de plusieurs produits. Pour l’heure, on n’en est pas encore là…
Le hotshot qui fait jaser
Comment faire pour limiter les prix élevés des légumes et divers produits alimentaires de base ? Les experts affirment que l’inflation au Maroc, en principe conjoncturelle, devient structurelle. Elle ne serait plus due à des facteurs exogènes et donc passagères, mais bel et bien liée à l’augmentation des coûts de production, les coûts de l’énergie et des intrants importés. Le choc de cette année provient de cette cherté démesurée des fruits et légumes. Entre les conditions climatiques,
la vague de froid et les exportations, l’observateur perd le nord pour comprendre exactement les causes de cette incroyable flambée. Il faudrait un congrès de psychiatres pour y parvenir. Et même après la décision du gouvernement de réduire les exportations, la situation n’a pas vraiment changé. Les personnes vulnérables, notamment le milieu rural, sont les plus pénalisés. Le HCP, concernant l’Indice des prix à la consommation au cours du mois de février 2023, parle des hausses des produits alimentaires observées. Il s’est avéré que la hausse a impacté les légumes avec 17,8%, les «Fruits» avec 5,7%, les «Viandes» avec 4,3%, le «Lait, fromage et œufs» avec 2,3%, les «Huiles et graisses» avec 1,3%, le «Café, thé et cacao» avec 0,5% et les «Eaux minérales, boissons rafraîchissantes, jus de fruits et de légumes» avec 0,3%. C’est tellement inhabituel que le gouvernement a pris des mesures pour endiguer l’inflation, sinon la situation aurait pu être bien pire pour les ménages marocains.
