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«La réglementation actuelle nous empêche d’investir»
Les industriels de la chimie et de la parachimie réclament l’amendement de la réglementation régissant les établissements classés. Des projets d’extensions d’usines déjà installées ou de nouvelles implantations aux environs de Casablanca sont bloqués puisque Jorf Lasfar demeure à ce jour l’unique zone industrielle de classe 1.
Le secteur de la chimie-parachimie ne peut se développer sans l’amendement des textes régissant les établissements classés. C’est ce qu’ont souligné les industriels lors du workshop organisé par leur fédération le 13 juillet à Casablanca. Le président de la Fédération de la chimie et de la parachimie, Abdelkbir Moutawakkil, revient en détail sur les préoccupations du secteur et dresse le bilan à mi-chemin du contrat programme 2013-2023.
Commençons par l’actualité, notamment le dernier workshop sur la réglementation relative aux établissements classés que vous venez d’organiser. Pouvez-vous nous expliquer comment cette réglementation est devenue un frein au développement de l’industrie marocaine, notamment de la chimie et la parachimie ?
Le cadre légal et réglementaire qui régit les établissements classés au Maroc date du début du siècle dernier. Ses références technologiques, économiques et sociales, largement dépassées aujourd’hui, continuent de servir de base pour classer les entreprises qui souhaitent s’installer. C’est ainsi qu’à partir d’un stockage de 5 tonnes de GPL (gaz de pétrole liquéfié) ou 20 tonnes d’un liquide inflammable, des quantités relativement faibles pour les unités de production modernes, une entreprise se trouvera automatiquement en classe 1, le niveau de danger le plus élevé. Une unité de production de 1ère classe se doit d’être installée dans une zone industrielle de 1ère classe. Or une telle industrie, qu’elle relève ou non de notre secteur, et qui souhaiterait s’installer aujourd’hui aux environs de Casablanca, à proximité du principal port à conteneurs, et/ou de sa clientèle, ne peut pas le faire parce qu’il n’y a presque plus de zones industrielles de classe1, à l’exception de celle de Jorf Lasfar.
Bien plus, la spécificité de l’activité d’une entreprise fait que ce type d’emplacement peut ne pas lui convenir. Plus grave, des entreprises, qui ont été autorisées et exerçant depuis des décennies dans des zones qui étaient classe 1, se voient aujourd’hui se faire refuser des projets d’extension, parfois très ambitieux, en vertu d’une évolution non concertée et non cohérente de la réglementation traitant de l’urbanisme ou de l’environnement. A celles qui sont de première classe, on demande de transférer leurs activités à Jorf Lasfar. Comment peut-on exiger d’une entreprise de plusieurs centaines d’employés de déplacer son activité à 130 km avec toutes les contraintes économiques et sociales qu’engendrerait un tel déménagement ?
A titre d’illustration, nous avons un adhérent, dont l’activité est à 100% à l’export, qui souhaite étendre son activité pour un investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros. Mais il est dans une situation de blocage, qui pourrait amener l’actionnaire européen à décider d’opérer cette extension dans sa filiale espagnole. Notre fédération milite depuis sa création pour la revue de l’arsenal juridique traitant des établissements classés, qui est caduc, kafkaïen, impliquant une multitude d’intervenants et d’interlocuteurs, chacun avec ses exigences. Il constitue aujourd’hui une vraie barrière au développement industriel et pas seulement de notre secteur.
A votre niveau, comment comptez-vous contribuer à la refonte de cette législation et quels sont vos propositions clés ?
Bien que cette réglementation s’applique à toutes les industries sans exception, notre fédération a voulu faire de son amendement l’une de ses priorités. Cela fait maintenant plus de vingt ans que nous sensibilisons et travaillons de près avec les différentes administrations concernées (Equipement, Environnement et Industrie et Commerce). Nous avons fait ensemble des études, signé des conventions de partenariat, organisé au moins trois rencontres nationales autour de cette thématique. Un projet de loi a même atteint le SGG, mais malheureusement n’a pas abouti. Dans le contrat programme de notre secteur signé devant S.M. le Roi, en février 2013, il a été clairement stipulé la caducité de cette réglementation et l’engagement des différents ministère signataires à l’amender. Nous avons aussi inscrit cette problématique parmi les mesures d’accompagnement transverses indispensables à la réussite des écosystèmes de la chimie et parachimie dont les contrats ont été signés en décembre 2015.
Par l’organisation de ce type de workshops, nous continuons à mener le combat pour changer cette réglementation, car nous sommes certains que cela va débloquer plusieurs projets d’investissement dans tous les secteurs. L’Etat fournit des efforts considérables pour promouvoir l’entreprenariat, booster l’industrie et développer l’emploi, il est donc dommage de maintenir un environnement réglementaire inadapté, et parfois bloquant.
