Affaires
Le Conseil de la concurrence veut contourner l’exécutif qu’il accuse de retarder la réforme
La présidence du conseil dénonce la lenteur de la commission créée en novembre dernier pour piloter la réforme. Le ministère des affaires économiques et générales assure que la réforme est en cours et qu’un projet de loi sera soumis au Parlement en octobre 2011.

Trois mois après l’espoir, le désenchantement. Le projet de réforme du système de régulation de la concurrence est dans l’impasse. C’est du moins ce que l’on peut déduire de la tendance à temporiser de la part des pouvoirs publics. Il y a trois mois, pourtant, ils avaient évoqué le lancement de la réforme des statuts du conseil de manière à lui conférer le pouvoir décisionnel et les prérogatives qui lui permettent d’assumer pleinement sa mission de gendarme du marché. Le chantier a été confié à une commission interministérielle présidée par le ministère des affaires économiques et générales (MAEG). Mais, depuis, c’est silence radio. Peu d’informations ont circulé sur l’activité de cette commission qui ne s’est réunie qu’une seule fois depuis sa mise en place en novembre dernier, et auprès du Conseil de la concurrence, on commence à s’inquiéter.
Son président, Abdelali Benamour, s’étonne devant ce qu’il qualifie de paradoxe : «Autant tout le monde se dit favorable à l’attribution de pouvoirs au conseil, autant rien n’est fait pour passer à l’acte». Et de s’interroger : «Pourquoi a-t-on peur de doter le conseil de pouvoirs décisionnels ? Qui a peur de la lutte contre les rentes?».
Même les promesses de Nizar Baraka, ministre chargé des affaires économiques et générales, de se pencher sur ce chantier dans les six prochains mois, ne convainquent pas les responsables du Conseil de la concurrence qui ne cachent pas leurs inquiétudes compte tenu de la procédure longue et laborieuse. C’est que le projet de réforme, quand il sera prêt, doit d’abord avoir l’aval des autres ministères concernés avant de passer par le Secrétariat général du gouvernement (SGG), une étape qui nécessite, souvent, plusieurs mois. Le SGG a en effet la charge d’examiner minutieusement les textes qui lui sont transmis avant de les soumettre à l’appréciation du conseil des ministres et, par la suite, du conseil de gouvernement. Arrivera alors l’étape de l’examen du projet par les deux Chambres du Parlement. Là aussi, les discussions prendront des mois. D’où les craintes du président du conseil qui fait remarquer, en plus, que l’entrée de la réforme dans le circuit coïncidera avec l’approche des élections législatives prévues en 2012. Ce qui risque de retarder davantage la réforme voire l’ajourner pour après les élections. Mais d’ici là, il faudra d’abord que la commission interministérielle avance dans la réflexion. Ce que mettent en doute des responsables du conseil arguant que depuis sa création, en novembre dernier, «on n’en a plus entendu parler».
Le gouvernement pour une seule et nouvelle autorité
Le ministère des affaires économiques et générales, en charge de piloter le projet, apporte un démenti catégorique aux accusations de retard pris sur ce chantier et maintient que le processus de réforme est toujours en cours. «Le gouvernement s’emploiera à soumettre le projet de réforme au cours de la prochaine année législative en octobre 2011», promet Hassan Bousselmane, directeur des prix et de la concurrence, une entité que le conseil considère exerçant les pouvoirs qui devraient lui être dévolus. «Nous avons choisi de faire examiner le dossier d’abord par l’administration avant d’entamer la concertation avec le Conseil de la concurrence à qui nous demanderons, le moment venu, de faire des propositions», poursuit-il. Et ce n’est pas fini, puisque ce sera au tour des opérateurs économiques de formuler leurs remarques avant de présenter le fruit de ce travail aux commissions parlementaires. «Nous considérons que la loi sur la concurrence a une implication sur tous les acteurs de la collectivité et il est de notre devoir de faire participer tout le monde à l’élaboration de son texte», estime M. Bousselmane.
