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«Le législateur a apporté une réforme majeure en instaurant le diagnostic précoce des difficultés»

L’issue d’une crise dépend très largement des premières mesures prises par le dirigeant de l’entreprise. Deux réformes majeures : l’extension du champ d’intervention du mandataire spécial et l’autonomie conférée au chef d’entreprise en cas de procédure de sauvegarde.

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Abdellatif Laamrani Law Firm

Avocat aux barreaux de Casablanca, Paris et Montréal, et fondateur de Laamrani Law Firm, Maître Abdelatif Laamrani explique les différentes modifications apportées par le législateur.

Selon vous, est-ce que le livre V garantit mieux la protection du tissu productif des faillites et des droits des partenaires ?
De prime abord, il faudra situer le texte actuel. Il est la troisième étape dans l’évolution du droit marocain des procédures collectives. Ainsi, après une première phase dite «système des faillites» marquée par un aspect répressif et «purgatoire» (Ce droit de faillite était lui-même, si je puis dire, en faillite, puisqu’il avait comme objectif ultime d’éliminer les entreprises défaillantes), on a connu ensuite le livre V du code du commerce de 1996 qui a instauré un régime alternatif basé sur la prévention et le traitement des difficultés de l’entreprise en prévoyant un certain nombre de procédures applicables en fonction de la nature et le degré de gravité de ces difficultés. Toutefois, et malgré la relative efficience de ces mesures, la pratique avait démontré après 20 années d’application qu’elles restent insuffisantes, voire problématiques, puisque la majeure partie des procédures de traitement des difficultés ouvertes aboutissaient, in fine, à la liquidation judiciaire des entreprises en question. Le législateur marocain, afin de résoudre cette situation et pour répondre aussi aux contraintes qu’imposent la nécessité d’attraction des investisseurs internationaux et surtout aussi à cause de la régression qu’a connue le pays dans le classement mondial «Doing business» de 2017, a adopté la loi n° 73-17 qui a été publiée au Bulletin officiel n° 6667 du 23 avril 2018. Elle est venue abroger et remplacer l’ancien livre V du code du commerce issue de la loi n° 15-95.
En effet, le législateur a souhaité ainsi pallier ces carences en instaurant certaines mesures de bonne gouvernance, mais aussi de diagnostic précoce des difficultés, puisque l’issue d’une crise dépend très largement des premières mesures prises par le dirigeant de l’entreprise qui doit bien s’entourer et demander conseil auprès des professionnels comme les avocats ou les experts-comptables dès l’apparition des premières prémices de difficultés.

Quels sont, à votre avis, les principaux apports de ce texte ?
Concrètement, le nouveau texte a apporté deux réformes majeures : l’extension du champ d’intervention du mandataire spécial et l’autonomie conférée au chef d’entreprise en cas de procédure de sauvegarde. Cette dernière procédure se caractérise par trois aspects.
Premièrement, le diagnostic précoce des difficultés que peut rencontrer l’entreprise, puisqu’ il n’y a plus la condition de cessation de paiement pour pouvoir bénéficier de cette procédure, le chef d’entreprise peut recourir à cette procédure dès qu’il remarque que sa société rencontre des difficultés de nature à entraîner cette cessation de paiement définitive dans un avenir proche.
Deuxièmement, cette procédure est volontaire à travers la permission donnée au chef d’entreprise de l’emprunter en présentant un projet de plan de sauvetage et de prendre les initiatives qu’il estime nécessaires pour la sauvegarde de l’entreprise, tout en gardant l’ensemble de ses attributions dans le domaine de la gestion quotidienne de l’entreprise, sans y associer le syndic, contrairement au scénario de redressement.
En troisième lieu, la procédure de conciliation (art.551 du code du commerce) ouverte devant le chef de l’entreprise qui éprouve des difficultés à honorer ses échéances et qui reste encore méconnue. Elle peut être conseillée à une entreprise qui, sans être en cessation de paiement, éprouve des difficultés économiques ou financières ou des besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté aux possibilités de l’entreprise.

Dans beaucoup de procédures, il y avait absence de vérification approfondie de la situation financière du débiteur. Aussi, ceux qui étaient dans cette situation se plaignaient du fait que les tribunaux ordonnaient facilement la liquidation et le remboursement des dettes sous pression de certains créanciers. Quelle lecture faites-vous de ces constats ?
Le tribunal de commerce ordonne systématiquement une expertise judiciaire comptable de l’entreprise en difficulté afin de lui apporter un éclairage pointu sur la situation comptable et/ou financière. Aussi, il faut rappeler que pour un chef d’entreprise, organiser son insolvabilité est considéré comme une infraction pénale. Mais le problème que soulève la poursuite au titre d’une telle infraction est que le soupçon d’une organisation frauduleuse d’insolvabilité n’est pas suffisant, il faut qu’il y ait condamnation de nature patrimoniale constatant une dette. Autrement dit, même les créanciers disposant d’hypothèque ou de gage sur les biens de l’entreprise ne pourraient déposer plainte au titre de cette infraction sans avoir obtenu initialement un jugement constatant l’existence de leurs dettes. D’autres sanctions d’ordre civil comme l’extension de la liquidation aux dirigeants et la déchéance commerciale peuvent également être prononcées par le tribunal s’il estime, après avoir examiné le dossier, que les dirigeants de droit ou de fait de l’entreprise avaient organisé leur insolvabilité en utilisant des manœuvres frauduleuses ou bien en augmentant le passif ou en diminuant l’actif de leur patrimoine, soit en diminuant ou en dissimulant tout ou partie de leurs revenus, soit en dissimulant certains de leurs biens. Quoi qu’il en soit, le fait de confier la compétence judiciaire pour la poursuite de ce genre d’infractions aux tribunaux correctionnels ordinaires au lieu des tribunaux de commerce ou des juridictions spécialisées traduit son ineffectivité.

Qu’en est-il du syndic ? Son rôle a été revu et ses attributions mieux délimitées..
Le syndic est chargé de contrôler l’exécution du plan de sauvegarde et de mener les opérations de redressement et même de liquidation à partir du jugement d’ouverture et ce jusqu’à la clôture de la procédure, c’est dire l’importance que revêt son rôle. Effectivement, le rôle du syndic a été revu mais pas profondément puisqu’en France par exemple il y a les administrateurs judiciaires qui appartiennent à un corps professionnel autonome, l’ordre des administrateurs judiciaires qui est soumis à des règles d’éthique et de déontologie professionnelle strictes afin d’assurer un niveau élevé de compétence professionnel et d’éviter les situations de conflit d’intérêts et de violation de secrets professionnels. Il est à signaler que le texte réglementaire prévu par la loi 73-17 sur le rôle, les attributions et les compétences et la rémunération du syndic se fait toujours attendre.

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