Et vos actions au profit du secteur ?
Les actions de notre fédération, dans ce sens, sont multiples et se situent à plusieurs niveaux.
D’abord sur le plan économique. Nous avons réalisé une étude stratégique complète qui a duré 3 ans et a couvert les 15 filières du secteur. L’étude a permis en particulier de faire le diagnostic de chaque filière, d’identifier ses points forts et ses points faibles, de fixer une stratégie de développement spécifique et d’établir un master-plan par filière avec les mesures d’accompagnement adaptées.
Ce sont les résultats de cette étude qui ont permis d’alimenter le contrat programme signé devant S.M. le Roi en 2013 et les contrats de performance des écosystèmes de la chimie et parachimie signés en 2015 avec potentiellement 31 projets locomotives et 48 projets PME à l’horizon 2023. A terme, l’objectif est d’augmenter de 14,6 milliards de DH le chiffre d’affaires du secteur, d’améliorer de 9,8 milliards la balance commerciale, de produire une valeur ajoutée directe additionnelle de 3,8 milliards et de créer 33 000 nouveaux emplois directs et indirects.
En matière de veille réglementaire et normative du secteur, notre fédération intervient à plusieurs stades. Elle enrichit les projets de textes qui lui sont soumis pour avis par l’administration et contribue ainsi à faire connaître le point de vue du secteur de la chimie et de la parachimie sur ces projets. Cela a été le cas, dernièrement, pour des textes comme la loi sur les délais de paiement, la loi sur l’importation des produits à double usage, la loi sur la filière de la cosmétique et de l’hygiène corporelle, la loi sur les détergents ou l’écotaxe, etc. Elle est source de proposition pour la mise en place de nouveaux textes ou l’amendement d’anciens rendus nécessaires pour les besoins de l’économie.
Y a-t-il d’autres questions brûlantes ?
Il y a également le volet relatif aux terrains industriels. Parallèlement aux efforts de l’administration, la Fédération de la chimie est en quête permanente de zones industrielles autour de Casablanca pour permettre à nos industriels de s’installer et de réaliser leurs projets d’extension qu’ils ne peuvent faire aujourd’hui dans la cadre de la réglementation actuelle.
Enfin, nous œuvrons pour l’amélioration des standards et bonnes pratiques puisque la fédération de la chimie est membre de la Confédération internationale de la chimie, ICCA. Elle est, à ce titre, signataire de l’engagement «Responsible Care» depuis 1998. Un engagement volontaire à tirer vers le haut, au sein du secteur, les pratiques de la sécurité et de l’environnement. La fédération a ainsi réussi à faire adhérer à cet engagement 33 entreprises, représentant plus de 60% du chiffre d’affaires du secteur de la chimie et parachimie.
Quel bilan d’étape dressez-vous du contrat-programme 2013-2023
Le contrat-programme signé devant le Souverain en février 2013 a nécessité plusieurs années de travail et de réflexion. Il a eu le mérite de faire une mise au point sur les axes directeurs, les freins au développement, ainsi que les leviers de croissance pour notre secteur. Il a ainsi constitué une matière riche pour la mise en place des contrats-performance du secteur, signés en décembre 2015 dans le cadre du Plan d’accélération industrielle (PAI). Ces contrats-performance sont assortis de plans d’actions, d’objectifs et de ressources.
Dans un premier temps, deux écosystèmes (chimie organique et chimie verte) ont été élaborés, mettant en exergue un certain nombre de «business cases», qui représentent potentiellement 31 projets locomotives et 48 projets PME. Rappelons qu’à la différence des contrats-programme de 2013, ces écosystèmes et ces objectifs n’incluent pas ceux du groupe OCP qui, du reste, sont également très ambitieux. En effet, le groupe vise, d’une part, à inciter les fournisseurs étrangers d’intrants chimiques à investir au Maroc et générer ainsi une valeur ajoutée locale et, d’autre part, à valoriser des éléments autres que le phosphore, issus de la ressource minérale.
Nous sommes donc optimistes de voir notre secteur s’installer dans une spirale ascendante, et sommes confiants pour son avenir. Néanmoins, des freins subsistent et nous déployons de grands efforts avec les différents départements concernés pour relever les défis. Je me permets, à ce titre, de rappeler que les nations qui ont traversé correctement les crises successives, dont celle de 2008, sont celles qui ont su sauvegarder et favoriser leur industrie chimique (Allemagne, Japon, etc).