Affaires
Le marché du carbone en chute, les financements de projets au Maroc se réduisent
La baisse de la demande des pays industrialisés en crédit carbone fait chuter le prix de la tonne.
La valeur de marché du carbone devrait connaître une chute de 32 % cette année.
L’évolution conditionnée à la reprise économique mondiale et aux négocations sur le régime climatique de décembre prochain.
Dommages collatéraux ? Crise profonde ? Manque d’intérêt ? Telle est la problématique des «nouveaux fonds» dédiés au crédit carbone. Le prix de la tonne a chuté au niveau mondial et les pays industrialisés qui sont les principaux acheteurs de ces crédits en demandent de moins en moins puisqu’ils produisent moins de gaz à effet de serre. Faut-il alors persévérer en espérant des jours meilleurs ou bien doit-on tourner le dos à ce nouveau marché ? Ali Agoumi, professeur à l’Ecole Hassania des travaux publics et expert en marché du carbone, livre son analyse.
ll y a un an, on parlait d’un potentiel énorme sur le marché du crédit carbone. Aujourd’hui c’est, apparemment, la déconvenue…
Les prix des crédits carbone sur le marché européen et ceux des crédits de projets MDP1(*) ont chuté fortement ces derniers mois. Au cours de la semaine du 9 mars, le prix des crédits MDP était autour des 10 euros sur le marché secondaire et ne dépassait guère les 8 euros sur le marché primaire (achat direct de crédits de promoteurs de projets MDP). Cela représente moins du tiers du prix atteint par ces crédits en juillet 2008.
Et la cause de cet effondrement ?
Deux raisons principales l’expliquent. Il y d’abord la récession économique constatée dans les pays industrialisés qui sont les principaux acheteurs de ces crédits. Ces pays ont des engagements au niveau européen et au niveau du Protocole de Kyoto. La signature de ce dernier équivaut à un engagement de réduction des émissions en gaz à effet de serre d`ici 2012. L’achat de crédits de projets MDP leur permettrait de tenir une partie de leurs engagements. Or avec la crise, les émissions en gaz à effet de serre de ces pays sont en chute libre. Aussi, leur besoin de recourir aux crédits MDP est moindre. La demande de crédits MDP est devenue subitement moins forte que prévu !
La seconde raison a trait à la faible visibilité sur le devenir du MDP au-delà de 2012. En fait, les projets MDP mettent de plus en plus de temps pour leur enregistrement, les crédits qu`ils dégagent sont plus limités que prévu. Aussi, l`intérêt pour les crédits MDP au-delà de 2012 est de plus en plus restreint car le régime climatique post-2012 est toujours en négociation au niveau international. Selon les analystes, les prix des crédits carbone risquent de rester bas au-delà de 2010. Ils pourraient reprendre en 2011 selon l’évolution de l`économie !
Si bien qu’en 2009, le marché du carbone devrait être déprimé !
Pas en volume. Pour 2009, le volume des échanges mondiaux de crédits carbone a été estimé par «Point Carbon» (NDLR, une revue spécialisée) autour de 5,9 milliards de tonnes. En 2008, ce volume était de 4,9 milliards.
Mais la valeur de marché du carbone devrait connaître une chute de 32 % en 2009 : 62,6 milliards d’euros en 2009 au lieu de 92 milliards en 2008. Ceci est lié à la chute des prix enregistrée. 2009 sera ainsi la première année de contraction de la valeur de ce marché du carbone depuis son lancement en 2005.
Est-ce déjà la fin de ce marché du carbone naissant ?
Attention, il ne faut surtout pas que cette crise financière et économique nous aveugle. Les changements climatiques sont là avec une accélération qui va au-delà de ce que nous pensions. La nécessité de changer de mode de consommation énergétique est irréversible. Le besoin d`aller vers une économie nouvelle à faible teneur en carbone est omniprésent. Le futur se fera avec cette nouvelle économie verte : anticiper est aujourd’hui primordial pour être demain armé afin de profiter au mieux de cette nouvelle économie pour nous développer. Il faut persévérer pour accéder aux technologies propres et aux financements existants dans ce domaine.
Quelles sont les conséquences de cette baisse sur le marché marocain ?
Au Maroc, nous avons un portefeuille de projets MDP important, et la stratégie présentée lors des dernières assises de l`énergie (voir article en page 28) montre que le potentiel de réduction des émissions en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables est considérable. Il s’agit de plus de 15 millions de crédits carbone par an vers 2012. Ce potentiel atteindrait vers 2020 les 30 millions de crédits carbone par an. Ce qui représente, même aux prix les plus bas de la tonne de carbone enregistrés actuellement sur le marché, des possibilités de financement de 150 millions d’euros (1,7 milliard de DH) par an à partir de 2012 et 300 millions (3,3 milliards de DH) au-delà de 2020.
Ce sont donc des financements significatifs qu’il faut à tout prix drainer. Et pour cela, nous avons besoin de développer ces projets MDP selon les normes des Nations-Unies et de les inscrire dans notre politique de réduction des émissions pour avoir ces financements de la part des pays industrialisés. Notre urgence est là. Le marché du carbone aura d’ici là retrouvé des couleurs. Donc pas de panique, restons sereins et avançons au niveau du développement MDP de nos projets. A ce niveau nous enregistrons aujourd’hui un grand retard !
Doit-on continuer à préparer des projets MDP même si le régime climatique post-2012 tarde à être fixé ?
Oui, absolument. Car des engagements significatifs de réduction des émissions devraient être adoptés à Copenhague en décembre 2009 par la communauté internationale. Les Etats-Unis, le plus gros émetteur de carbone par habitant, seront aussi engagés cette fois-ci. Le carbone restera la cible de l’après-2012. Nos crédits carbone et nos efforts trouveront facilement preneurs.
Je voudrais insister sur un fait : le Maroc se doit, comme tous les pays en voie de développement, de participer avec force aux négociations de Copenhague en décembre 2009. Celles-ci devraient aboutir au nouveau régime climatique post-2012.