Affaires
Le Maroc sous la menace d’une grave pénurie d’eau d’ici à 20 ans
Le potentiel des ressources en eau qui était de 2 560 m3 par habitant en 1960 est tombé aujourd’hui à 900 m3.
Pour garantir 745 m3 par habitant et par an à l’horizon 2020, l’Etat devra investir au minimum 3 milliards de DH/an.
Pour l’instant, et en l’absence d’une vision globale, les solutions mises en œuvre restent insuffisantes.

Les spécialistes tirent la sonnette d’alarme. Ils sont aujourd’hui unanimes à considérer le Maroc comme un pays dont les ressources en eau sont menacées. Si l’on n’y prend garde, expliquent-ils, le pays va droit vers la pénurie entre 2020 et 2025. Cela veut dire que les disponibilités en eau descendront irrémédiablement en dessous du seuil critique de 500 m3 par habitant avec, bien sûr, de grandes disparités. Au total, pas moins de 13 millions de Marocains seront en situation de manque.
Aujourd’hui, le potentiel des ressources en eau mobilisées est de 1000 m3 par habitant et par an, un chiffre ramené à moins de 900 m3 par des spécialistes. Auquel cas, nous serions déjà en situation de stress hydrique(*). Pour avoir une idée du recul des ressources en eau, il suffit de savoir qu’en 1960, nous disposions d’un potentiel de 2 560 m3/hab./an. A côté de tout cela, il faut savoir que le potentiel actuel n’est pas uniforme sur l’ensemble du pays puisque, du nord au sud, il varie de 1 850 m3 à 100 m3 à peine. Sans la politique des barrages – le Maroc est le premier pays africain à avoir lancé une réflexion sur la problématique de l’eau – la situation aurait pu être pire.
Dans le même ordre d’idées, il faut souligner que si le pays doit son stress hydrique à sa situation géographique (zone semi-aride à aride), d’autres raisons font de cette contrainte un véritable boulet. En effet, le Maroc souffre de grandes disparités en matière de pluviométrie. C’est au Nord, autour du Tangérois, et aux abords des chaînes de l’Atlas que les précipitations sont les plus importantes, avec une moyenne annuelle comprise entre 600 et 800 mm. Avec 400 à 600 mm/an, le centre est aussi relativement bien arrosé. Partout ailleurs, la moyenne est comprise entre 200 et 400 mm/an et peut même se situer en dessous de 200 mm. A côté de cela, il ne pleut que 70 jours dans le nord et 30 jours au sud. Il faut donc être en mesure de stocker l’eau dans un laps de temps extrêmement court pour se prémunir contre les périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes et longues (1944/45, 1980-1985, 1991-95 et 1998-2002).
Ces vérités-là, Abdelkebir Zahoud, secrétaire d’Etat en charge de l’Eau, les prend avec circonspection. En effet, le ministre reconnaît que la menace qui plane sur le pays est bien réelle mais elle ne deviendrait inquiétante que si les mesures pour la contrer n’étaient pas prises.
Pour le ministre, la réalisation du programme d’accompagnement, d’économie de la ressource, de transfert des régions excédentaires vers les régions déficitaires, les mesures de préservation des nappes, de maintenance des ouvrages et le recours aux moyens non conventionnels (dessalement et traitement de l’eau saumâtre) sont autant de chantiers sur lesquels le pays a une vision et un échéancier.
Le rythme de construction de 2 à 3 barrages par an sera maintenu jusqu’en 2030
L’ensemble de ces actions, souligne M. Zahoud, va permettre au pays d’assurer un potentiel de 745 m3 par habitant en 2020. Sur le financement, précise-t-il, il faut impliquer les collectivités locales, car le train de mesures préconisé ne peut être financé correctement en deçà de la mobilisation d’au moins 3 milliards de DH par an. Or, la Loi de finances de 2005 consacre à peine un budget de l’ordre d’un milliard au département de l’Eau. Et là encore, ajoute le ministre, qui appelle de ses vœux la création d’un «fonds de l’eau», «dans la somme indiquée, il ne faut pas inclure la réalisation d’ouvrages de grande envergure comme ceux qui permettront le transfert, à partir du barrage M’jaâra, d’un milliard de m3 du Sebou vers l’Oum Rabiaâ qui connaît un déficit».
