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Affaires

L’année commence très mal pour les hôteliers : une fréquentation en chute de 20%

Les professionnels estiment que l’activité a chuté de 20% en janvier en comparaison avec le même mois de 2011. Ils prévoient 2 à  3 années difficiles. La réduction des fréquences aériennes sur le Maroc et une promotion jugée inadaptée ont aggravé les effets de la crise.

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Marrakech Jamaa El Fenna 2012 01 30

Les professionnels du tourisme ne cachent plus leur désarroi. L’année 2012 commence mal, et de façon quasi unanime, ils pensent qu’elle sera pire que 2011. Les chiffres définitifs ne sont pas encore publiés, mais il est presque certain qu’il sera difficile de faire mieux qu’en 2010 (voir La Vie éco du 18 décembre 2011) au terme de laquelle 9,3 millions d’arrivées avaient été comptabilisées.
Certains affirment même qu’il faut s’attendre à deux ou trois années difficiles avant que la situation ne commence à s’améliorer. En témoignent les taux de remplissage des hôtels qui atteignent au meilleur des cas 40% dans les établissements faisant partie d’une chaîne de distribution et bien moins, entre 10 et 20%, quand ce sont des établissements individuels qui sont obligés de guerroyer pour faire face à leurs charges. Cette situation affecte toutes les destinations et principalement Marrakech, Agadir et Casablanca qui servent aussi de tremplin pour les autres régions.
Certes, le mois de janvier est considéré comme une basse saison, mais selon une source à la Fédération nationale de l’industrie hôtelière (FNIH), elle est moins animée que de coutume puisque la chute par rapport au même mois de l’année précédente est estimée à 20%. Le tourisme d’affaires qui permet généralement d’atténuer les effets de la basse saison, avec des revenus plus substantiels, fait aussi défaut. Il semble loin le temps où les professionnels de Marrakech affirmaient que la ville avait cassé le phénomène de la saisonnalité.
On parle aujourd’hui d’établissements qui seraient sur le point de se séparer d’une partie de leur personnel, alors que d’autres, incapables de faire face à leurs engagements envers les banques, appellent les pouvoirs publics au secours et ne cachent plus leur nervosité.

Beaucoup d’hôtels en difficulté

Selon Mekki Messari, un hôtelier de Marrakech, propriétaire avec sa famille de plusieurs établissements, la situation est difficile pour tous les métiers du tourisme, et, souligne-t-il, beaucoup d’établissements sont dans une situation très délicate, et particulièrement ceux qui n’ont pas encore amorti leur investissement, c’est-à-dire les hôtels de nouvelle génération. Il en appelle au nouveau gouvernement pour intervenir auprès des banques en vue de disposer d’un moratoire sur les échéances… Parmi ces hôtels, il y en aurait même qui sont au bord du dépôt de bilan mais, précise-t-il, au Maroc, les professionnels, pour des raisons culturelles, n’aiment pas communiquer ce genre d’incident, alors qu’ailleurs, un redressement judiciaire, n’est pas perçu comme une malédiction. «Nous sommes plusieurs à être en difficulté et à avoir beaucoup de mal à faire face à nos charges, mais nous militons pour maintenir nos hôtels ouverts et surtout garder nos employés. Si on était des étrangers, on aurait déjà mis la clé sous le paillasson», conclut M. Messari. Le témoignage n’est pas isolé, plusieurs autres hôteliers parlent le même langage.
«En 2011, on n’a pas dépassé un taux de remplissage de 20%, et ce mois de janvier 2012 commence très mal. Et Dieu sait qu’on a injecté, malgré cette crise, 3 MDH pour rénover notre hôtel. Je me demande comment on va faire pour rentabiliser tout cela», déplore Abdelmounaïm Attobi, directeur de l’hôtel Kenzy Azghor, à Ouarzazate
L’équation est en effet compliquée pour tout le monde, et sans vouloir être aussi alarmiste que les professionnels, on peut la résumer en quelques points en liaison les uns avec les autres.
D’abord, les marchés émetteurs, notamment européens, sont très perturbés par la crise depuis 2008, crise aggravée par les événements politiques dans les pays arabes. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, la plupart des marchés traditionnels du Maroc sont en baisse. Le constat est qu’à l’approche des vacances en France, principal marché émetteur (plus du tiers des arrivées), qui vont s’étaler entre le 11 février et le 12 mars prochains, les réservations se font rares. Encore une fois, les hôtels comptent sur les achats de dernière minute.
Le Syndicat national des agents de voyages français (SNAV) qui a acheminé environ 450 personnes, la semaine écoulée, à Marrakech, pour son 5e congrès, a bien signifié, par la voix de son président, Georges Colson, que les temps ne sont plus ce qu’ils étaient. M. Colson n’a pas caché les difficultés que connaît l’industrie du voyage dans son pays à cause de la crise, mais aussi de l’impact du Printemps arabe sur la destination Maroc qui est mise dans le même sac que les autres destinations de la région, malgré une tournure différente des événements. Pourtant, en dépit de cette conjoncture défavorable, les voyagistes français ont tiré leur épingle du jeu en 2011, enregistrant même une légère croissance de leur chiffre d’affaires global. Mais les Français voyagent désormais dans leur pays ou vers des destinations lointaines, délaissant les destinations moyen courrier comme le Maroc qui a accusé, d’après leurs chiffres, rien qu’en décembre dernier, une chute de 21% en trafic (-71% en Egypte et -51% en Tunisie).

