Affaires
« L’argus de l’immobilier sera dévoilé avant la fin de l’année »
Des prix moyens pour les appartements, les villas et les terrains nus au niveau de chaque quartier de Casablanca ont été fixés par les promoteurs et le Fisc. Le dispositif du logement pour la classe moyenne n’a actuellement des chances que dans les petites et moyennes villes, des mesures non budgétaires s’imposent pour l’introduire dans les grandes villes.

«En relevant le prix du logement pour la classe moyenne, la Loi de finances 2014 semble enfin donner à ce dispositif des chances de percer sur le marché national. Pour Youssef Ibn Mansour, président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), l’enjeu est important. Ce nouveau produit cristallise tous les espoirs de relance du secteur dont l’activité est sur la voie du déclin entre une demande qui se tasse et un financement bancaire qui contraint les professionnels à se mettre des limites».
Comment trouvez-vous le projet de Loi de finances 2014 ?
Selon l’ensemble des opérateurs, tous secteurs confondus, le projet de Loi de finances 2014 ne semble pas viser un objectif de relance économique. Cette loi ne contient en effet pas de mesures de stimulation de la croissance ou de soutien à l’entreprise et à l’investissement. Il faudra tenter de remédier à cela par des amendements lors de la discussion de ce projet au niveau du Parlement.
S’agissant spécifiquement du secteur de l’immobilier, nous recensons deux grandes mesures. La première porte sur le relèvement du prix du logement pour la classe moyenne à 6 000 DH HT. En second lieu, figure la suppression de l’imposition des revenus locatifs des logements neufs. Cette dernière disposition paraît contradictoire avec les efforts du gouvernement pour encourager le locatif. Et la question se pose de savoir si la suppression de cette exonération générera effectivement des recettes pour l’Etat, dans la mesure où très peu d’investisseurs consacrent actuellement leurs produits à la location. Concernant la première mesure, les promoteurs sont satisfaits sachant que c’est une proposition que nous avons formulée depuis l’année dernière.
Selon vous, cette mesure fera-t-elle décoller le logement pour la classe moyenne ?
Avec cet ajustement, le dispositif du logement pour la classe moyenne a ses chances sur des marchés où les prix du mètre carré sont voisins du prix réglementaire de 6000 DH HT, ce qui est le cas dans les petites et moyennes villes. En effet, sur ces marchés, l’exonération des droits d’enregistrement et de conservation dont bénéficient les acheteurs de logements pour la classe moyenne (soit une réduction de près de 5% sur le prix de vente) peut constituer un atout commercial pour les investisseurs. Mais dans les grandes villes la logique est tout autre. Les promoteurs peuvent en effet facilement y écouler leurs produits en pratiquant des prix plus élevés que ce qui est prévu par le dispositif. Pour motiver ces professionnels à signer des conventions avec l’Etat, nous estimons donc que deux mesures non budgétaires s’imposent. Il s’agit en premier lieu de prévoir des normes d’urbanisme spécifiques et favorables au logement pour la classe moyenne en matière de densité et de hauteur. De la sorte, la charge foncière pourra être répartie sur un nombre plus important de mètres carrés habitables permettant aux promoteurs d’équilibrer leur compte d’exploitation. Vu que la hauteur autorisée pour le logement social est de R+4, pour se différencier de ce type de logements et proposer une prestation supérieure, il serait nécessaire d’améliorer les conditions techniques de réalisation. Et il va sans dire que des mesures dérogatoires doivent être garanties dans ce sens par le cahier des charges du dispositif afin que tous les programmes bénéficient systématiquement de ces dispositions sans que le promoteur ait à négocier au cas par cas avec les agences urbaines. En second lieu, il convient de fluidifier l’accès au foncier public pour ces programmes de logements. Actuellement, ce foncier est mis à la disposition des opérateurs par l’intermédiaire de l’aménageur public Al Omrane. Le problème dans cette configuration est que le prix de cession aux soumissionnaires au foncier subit des augmentations conséquentes. Dans ces conditions, il serait souhaitable de lancer des appels d’offres concernant le foncier public brut ouverts à tous les opérateurs du secteur, avec un cahier des charges proposé par les autorités urbaines. Nous comptons démarrer sous peu les négociations autour de ces mesures non budgétaires avec le ministère de l’habitat et le département de l’urbanisme afin de donner un maximum de chances de réussite à ce nouveau chantier national.
