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Affaires

La TVA profite davantage aux riches qu’aux pauvres

Les taux faibles de 7% et 10% font économiser aux riches 1,35 milliard de DH en dépenses et seulement 272 MDH aux plus pauvres.
Les produits exonérés représentent une part presque égale dans la consommation des ménages, quel qu’en soit le niveau.
La différenciation des taux crée aussi des difficultés énormes dans les secteurs ou les activités où cette taxe n’est pas déductible.

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Le système de redistribution, tel qu’il fonctionne, joue-t-il pleinement le rôle pour lequel il a été mis en place ? Pas sûr. Qu’il s’agisse des subventions de la farine, du sucre, des produits pétroliers, ou encore de la répartition de la charge fiscale, les dépenses consenties par l’Etat profitent en réalité davantage à ceux auxquels elles n’étaient pas destinées et beaucoup moins à ceux qui en ont vraiment besoin. Et c’est également le cas de la TVA.

Une étude du ministère des finances (direction des études et des prévisions financières) sur «l’évaluation de l’équité de la TVA au Maroc» conclut en effet que cette taxe, pourtant conçue, à travers la différenciation des taux, dans le but d’imposer les ménages aisés plus que les ménages pauvres, «n’est pas si équitable qu’on le croit et ne peut, par conséquent, être un instrument efficace de réduction des inégalités de revenus». Se basant sur la structure de consommation des ménages par taux de TVA, l’étude montre que le recours à des taux réduits sur certains produits, censés être consommés par les ménages à faible pouvoir d’achat, «est un mode de redistribution inefficace».

Elle explique cette conclusion par le fait que même si les produits taxés à 7% représentent 10% du budget de consommation des ménages pauvres et seulement 5% pour les ménages riches, la part que représente justement cette catégorie de biens dans les dépenses des ménages reste faible, nuance-t-il. L’examen de la structure de consommation par taux de TVA, selon les classes de la dépense annuelle moyenne par personne (cinq classes), montre clairement en effet que les ménages pauvres (ceux de la classe 1, qui dépensent annuellement moins de 3 542 DH par personne) consomment plus de produits taxés à 20% que de produits taxés à 7%. Bien plus, les produits totalement exonérés, logiquement profitables aux plus démunis surtout, représentent une part à peu près équivalente dans la consommation des cinq classes de dépense. Plus simplement, la recette fiscale à laquelle l’Etat a renoncé en mettant en place le taux, au lieu d’aller dans le couffin des pauvres – c’était son objectif – se retrouve partagée à peu près «équitablement» entre l’ensemble des consommateurs.

Effets pervers des taux réduits
Il découle de ce constat, révèle l’étude du ministère des finances, que la mise en application des taux 7% et 10%, rapportés au taux «normal» de 20%, génère une économie de dépenses beaucoup plus importante pour les riches que pour les pauvres. Avec les taux de 7% et 10%, les ménages pauvres réalisent en effet une économie respective de 185 millions et 87 MDH, quand les ménages riches économisent, eux, grâce à ces deux taux, 677 et 676 millions, respectivement. Le bénéfice cumulé tiré des taux de 7 % et 10 % se monte donc à 1,35 milliard de DH pour la classe (20%) la plus riche, et seulement à 272 millions pour la classe la plus pauvre. Quand l’Etat renonce à une recette de 3,23 milliards de DH à travers la mise en place des taux de 7% et 10%, et que sur ce montant seulement 272 MDH correspondent à l’objectif social recherché, cela s’appelle mettre l’argent là où il ne faut pas. Cette différenciation des taux de TVA, outre qu’elle ne remplit pas pleinement l’objectif social qui lui est assigné, nous dit cette étude, crée par ailleurs des difficultés énormes dans les secteurs ou les activités où cette taxe n’est pas déductible. C’est par exemple le cas dans le secteur agricole où, du fait de la défiscalisation dont il bénéficie, le producteur supporte la TVA sur les consommations intermédiaires mais n’a aucune possibilité de la récupérer. C’est aussi le cas des activités où les achats et les ventes subissent des taux différents, ce qui engendre des crédits de TVA importants, mais que le fisc ne rembourse pas toujours. Ce faisant, la TVA, dans ces secteurs, se transforme en alors qu’elle est par essence une taxe sur la consommation. Elle perd ainsi de sa neutralité. Bref, la TVA à taux multiple, apparemment, pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Aussi, l’étude des Finances suggère-t-elle, pour assurer une redistribution des revenus plus efficace, d’agir sur la fiscalité directe (par une imposition proportionnelle au revenu, par exemple) ou d’opérer des transferts directs.

 
«Si on veut une TVA équitable, pourquoi ne pas rétablir les taux majorés ?»
 Najib Akesbi, économiste bien connu, estime, lui, que la réforme fiscale qui se profile à l’horizon, celle d’une TVA à taux unique comme le propose l’étude du ministère des finances, est en fait «une contre-réforme ». Il considère en effet que ce n’est pas parce que les riches profitent des taux bas de la TVA qu’il faut les supprimer (les taux, bien sûr), s’interrogeant au passage sur le nombre de ces riches par rapport aux pauvres – plus nombreux, pense-t-il – qui tire profit du système actuel. «Si on veut une TVA équitable, pourquoi ne pas rétablir les taux majorés, qui existaient d’ailleurs avant la réforme de 1986 ?», s’interroge-t-il. «Qu’est-ce qui empêcherait de taxer une Mercedes à 30%, par exemple ?», suggère M. Akesbi. Une chose est sûre, partout dans le monde, en particulier dans les pays développés ou même en voie de développement mais ayant, comme le Maroc, une fiscalité directe moderne, on s’oriente de plus en plus vers une TVA à taux unique ou à deux taux. Sauf que dans ces pays – développés, s’entend -, il existe des mécanismes de soutien aux plus faibles, ce qui n’est pas le cas au Maroc.