Affaires
Le chômage est à son plus haut niveau depuis 10 ans
Le taux de chômage frôle les 10% de la population active.
Les créations nettes d’emplois ont été limitées à 21 000 postes, selon le HCP, soit la deuxième mauvaise performance depuis au moins une quinzaine d’années.
L’industrie, y compris l’artisanat, a perdu 37 000 emplois.

Le Maroc vient d’enregistrer le plus haut niveau de chômage depuis 2005. Les dernières statistiques du Haut commissariat au plan (HCP) sur le marché du travail au titre de l’année 2014 indiquent en effet une hausse du chômage de 0,7 point, à 9,9% de la population active. En valeur absolue, la population active en chômage a augmenté de 8%, à 1 167 000 personnes, ce qui correspond à 86 000 chômeurs de plus par rapport à 2013.
Cette hausse du chômage a concerné aussi bien les citadins (+0,8 point à 14,8%) que les ruraux (+0,4 point à 4,2%) ; mais, précise le HCP, certaines catégories de la population urbaine ont été touchées plus que d’autres: les jeunes de 14 à 24 ans (+2,1 points à 38,1%), les femmes (+1,5 point à 21,9%) et les diplômés (+1,3 point à 19,5%).
En somme, le chômage au Maroc est principalement un phénomène urbain (80,1% des chômeurs sont des citadins), et frappe en particulier les moins de 30 ans (62,6% sont âgés de 15 à 29 ans). Cet accroissement du volume et du poids de la population en chômage ne devrait cependant pas surprendre : 21 000 emplois nets seulement ont été créés en 2014, soit, depuis une quinzaine d’années, le niveau le plus faible des créations d’emplois, si l’on met de côté l’exceptionnelle année 2012 avec 1000 postes de travail créés. Ce faisant, le taux d’emplois a baissé de 0,5 point à 43,3%.
Les chiffres du HCP montrent que les emplois créés ont été le fait essentiellement des services (à hauteur de 72,4%) et à un degré moindre de l’agriculture, forêt et pêche. L’industrie (y compris l’artisanat), par contre, a perdu 37 000 emplois, et c’est la branche «textile, bonneterie et habillement» qui a enregistré une plus grande saignée (-32 000 postes). La perte d’emplois dans l’industrie n’est en fait que la confirmation de la mauvaise passe que traverse ce secteur, puisque sur les trois dernières années, c’est une moyenne de 18 000 emplois par an qui y ont été perdus.
Banque mondiale : lever les contraintes qui brident la croissance des petites entreprises
Le BTP, en difficulté depuis quelques temps déjà, a lui aussi perdu une moyenne de 14 000 emplois par an au cours des trois dernières années, mais en 2014 il a connu une stagnation à ce niveau. Selon les prévisions du HCP, l’économie marocaine devrait créer quelque 170000 emplois en 2015, et le chômage devrait en conséquence refluer. Mais ce serait à peine un rattrapage, vu les niveaux d’emplois créés en 2012 et 2014. Autrement dit, le Maroc reste confronté à la problématique de l’emploi et, par suite, à celle du chômage, et cela dure depuis une dizaine d’années. Tout se passe en effet comme si, à environ 9%, le chômage au Maroc est devenu incompressible, insensible aux variations de la conjoncture. Après avoir baissé de manière continue entre 1999 et 2007, le chômage a, depuis, stagné autour de 9% de la population active. Le taux d’activité, lui, chute année après année depuis une quinzaine d’années, passant de 54,5% en 1999 à 48 % en 2014 ; la faible participation des femmes (25,2% en 2014) étant le facteur principal explicatif de ce phénomène. Soit dit en passant, si le taux d’activité des femmes n’avait pas baissé (il était de 30,4% en 1999) ou, mieux encore, avait augmenté, le chômage aurait sans doute été plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui.
