Affaires
L’arbitrage peine à s’imposer dans le règlement des différends commerciaux
Les PME sont encore très frileuses en raison notamment du coût qu’elles jugent élevé. Les grandes entreprises marocaines adoptent systématiquement l’arbitrage dans leurs contrats internationaux. De plus en plus de banques y ont recours pour contourner la lenteur de la justice.

Les professionnels ne cachent pas leur désillusion. Pour des entreprises qui côtoient une machine juridique dont les carences et les tracasseries sont multiples, l’arbitrage peut présenter une alternative plus intéressante pour résoudre les différends d’ordre commercial. Cependant, cette formule faisant partie des ADR «Alternative Dispute Resolution» en est toujours à ses balbutiements. «Nul ne peut s’aventurer à avancer un chiffre exact des litiges à issue arbitrale, tout simplement parce que l’arbitrage est très discret par définition», constate Mohamed El Mernissi, président de la Cour d’arbitrage marocaine. En effet, les parties ont toute la latitude de choisir l’arbitre, qui n’est pas forcément un juge en exercice, et qui n’est pas tenu non plus de faire partie d’une profession spécifique. D’où la difficulté, voire l’impossibilité de recenser toutes les affaires déférées devant des arbitres. Néanmoins, la tendance globale qui se dessine depuis l’adoption de la loi 08-05 atteste clairement que nous sommes loin de l’engouement auquel on aurait pu s’attendre.
Les raisons sont multiples. Déjà, les PME peinent à se défaire des idées reçues. Pour ces entreprises, l’arbitrage coûte très cher : les honoraires de l’arbitre, qui sont forfaitaires, sont généralement jugés excessives par rapport à la prestation. «On ne tient pas compte des budgets des parties et du montant du litige, la rémunération des arbitres est supportée à égalité par les belligérants (one shot) au début de la procédure, celui qui a obtenu gain de cause étant remboursé par la partie adverse à l’issue du circuit», souligne M. El Mernissi.
De plus, une majorité de PME préfère toujours recourir aux tribunaux pour bénéficier du délai prolongé du circuit ce qui leur laisse le temps pour préparer leurs preuves, et même pour atermoyer lorsqu’elles sont persuadées d’une sentence défavorable. Aussi, ces PME font-elles appel généralement aux petits cabinets de conseil qui ne leur présentent pas l’arbitrage tel qu’il est. Tandis que plusieurs juges et avocats, pour des raisons de corporatisme, ne voient pas d’un bon œil l’immixtion d’une personne étrangère à la Justice dans un différend commercial.
L’arbitrage social non plus n’attire pas les entreprises
L’arbitrage présente pourtant des avantages indéniables. Par exemple, en Amérique du Nord, il règle environ 70% des litiges. Au Maroc, «le délai moyen que prend la résolution des litiges devant des arbitres ne dépasse pas souvent six mois, et atteint rarement un an. Il existe même des cas dénoués en 4 jours», explique M. El Mernissi.
Outre les avantages, l’arbitrage est devenu incontournable dans les relations commerciales internationales. En effet, pour la majorité des établissements qui ont des contrats à l’étranger, se pose le problème du choix du droit à appliquer et de la juridiction compétente en cas de litige. Par conséquent, leurs contrats prévoient systématiquement des clauses arbitrales. On peut citer notamment des entreprises publiques comme l’Office national de l’électricité (ONE) et Autoroutes du Maroc qui ont adopté ce procédé de par la nature de leurs marchés.
Dans le même ordre d’idées, les banques de la place s’y mettent de plus en plus. «Confrontés à la montée des impayés, les établissements financiers se rabattent sur l’arbitrage avec l’espoir de ne pas voir des centaines de dossiers s’éterniser dans les casiers des tribunaux», relève un conseiller juridique d’une banque. Ces institutions ont saisi la portée des avantages de la formule, surtout son côté discret, diligent, et moins coûteux vu qu’elle leur épargne les multiples cas d’appel avec leur lots d’honoraires.
«Le cadre législatif n’est pas à incriminer. Il est inspiré des normes internationales en la matière et il est plus que favorable au développement de l’arbitrage sous nos cieux. Nous assistons surtout à une résistance au changement de la part des entreprises qui continuent à préférer des schémas rétrogrades en exploitant les carences de l’appareil juridique et sa lenteur pour protéger leur intérêt en dépit des charges financières que cela leur induit», déplore Mohamed El Mernissi.
Il en est de même pour l’arbitrage social qui, lui aussi, bien qu’étant réglementé par le code du travail en tant que mécanisme évitant la montée des conflits sociaux, n’attire pas les entreprises. Ces dernières lui préfèrent toujours la procédure judiciaire normale ou le règlement à l’amiable. En effet, le code du travail ne se prononce pas sur la partie à laquelle incombe la rémunération de l’arbitre, et déclare la sentence arbitrale exécutoire et sans voie de recours, ce qui dissuade l’entreprise.
Rappelons que l’arbitrage exclut de son périmètre d’intervention le droit de la famille et le droit fiscal, en raison de la sensibilité du premier et de la souveraineté du second.