Si réforme il y a, vers quoi alors se dirige-t-on ? Selon le MAEG toujours, l’option qui semble être la plus viable est celle d’une seule et unique autorité réellement autonome et indépendante. De quoi réjouir les responsables du conseil ? Pas sûr car, tel que le conçoivent les pouvoirs publics, le principe de l’entité unique ne revient pas à donner au conseil actuel tous les pouvoirs mais plutôt à le fusionner avec une autre entité qui intervient elle aussi dans ce champ, à savoir la direction des prix et de la concurrence relevant du ministère des affaires économiques et générales. La direction est aujourd’hui dotée de larges pouvoirs. Il faut savoir, par exemple, que lorsque le conseil est saisi par une partie quelconque, tel que prévu par la loi 06-99 (primature, organisations professionnelles, commissions parlementaires…), il ne peut pas engager lui-même des enquêtes mais demander à la direction de les réaliser pour son compte.
Peut-on alors imaginer une fusion sereine entre la direction du ministère et le conseil connaissant les rivalités d’aujourd’hui ? Et si fusion il y a, qu’adviendra-t-il des fonctionnaires de ladite direction ? Deviendront-ils, comme il est souvent d’usage, des détachés auprès de la nouvelle entité ? Et si c’est le cas, comment préserver l’indépendance et l’autonomie de la future entité, sachant que certains de ses employés relèvent toujours de l’administration ?
Les experts allemands suggèrent d’opter pour une période transitoire
En attendant des réponses à ces questions cruciales, tout ce que l’on sait, au ministère, c’est que la réforme devra déboucher sur une nouvelle dénomination de la future institution et une nouvelle composition de la future équipe dirigeante. En cela, l’administration s’appuie sur les recommandations faites en juillet dernier par des experts allemands à la suite d’une mission qu’ils ont effectuée dans le cadre d’un accord de jumelage entre les autorités de la concurrence allemande et marocaine sous la houlette de l’Union européenne.
Au terme de leur mission, les consultants allemands ont élaboré et remis un rapport aux hauts responsables marocains. Rien ne filtre sur son contenu comme l’exige la partie allemande. Mais l’on apprend, de sources qui ont eu accès audit rapport, que les Allemands ont vivement conseillé au Maroc d’opter pour une période transitoire. Plus précisément, ils se sont montrés favorables à une autorité qui, au début, ne soit pas dotée de tous les pouvoirs décisionnels et qui ne soit pas totalement indépendante du pouvoir exécutif, «le temps d’arriver au stade de maturité», souligne-t-on auprès du ministère des affaires économiques et générales. Une recommandation qui, évidemment, ne plaît pas aux membres du conseil. Ces derniers n’entendent pas en rester là pour autant. «Si le gouvernement veut prendre tout son temps pour réformer, nous avons d’autres voies pour le faire», menace-t-on. L’idée est simple : au lieu d’attendre que le projet de loi effectue tout le parcours que l’on sait, le conseil opte pour une proposition de loi introduite par le biais d’un groupe parlementaire et qui permettra ainsi de contourner l’écueil de l’exécutif. Et le plan est déjà en marche. Selon des sources au conseil, le texte est déjà prêt, contenant toutes les dispositions accordant au conseil les pouvoirs décisionnels et autres attributions tant revendiquées jusque-là. «Nous avons mis plus d’une année pour élaborer le texte avec la contribution de juristes nationaux et étrangers car on savait que le Secrétariat général du gouvernement allait décortiquer son contenu», assure un membre du conseil. Le projet de proposition de loi a été rédigé en versions arabe et française qui ont été remises au Premier ministre depuis plus de deux mois. Les responsables du conseil comptent ensuite sur leur réseau relationnel au sein du Parlement pour appuyer cette démarche. Le match entre le conseil et l’exécutif nous réserve encore des moments chauds…
