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L’activité de Tanger Med mise en péril par un conflit social

En réaction au fort ralentissement de la productivité, APM Terminals et Eurogate ont préféré arrêter l’activité des terminaux à  conteneurs. Ils accusent le bureau syndical de l’Union marocaine du travail de vouloir s’ingérer dans leur gestion.

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Tanger MED Maroc 2011 10 24

Vendredi 14 octobre, un calme plat et inhabituel règne sur les deux terminaux à conteneurs de Tanger Med. Les deux sociétés concessionnaires sont en arrêt d’activité. Pas de trafic depuis plusieurs jours. A l’heure où nous mettions sous presse, mercredi 19 octobre, le travail n’avait pas encore repris et des réunions étaient programmées pour tenter de débloquer la situation. Fait inhabituel, ce sont les opérateurs, en l’occurrence APM Terminals pour le premier terminal (TC1) et Eurogate pour le TC2, qui ont décidé ne de pas affecter le personnel à leur poste, depuis une semaine, occasionnant de fait la suspension de l’activité. Ce lock-out est une réponse au fort ralentissement de l’activité décrété auparavant par les employés du site (voir encadré), avec le soutien de l’Union marocaine du travail (UMT). Ne pouvant honorer des prestations aux normes, vis-à-vis de leur client, notamment en termes de temps de traitement des navires, les concessionnaires ont préféré les dérouter sur d’autres ports…
Flash-back. Le premier terminal est entré en service en juillet 2007. Pendant presque trois ans, l’exploitation s’est déroulée normalement. Les ennuis ont commencé avec la création du bureau syndical de l’UMT en octobre 2010, explique le DRH d’APM, Mohamed Tassafout. La première grève est en effet déclenchée dès novembre de la même année. S’en est suivi un protocole d’accord signé en février 2011, avec l’engagement de toutes les parties de garantir la paix sociale jusqu’à fin 2012.
A APM Terminals, on estime que l’ensemble des demandes ont été satisfaites. Par exemple, le salaire qui était de moins de 3 000 DH a été augmenté de 55% ; des primes ont été instaurées en plus d’une couverture médicale allant jusqu’à 90%. Chez cet opérateur, on se dit totalement étonné par les récents «mouvements sociaux, inexpliqués, injustifiés et incessants déstabilisant le terminal qui, en peu de temps, avait gagné l’estime de la clientèle qui l’a classé parmi les plus stables du monde».
Du côté d’Eurogate qui a commencé son exploitation en 2009, le cahier de revendications de l’UMT a atterri sur le bureau des responsables le 21 juillet 2011. Là aussi, après négociation, l’employeur dit avoir fait des efforts en portant le salaire moyen à 4 750 DH au lieu des 5 000 DH réclamés par le syndicat. D’autres avantages sont accordés comme la hausse de la prime de l’Aïd qui passe de 1 250 à 2 000 DH et l’institution d’une prime de mariage de 5 000 DH. Quant à l’aide consentie lors d’un décès, elle est désormais de 2 000 DH contre 1 000 précédemment.
Les opérateurs expliquent que ce n’est pas les revendications sociales qui posent problème, même si pour Eurogate on juge que la demande d’augmentation de 100% du salaire est excessive. Ils soulignent que tout peut et doit se négocier, mais sans que l’on agite à tout bout de champ les arrêts de travail et les mortelles grèves du zèle. Mohamed Hachami, DRH et responsable des relations publiques d’Eurogate, y va de son argument : «Une grève perlée est quantifiable et n’est pas du tout une vue de l’esprit ; quand le rythme normal qui est de 20 à 22 mouvements par heure et par portique baisse à moins de 10 et parfois se réduit à 5, cela ne peut tromper personne». Même raisonnement chez Mohamed Tassafout, même s’il parle d’un rythme normal de 28 à 32 mouvements par heure.