Vous réclamiez également une révision de la taxation sur la vente de terrains nus qui handicape l’accès au foncier pour les promoteurs…
Le gouvernement n’a pas donné suite à nos revendications en matière de fiscalité des terrains nus. Nous demandons un retour à l’ancien dispositif de la taxe sur les profits immobilers tel que prévu dans l’ancienne Loi de finances avant 2013 soit 20%. Les pouvoirs publics ont argumenté qu’une année était insuffisante pour apprécier les effets de cette mesure. Pour notre part, nous pensons qu’elle a induit une baisse des recettes fiscales du fait que les particuliers propriétaires de terrains s’abstiennent de vendre, jugeant l’imposition lourde. Cela ne manque pas de pénaliser les promoteurs, surtout ceux de petite et moyenne taille qui sont très dépendants de ces terrains, à l’inverse des grands groupes qui disposent d’une réserve foncière.
L’endettement des promoteurs inquiète de plus en plus. Quelle est la situation au juste ?
Une partie des professionnels est effectivement aujourd’hui fortement endettée. Les origines de cette situation remontent à 6 ou 7 ans lorsque les banques ont commencé à concéder des financements sur les terrains nus alors qu’auparavant elles n’accordaient de crédits que pour les constructions. Les petits et moyens opérateurs en ont profité pour financer l’intégralité de leurs opérations, et les grands groupes se sont appuyés sur ce levier pour constituer une réserve foncière. Il en est ressorti de lourds crédits pour une majorité de promoteurs. Tant que le rythme des ventes de logements était soutenu et qu’il générait des entrées de trésorerie conséquentes, les promoteurs arrivaient à faire face à leurs échéances. Mais dès qu’il y a eu rupture entre les décaissements et les encaissements, la situation est devenue inquiétante.
Il est légitime donc que les banques cherchent à rationner leurs crédits immobiliers…
Nous constatons que la réticence des banques pour accompagner les promoteurs immobiliers et même les acquéreurs de logements va grandissante. Cela est à lier au fait que Bank Al-Maghrib, alarmée par la situation financière de certains promoteurs, a commencé à demander aux banques de constituer davantage de provisions pour faire face à ces risques. Comme ces dotations aux provisions viennent alourdir le bilan de ces établissements, ils se sont progressivement détournés du financement de l’immobilier afin de diminuer leur degré d’exposition aux crédits accordés à l’immobilier dans le total des crédits engagés.
En tout état de cause, cette situation pose un problème car on ne peut pas inciter les promoteurs à produire en amont et limiter le financement des acquéreurs en aval. Dans l’immédiat, cet état de fait provoque déjà un déclin de l’activité de promotion immobilière. En effet, lorsqu’un petit ou moyen promoteur commercialise un produit et constate que sa clientèle ne parvient pas à obtenir de crédits, il ne renouvelle tout simplement pas ses opérations. La réaction des grands groupes est différente et consiste plutôt à opter pour l’agressivité commerciale pour vendre au plus vite, en mettant de côté les objectifs de marge.
Le but étant de générer des encaissements pour rembourser les crédits et contenir les charges d’intérêts. Probablement, ces grands opérateurs en arriveront à des cessions d’actifs non stratégiques, initialement destinés à être exploités à long terme. En tout cas, tous ces indicateurs laissent penser que le secteur est en train d’atterrir. C’est pourquoi un dispositif comme le logement pour la classe moyenne est stratégique et devrait permettre de relancer le secteur en ouvrant un nouveau marché. Le secteur de l’immobilier étant vital pour l’économie nationale, il serait souhaitable que les banques puissent continuer à l’accompagner par les financements adéquats car, sans ce soutien, la filière subira une régression certaine, notamment pour le segment du logement social et le soutien des ménages.
Où en est le projet de label de qualité de la FNPI ?
Le label de la FNPI est actuellement en phase de lancement et cela devrait se faire avant la fin de l’année. Des audits à blanc pour l’octroi du label ont été menés sur les dernières semaines auprès de certains projets de promoteurs adhérents à la fédération et ont permis de roder la procédure. Ce dispositif permettra de récompenser les projets qui se distinguent par leur qualité et aura pour effet, à terme, de tirer la profession vers le haut.
Et l’argus de l’immobilier ?
L’argus de l’immobilier élaboré en collaboration avec la Direction générale des impôts est également finalisé. La grille de prix quasi définitive est actuellement chez l’administration fiscale qui a la volonté de la dévoiler avant la fin de l’année. Pour rappel, cette première édition concerne Casablanca dont pratiquement tous les quartiers ont été ratissés. Trois classes d’actifs y sont évaluées : les appartements, les villas et les terrains nus. Pour chacun de ces types de biens, selon le quartier, un prix moyen a été déterminé. Nous avons opté pour une estimation moyenne étant donné les différences de prix qui peuvent exister au niveau d’un même quartier pour un même type de biens selon la façade, l’étage, l’exposition. Et pour que l’argus puisse jouer son rôle d’instrument d’appréciation des prix sur la durée, il sera réactualisé chaque année.
A préciser enfin qu’un effort de communication important sera fait autour de cet outil, sachant qu’il sera opposable à l’administration.
