Affaires
Le nombre de grèves au Maroc a doublé en un an
356 grèves effectives rien que pour les 9 premiers mois de 2011 contre 241 pour toute l’année 2010. Le nombre de journées de travail perdues au titre de l’année entière tourne autour de 250 000, au lieu de 77 277 il y a cinq ans. La situation aurait été pire si 609 grèves n’avaient pas été évitées.
Est-ce une surprise en ces temps de crise économique et d’effets de mimétisme induit par le printemps arabe ? Certes, non, mais l’année 2011 marque une très forte recrudescence de la conflictualité dans le monde du travail. Rien qu’au titre des neuf premiers mois de l’année, le nombre de grèves effectives recensées par le ministère de l’emploi a battu le record de ces dix dernières années en s’établissant à 356. Il faut remonter à 2001 pour oser une comparaison, mais qui n’en est pas tout à fait : 309 grèves à l’époque.
Est-ce dû réellement à une dégradation plus grande des conditions de travail des salariés ? Ou bien, serait-ce la conséquence, en forme de libération de l’action revendicative, de l’effervescence que connaît le monde arabe depuis plus d’un an ?
Sans doute un peu des deux, mais quelle qu’ait pu être la cause de ces débrayages, le fait est que leur déclenchement a occasionné la perte de près de 200 000 journées de travail. Et encore, ces chiffres ne couvrent que les neuf premiers mois de l’année ; le décompte pour toute l’année 2011 n’ayant pas encore été achevé. En extrapolant linéairement l’année 2011 s’achèverait sur 267 000 journées de travail perdues. En prenant un seuil minimum ce sont au bas mot 250 000 journées de travail qui se sont envolées en fumée.
Le nombre d’établissements touchés par ces grèves s’élève à 265 pour les neuf premiers mois, soit environ 300 pour l’année, contre 194 en 2010, 185 en 2009, 179 en 2008 et 147 en 2007. Le piquet de grève, on le voit dans cette évolution, tend à se propager, ce qui indique une exacerbation du mécontentement des travailleurs. C’est d’autant plus vrai que les statistiques concernant les grèves évitées sont encore plus «lourdes» pour ainsi dire. Selon le ministère de l’emploi, sur les neuf premiers mois de 2011, ce sont 727 conflits, touchant 609 établissements qui ont pu être évités ; soit le double de ceux qui ont été déclenchés.
Cette recrudescence des conflits collectifs de travail intervenant après les améliorations de revenus décidées dans le cadre du dialogue social, montre à l’évidence que les attentes des travailleurs sont loin d’être satisfaites.
La convention 87 sur la liberté syndicale toujours en attente de ratification
En réalité, à l’exception de la baisse de l’impôt sur le revenu, le reste des décisions prises dans le dialogue social concerne plutôt les fonctionnaires et les retraités ; les salariés du secteur privé, eux, ont eu droit à une hausse, en deux tranches, du SMIG, mais cela fait déjà quelque temps que le niveau du SMIG, même après la dernière augmentation (à 2 300 DH/mois), est jugé trop faible, voire pour certains «indécent». C’est la raison pour laquelle les centrales syndicales font régulièrement échos à cette insatisfaction des travailleurs en revendiquant un SMIG à 3 000 DH. Il serait d’ailleurs intéressant de recenser, sur la base des procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail, les motifs ayant conduit au déclenchement des grèves et plus généralement les motifs de l’action revendicative. C’est certain, l’amélioration des conditions de vie des salariés reste le motif principal et légitime de la contestation dans l’entreprise, mais on a vu apparaître ces dernières années des actions liées à la liberté syndicale et à la solidarité entre travailleurs opérant dans des entreprises différentes. Selon les témoignages de syndicalistes, la liberté syndicale, pourtant consacrée dans le code du travail, n’est pas toujours respectée par certains entrepreneurs. «Des travailleurs ont subi des pressions et parfois des sanctions pour avoir voulu monter un syndicat dans l’entreprise. Cela aussi constitue dans certains cas un motif pour une grève de solidarité», témoigne notre syndicaliste.
Rappelons à ce propos que le Maroc n’a toujours pas ratifié la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) numéro 87 relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical. Il semble que la non-ratification de cette convention, qui existe depuis juillet 1948, est liée à des considérations autres que celles de la liberté syndicale proprement dite.
Le gouvernement sortant avait programmé la ratification de cette convention, ce qui laisse penser que des évolutions sont en cours sur cette question. Quoi qu’il en soit, une chose est aujourd’hui admise, à peu près de tous : l’existence de syndicats dans les entreprises, par les possibilités de dialogue que cela offre, est souvent le meilleur moyen de prévenir les conflits. Sachant la faiblesse du taux de syndicalisation au Maroc (10% en étant optimiste), l’exacerbation des conflits que montrent les statistiques ne devrait donc ni étonner si surprendre !