Le syndicat veut la réintégration des employés licenciés

Plus que les exigences financières, ce sont les autres demandes des syndicalistes qui mettent les deux opérateurs hors d’eux. Il s’agit notamment de deux exigences. La première est que l’UMT estime avoir un droit de regard sur la politique de sous-traitance de l’employeur. Saïd Hairache, secrétaire général des dockers affiliés à l’UMT, y va de son explication pour motiver cette revendication : «D’abord, il y a la loi qui réglemente la sous-traitance concernant des activités dangereuses, mais aussi le fait qu’un sous-traitant peut menacer la qualité de travail ou même la performance du titulaire». Le syndicat demande tout simplement l’intégration des employés des  prestataires.
Les opérateurs trouvent cette ingérence dans la gestion de l’entreprise intolérable et illégale. Pour Mohamed Tassafout, «c’est au gestionnaire de décider de ce qui est en dehors de son cœur de métier, d’évaluer les activités qu’il veut déléguer et de trouver des prestataires capables de les faire mieux que lui, avec un moindre coût. Et puis cela va générer des revenus pour l’entreprise qui garantira mieux sa pérennité, ce qui se répercutera forcément sur la situation du salarié lui-même».
Eurogate et APM estiment tout simplement que l’UMT pousse le bouchon trop loin en voulant prendre même des décisions sur la liste des personnes devant bénéficier des formations.
Les opérateurs signalent aussi que le syndicat va jusqu’à exiger la réintégration d’employés qui ont été révoqués pour des fautes professionnelles. Ce à quoi répond Saïd Hairache : «Notre demande à ce propos ne concerne que les cas où cela est possible sans tort pour l’employeur».
Bref, même à regarder de plus près, on a du mal à comprendre ce qui justifie l’escalade d’incompréhension et l’état de rupture qui a généré un conflit aussi profond. Serait-ce que l’UMT a voulu placer la barre trop haut pour prouver sa puissance à sa base ? Est-ce qu’il veut obtenir un nivellement entre les salaires des employés de Tanger Med avec ceux de Casablanca et ceux de Tanger ; même s’il s’en défend avec véhémence ? Peut-on aussi incriminer la main-d’œuvre des deux opérateurs qui est très jeune et qui a été recrutée peut-être hâtivement ? Sur ce dernier point, Mohamed Hachami donne un élément d’appréciation : «Nos employés ont été recrutés à 30% dans la région de Tanger et alentours, le reste dans le Gharb et d’autres parties du Maroc, dont Agadir, et c’est nous qui les avons formés car il n’y a pas d’écoles de grutiers ou de manipulation d’outillage performant de manutention et je crois que nous n’avons fait aucune erreur dans le recrutement. La question se situe au niveau de l’encadrement et chacun doit jouer son rôle sans excès ni surenchère». Maintenant que va-t-il se passer dans les jours qui viennent ? Difficile de faire un pronostic, mais tout le monde, y compris les autorités locales, travaille à une solution.

Eurogate dit enregistrer un manque à gagner de 2 à 3 MDH par jour

En tout cas, les opérateurs semblent décidés à ne redémarrer l’activité qu’une fois les obstacles de fond levés (essentiellement les velléités d’ingérence dans la gestion) et restent sceptiques quant à un retour rapide du portefeuille clients. Ils expliquent qu’il sera laborieux de retrouver leur confiance car ils ont conclu de nouveaux liens avec d’autres ports.
Mais cela reste jouable si le conflit est définitivement enterré. Pour le moment, Marco Mignogna, président du directoire d’Eurogate Maroc, évalue le manque à gagner entre 2 et 3 MDH par jour, et il ne parle là que de pertes directes sans inclure ni charges ni pénalités.
Mohamed Hachami est encore plus loquace : «L’activité des terminaux de Tanger Med concerne exclusivement le transbordement contrairement à des ports comme celui de Casablanca dévolu à l’activité d’import-export et où les retards pèsent moins lourds. Cela veut dire que de très grands bâtiments arrivent chez nous pour déposer des marchandises qui vont continuer leur route vers leurs destinations finales. Or, un jour de perdu se solde par des surcoûts qui peuvent se situer entre 60 000 et 70 000 dollars par jour par bateau. Et pour les gros navires, l’addition peut être plus lourde. Même si nous sommes un endroit idéal pour le transbordement, le moindre retard ou dégradation de service incitera les bateaux à nous éviter, surtout que la concurrence est toute proche de l’autre côté de la Méditerranée».
Un coup dur pour Tanger Med dont l’ambition n’est autre que de rayonner sur la Méditerranée.