D’après une étude non encore validée, l’infrastructure qui permettrait de transférer les eaux excédentaires du nord vers le centre porterait sur quelque 13 ouvrages, nécessitant un investissement total dépassant les 10 milliards de DH. Mais dans la somme que réclame le ministre, qui veut classer la question de l’eau comme la priorité des priorités, il inclut néanmoins la construction de 2 à 3 barrages par an. En effet, le programme des barrages, loin d’être achevé, doit être maintenu à ce rythme jusqu’en 2030. Mais aujourd’hui, la construction de ces ouvrages doit être précédée et subordonnée à une étude des besoins.
Si le ministre veut rassurer sur la capacité du pays à remédier à son stress hydrique, il n’en reconnaît pas moins que ce n’est qu’au prix du programme d’action prôné que l’on assurera la fameuse moyenne de 745 m3 à l’horizon de 2020. Sachant que cette moyenne le maintient néanmoins dans la zone de tension, comme l’estiment les spécialistes.
Une autre vérité ne doit pas être perdue de vue : tout retard ou report dans la réalisation de ces infrastructures peut coûter cher. Les Marocains gardent encore en mémoire, l’année (début des années quatre-vingt-dix) où, à cause du retard pris dans la construction du barrage El Hachef, Tanger a dû être approvisionnée en eau potable par bateaux-citernes à partir de Jorf Lasfar.
60% de l’eau utilisée dans l’agriculture est gaspillée
Le secrétariat d’Etat chargé de l’Eau estime les précipitations totales sur le Maroc à 150 milliards de m3 en moyenne, dont 120 milliards s’évaporent ou sont absorbés par les plantes. Sur les 30 milliards de m3 (écoulement et infiltrations), la quantité d’eau mobilisable est de l’ordre de 19 à 20 milliards de m3, dont quelque 15 milliards de m3 en eau de surface et 4 autres milliards provenant des nappes phréatiques.
La demande actuelle en eau pour la consommation, les usages industriels et l’irrigation est évaluée à 11,5 milliards de m3 et l’on projette que ces besoins vont être de l’ordre de 15,5 milliards de m3 d’ici à 2020.
D’où l’effort de mobilisation, de construction d’ouvrages de retenue, de sécurisation de l’existant, de recherche et le recours aux moyens non conventionnels (dessalement et déminéralisation) qu’il faut entreprendre d’ici là.
Mais il faudra surtout réfléchir aux mesures d’économie. Sur 10 milliards de m3 d’eau utilisés, l’agriculture en laisse couler dans la nature quelque 6 milliards. En subventionnant le prix de l’eau, l’Etat permet certes aux citoyens de s’approvisionner à coût abordable, mais l’agriculture profite aussi de la subvention, sans que l’on ne se pose la question du rendement.
Cette constatation amène plusieurs questions.
En premier lieu, si la politique actuelle consiste à mobiliser toujours plus d’eau, est-elle couplée à une politique qui, elle, devrait s’attacher à éviter les pertes ? On ne raisonne pas, ou peu, en termes d’économie.
En second lieu, et selon les experts, la solution à la pénurie prévisible dans les provinces du sud passe par la mise en place d’unités de dessalement (on parle d’une pénurie d’eau à Agadir d’ici à 2015). Or, l’eau dessalée coûtant cher – 20 DH par litre – ne devrait-on pas chercher à ramener le coût de revient de cette eau à des prix raisonnables ? L’usage de l’énergie éolienne pour l’unité de Tan-Tan est un exemple à reproduire. Aux Etat-Unis, on est arrivé à faire baisser ce seuil à 4 DH seulement.
Enfin, et en troisième lieu, la question de l’eau est aujourd’hui du ressort de plusieurs départements. En dehors de ceux de l’Eau et de l’Equipement, celui des Eaux et Forêts, mais également celui de l’Energie sont concernés. L’eau fait-elle l’objet d’une politique intégrée ? Pas sûr .
Aujourd’hui, le potentiel des ressources en eau mobilisées est de 900 m3 par habitant et par an. Pour avoir une idée du recul des ressources en eau, il suffit de savoir qu’en 1960, nous disposions d’un potentiel de 2 560 m3/hab./an.