Mais au-delà des considérations démographiques et socio-culturelles, qui influent, certes, grandement sur le marché du travail, il reste que la rigidité à la baisse du niveau du chômage est liée à la faiblesse des créations d’emplois.
Ce sujet, la Banque mondiale a choisi de le traiter dans un récent rapport couvrant la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) mais en privilégiant cette fois un angle plutôt inhabituel. Ce rapport, l’institution de Bretton Woods l’a en effet intitulé «Emplois ou privilèges» et sous-titré «Libérer le potentiel de création d’emplois au Moyen-Orient/Afrique du Nord». Grosso modo, la Banque mondiale considère que ce sont les “start-up” et les jeunes entreprises qui créent le plus d’emplois, et le Maroc comme la Tunisie et l’Egypte (les trois pays étudiés dans le rapport) n’en créent pas assez. Cette faiblesse dans la création de nouvelles entreprises au Maroc, la Banque mondiale l’impute à «la présence de contraintes fortes à l’entrepreneuriat et à la concurrence». Une affirmation appuyée par ce chiffre : au Maroc, il se crée chaque année 9,6 sociétés à responsabilité limitée (SARL) pour 10 000 personnes en âge de travailler, contre une moyenne de 26 nouvelles entreprises dans les pays en développement. Bien plus, dans certains pays comme la Serbie, la Croatie, le Chili, le Brésil, ou encore la Bulgarie, le taux de création d’entreprises est 3 à 10 fois plus élevé qu’au Maroc. Il y a donc manifestement des freins à l’émergence de nouvelles entreprises au Maroc.
Pour la Banque mondiale, qui met en avant des résultats d’analyses économétriques, «davantage de concurrence interne, moins d’obstacles dans le système judiciaire, moins de corruption et un traitement équitable des entreprises par les autorités fiscales» sont autant de facteurs susceptibles d’améliorer le potentiel de croissance et de création d’emplois.
En d’autres termes, et tel qu’il peut être observé, le climat des affaires de manière générale semble moins favorable aux “start-up” (entre 1 et 4 salariés) et aux petites entreprises (moins de 15 employés) et, a contrario, «engendre une position privilégiée pour certaines grandes entreprises». Ce constat est accablant surtout pour la Tunisie de Ben Ali et l’Egypte de Moubarak où la Banque mondiale relève que les secteurs où opèrent une ou des entreprises marquées politiquement, c’est-à-dire entretenant des liens avec le pouvoir en place, bénéficient de protection (tarifaire et autres) et de subventions qui faussent la concurrence et limitent l’émergence de “start-up” et de petites entreprises et, in fine, les créations d’emplois. Selon le rapport de la Banque mondiale, la croissance de l’emploi en Egypte baisse de 1,4 point de pourcentage par an «lorsque des entreprises politiquement “connecteÌes” entrent dans des secteurs non connecteÌs auparavant». Autrement dit, il suffit que la “couverture” politique tombe pour que l’emploi diminue. La Banque mondiale dit ne pas disposer de données de ce type à propos de l’économie marocaine, elle observe néanmoins que «60% des entreprises marocaines considèrent comme discrétionnaire, incohérente et imprévisible la mise en œuvre des politiques et de la régulation, ce qui constitue un obstacle majeur à leurs opérations et à leur croissance». Moyennant quoi, pour améliorer l’emploi dans le secteur privé, la Banque mondiale recommande aux pays de la région MENA de réformer les politiques qui limitent l’ouverture des marchés à la concurrence, de faire en sorte que les lois et les réglementations ne donnent pas lieu à des positions privilégiées mais promeuvent l’équité et favorisent l’emploi…
Une question reste toutefois posée : comment résoudre la difficile équation dans laquelle on trouve, d’un côté, des entreprises qui ont besoin de financement pour émerger puis se développer, et de l’autre côté, des banques tenues de respecter les règles prudentielles, de s’assurer qu’elles ne mettent pas leurs billes dans…des sacs troués ?
