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L’absorption par les cimenteries de leurs filiales béton fera perdre à l’Etat 140 MDH par an
Lafarge, Ciments du Maroc et Holcim ont lancé cette année des opérations de fusion-absorption de leurs filiales dans le béton. Ces restructurations généreront un manque à gagner annuel estimé à 118 MDH pour le Fonds Solidarité Habitat et à 24 MDH pour le Trésor. Prime de fusion, économies d’échelle, synergies commerciales…, les cimentiers justifient ces opérations par plusieurs objectifs.

Comme s’ils s’étaient donné le mot, les cimenteries ont lancé dernièrement des opérations d’absorption de leurs filiales dans le béton. Lafarge Ciments a enclenché le mouvement le 20 mars dernier en établissant aux termes d’un acte sous seing privé un projet de fusion par voie d’absorption de Lafarge Bétons. Ciments du Maroc a suivi le 16 avril en mettant sur les rails l’absorption de sa filiale dans le béton, Betomar, selon des termes similaires à l’opération de Lafarge. Sans encore passer à l’acte, Holcim Maroc a officialisé en mai dernier, à l’occasion de la présentation de ses résultats annuels, ses intentions qui vont dans le même sens. L’absorption de Holcim Beton par sa maison mère est sur la table de discussions et l’opération devrait être entamée cette année, explique en substance le management du cimentier. Si Holcim ne s’y est pas mis plus tôt, c’est parce que le cimentier était pris ces derniers mois avec la fusion, à présent bouclée, de son autre filiale Holcim AOZ.
Qu’est-ce qui peut bien motiver les cimentiers à mener ces opérations de concentration ? Les opérateurs s’étendent volontiers sur la question et ils ont diffusé lors du lancement de leurs opérations des argumentaires assez fournis, qui se rejoignent à vrai dire. Ainsi, ces restructurations devraient permettre aux industriels de bénéficier d’une intégration verticale pour proposer à leurs clients des solutions complètes, incluant à la fois ciments, béton et granulats. Il devrait en résulter naturellement des retombées commerciales positives sans compter l’avantage à tirer de la réduction des coûts fixes de fonctionnement et de l’optimisation de l’utilisation des ressources financières, humaines et techniques.
Les actionnaires y gagnent aussi puisqu’à l’occasion de la fusion, les biens des sociétés absorbées sont réévalués à leur valeur réelle. Celle-ci est supérieure à la valeur comptable à laquelle les biens étaient inscrits chez la maison mère et le différentiel constitue une prime de fusion dont profitent les actionnaires. Dans le cas de Ciments du Maroc par exemple, ce boni se monte à 416 MDH.
Un autre avantage que tirent les cimentiers de l’absorption de leurs filiales, sans en faire part spontanément, consiste en des économies d’impôts. Il faut en effet savoir que les filiales béton des opérateurs sont pour la plupart déficitaires, ce qui les contraint à acquitter une cotisation minimale au titre de l’IS. Par l’opération de fusion, l’acquittement de cette cotisation ne s’impose plus. Mieux encore, le résultat imposable des maisons mères devrait être réduit par le déficit de l’activité béton, abaissant par là même l’IS à payer.
Le marché du béton devrait se développer les prochaines années
Mais avec tout cela, une question de taille reste en suspens : qu’adviendra-t-il de la taxe spéciale sur le ciment que générait la vente de ce produit par les cimentiers à leurs filiales dans le béton ? Car il faut bien comprendre que les restructurations ont fait que les cimentiers sont passés d’une vente de ciments facturée à leurs filiales à une livraison à soi-même. Conséquence, il n’y a plus de transaction et donc plus de fait générateur de la taxe spéciale sur le ciment.
Mohamed Chaibi, Pdg de Ciments du Maroc et président de l’Association professionnelle des cimentiers (APC), confirme bien cela: «Incidemment, la fusion des filiales béton va induire le non- prélèvement de la taxe spéciale sur le ciment utilisé pour la fabrication du béton». Naturellement, cela est une mauvaise nouvelle pour le Fonds solidarité habitat (Fshiu) qui finance la lutte contre l’habitat insalubre au moyen de cette taxe. Sachant que, déjà, ce fonds, avec 2,2 milliards de DH de recettes en 2013, a vu ses ressources diminuer du fait de la baisse des ventes de ciments au niveau national. A l’inverse, les industriels y gagnent puisqu’ils fabriqueront du béton à moindre frais, ce qui est particulièrement utile dans un secteur marqué par une forte concurrence et en proie à l’informel. Mais auprès des opérateurs, l’on insiste bien sur le fait que cette économie n’est pas ce qui a motivé en priorité les opérations de fusion. L’on assure par ailleurs que si économie il y a, elle sera minime.
Assistés de spécialistes du secteur, nous avons tenté de chiffrer le montant en jeu.
Si l’on se base sur les chiffres de 2013, il s’est vendu au Maroc 5 millions de m3 de béton dont 45%, soit 2,25 millions de m3, ont été écoulés par les trois cimentiers, selon les estimations des professionnels. Pour fabriquer le béton vendu, ces industriels ont dû utiliser 787000 tonnes de ciments, sachant qu’il faut 350 kg de ciment pour obtenir un mètre cube de béton. Ce ciment utilisé doit avoir donné lieu à 118 MDH de taxe spéciale à raison de 150 DH par tonne de ciment. A volumes constants, c’est le montant qui pourrait échapper annuellement au FSHIU. A cela il faut ajouter la TVA sur la taxe spéciale sur le ciment équivalente à 23,6 MDH, dont pourrait être privé le Trésor à l’avenir.
Si l’on est tenté de juger ces montants échappant au Trésor et au FSHIU peu conséquents dans l’immédiat, il faut savoir que la probabilité est grande qu’ils aillent croissants. En effet, les cimentiers redoublent d’efforts pour accroître leur poids sur le marché du béton. D’ailleurs, un but évident des récentes opérations de fusion est de doper les ventes de ce produit. Et la marge de progression est très importante, sachant que le béton ne consomme aujourd’hui que moins de 12% du ciment produit annuellement, tandis que sur les marchés les plus avancés cette part dépasse les 60%.
