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«Le Maroc est concerné par la guerre commerciale sino-américaine»
Le protectionnisme effréné de Donald Trump pourrait impacter la sidérurgie marocaine en augmentant les surcapacités des concurrents du Maroc. La profession a réclamé au gouvernement de maintenir les mesures de sauvegarde qui arrivent à échéance entre fin 2018 et fin 2019. La consommation nationale d’acier demeure faible par rapport aux pays voisins, ce qui nourrit l’optimisme des industriels.

Élu pour un mandat de trois ans à la tête de l’Association des sidérurgistes du Maroc (ASM), Amine Abrak revient pour «La Vie éco» sur sa vision et ses priorités. Il s’est longuement attardé sur les impacts négatifs de la guerre commerciale sino-américaine autour de l’acier et le protectionnisme américain sur la sidérurgie marocaine. S’il reconnaît à demi-mot que les mesures de sauvegarde dont bénéficie le secteur n’ont pas eu l’effet optimal, il s’engage durant son mandat à continuer à œuvrer pour préparer le secteur à la concurrence internationale.
Vous avez été élu le 6 juin dernier à la tête de l’Association des sidérurgistes du Maroc (SDM). Quelles sont vos priorités ?
Avant d’en parler. J’aimerais de prime abord attirer l’attention sur le virage que nous sommes en train de vivre en tant que sidérurgistes, aussi bien au Maroc qu’à l’international. Alors que l’ensemble du secteur se préparait à accompagner l’ouverture du Maroc et l’accélération du développement des échanges commerciaux, avec, entre autres, des investissements pour adapter notre offre avec les exigences des marchés cibles – les États-Unis notamment où nous exportons d’ailleurs-, nous nous retrouvons depuis ces derniers mois face à un volte-face après l’élection de Trump. C’est aujourd’hui même (vendredi 6 juillet, ndlr) qu’une série de taxes croisées va concerner une cinquantaine de milliards de dollars parmi les échanges sino-américaines.
Bien qu’on soit très petit face à ces grandes puissances, il ne faut pas perdre de vue l’impact néfaste que peut avoir cette guerre dans un secteur aussi volatil que le nôtre. Si notre production ne représente qu’à peu près 1 sur 1000 de la production mondiale, elle est vitale pour plusieurs bassins d’emploi et les investissements qu’elle réalise chaque année. Nous sommes à 12 milliards d’investissements cumulés à ce jour, voire plus. A l’échelle régionale, quand on regarde ce qui se passe chez nos voisins du pourtour méditerranéen, on ne peut que s’inquiéter davantage. Nos voisins européens ont des surcapacités – entre autres en ronds, en béton – puisqu’ils importent de gros volumes, d’autant plus qu’ils ont été ciblés par l’exemption de taxe douanière sur l’acier. Ainsi, le Maroc pourrait être ciblé par des exportations européennes massives.
Pour ce qui est de nos voisins du sud de la Méditerranée, comme l’Algérie et l’Égypte, qui ne sont pas dépendants énergétiquement, ceux-là deviennent entièrement autonomes. L’Algérie – qui était notre client – est devenue autosuffisante et pourrait même exporter dans les années qui viennent.
Cela veut-il dire que la sidérurgie marocaine est menacée ?
Effectivement, notre marché est menacé. Pour revenir à votre première question, une de nos priorités et projets est de défendre la sidérurgie, de préserver l’emploi et sécuriser les investissements. Dans ce sillage, nous revendiquons une défense commerciale plus musclée et qui soit en ligne avec ces derniers développements. Il est inconcevable que nous maintenions le niveau actuel de sauvegarde qui se situe à 50 euros pour 500 euros – ce qui représente un peu moins de 10% – alors les Etats-Unis sont à 25%, et les autres pays pareil.
Par ailleurs, mon élection à la tête de l’ASM traduit notre volonté au sein de la Sonasid -Amine Abrak est par ailleurs DG de Sonasid- de partager notre expérience et notre savoir-faire avec l’ensemble des opérateurs du secteur et de réussir les chantiers en cours, à l’instar des écosystèmes signés par la Fédération des industries métallurgiques mécaniques et électromécaniques (FIMME). Notre engagement est de continuer à préparer le secteur à la levée des mesures de sauvegarde quand cela sera opportun.
Est-ce que les mesures de protection ont-elles rempli leur objectif, en l’occurrence la préparation du secteur à la concurrence internationale ?
Relativement. Les résultats auraient été meilleurs si la profession était capable de raisonner le marché marqué par une surcapacité structurelle, des opérateurs qui ne sont pas issus des mêmes cultures managériales et industrielles, et des pressions sur les prix.
Quelles sont les perspectives à l’aune de l’arrivée à l’échéance de ces mesures d’ici la fin de l’année?
Nous avons bien avancé dans les discussions avec le département de tutelle et nous nous réjouissons de son oreille attentive. L’ASM a demandé la reconduction des mesures de protection. Sur un avenir un peu plus lointain, nous demeurons confiants quant aux opportunités qu’offre notre marché. Il faut rappeler que la consommation nationale d’acier demeure faible, aussi bien en comparaison avec les pays développés qu’avec nos voisins aux économies comparables à la nôtre. Dans les premiers, la consommation d’acier par habitant atteint 400 kg alors que chez les seconds elle oscille entre 100 et 150 contre à peu près 50 au Maroc. Notre pays a encore besoin de l’acier dans l’immobilier et les infrastructures et continuera de s’urbaniser.
Le Plan d’accélération industrielle (PAI) a drainé des investisseurs dans l’automobile et l’aéronautique. La sidérurgie est-elle prête à les fournir en intrants en acier ?
Ça ne se fera pas demain, mais nous sommes en train de réunir les ingrédients pour pouvoir le faire un jour. Notre aventure à l’export nous a ouvert les yeux sur la nécessité d’être flexible. C’est la première condition pour pouvoir faire fabriquer telle pièce pour telle industrie.
Quelles sont vos attentes à l’égard du gouvernement ?
Outre le maintien et le renforcement des mesures de sauvegarde, nous souhaitons la mise en place de mesures à même d’alléger la facture énergétique qui gonfle nos coûts de production et nous rendent moins compétitifs par rapport à nos voisins algériens, turcs ou égyptiens.Sur le volet logistique, nous attendons à ce qu’il y ait davantage d’efforts pour que les industriels se concentrent sur leur cœur de métier. Le modèle turc est un bon exemple en matière de soutien logistique.