200 000 lits à remplir, dont 60 000 à Marrakech

Le deuxième point est qu’en 10 ans, la capacité d’hébergement a considérablement augmenté. On compte aujourd’hui environ 200 000 lits dont près de 60 000 à Marrakech et région (Essaouira comprise).  Le taux d’occupation moyen oscille autour de 40%. C’est de l’avis de tous insuffisant. Selon Hamid Bentahar, président du Conseil régional du tourisme (CRT) de Marrakech, l’inquiétude affichée par les professionnels est normale et légitime. Mais le Maroc a encore, selon lui, «de grandes opportunités à saisir, à condition que les équipes en place sachent bouger de manière rapide et plus ciblée».
Troisième source de difficulté, la compagnie nationale Royal Air Maroc, qui a accompagné de manière conséquente la Vision 2010, est aujourd’hui en difficulté. Les difficultés de la RAM et la politique qu’elle mène actuellement, de concert avec l’Etat, s’est traduite par un manque à gagner pour le secteur du tourisme. Le fait que la compagnie ait mis à l’arrêt une dizaine d’appareils et annulé plusieurs vols moyens courrier (on parle d’une trentaine) à partir de villes européennes proches se traduit par une perte de plusieurs milliers de passagers chaque semaine, estime un hôtelier. Selon lui, la compagnie était gagnante quand elle accompagnait la Vision 2010, notamment avec sa compagnie low cost Atlas Blue, aujourd’hui dissoute et que l’erreur commise est de croire que la niche des dessertes vers l’Afrique est éternelle. Mais la RAM a peut être ses contraintes que les hôteliers ne peuvent pas percevoir.
Le problème de l’aérien est aggravé par le fait que de nombreuses compagnies low cost ont déserté le Maroc en raison de la crise. On comprend ainsi que les hôteliers s’acharnent à rappeler qu’il n’y a pas de remplissage d’hôtels sans augmentation de sièges d’avion vers le Maroc.
Que faire aujourd’hui pour redresser la situation ? Une seule réponse revient chez tous les professionnels : augmenter le budget de la promotion, et le dépenser autrement (voir encadré).
Les professionnels du tourisme attendent une réaction rapide de la part de leur nouveau ministre, Lahcen Haddad, qui a l’air d’avoir séduit la profession puisque tous lui accordent la qualité de bien connaître le secteur et d’avoir compris leurs doléances. Saura-t-il répondre de manière urgente aux problèmes actuels ? C’est principalement sur cette question qu’il est attendu dans l’immédiat.