Affaires
La réforme des Centres régionaux d’investissement réactivée
Le gouvernement a constitué une commission interministérielle présidée par le ministère de l’intérieur et constituée de départements ministériels concernés. Objectif : mener une refonte complète de l’action et de l’organisation des CRI. Le secteur privé ne cache pas son mécontentement face à l’action de ces structures depuis leur création.
Les Centres régionaux d’investissement compliquent l’acte d’investir ! Ce constat, pour le moins paradoxal, a été relevé par le Souverain dans le dernier discours du Trône, mettant un grand point d’interrogation sur toute la philosophie qui a présidé à la création de ces structures début 2002. A cette date, la lettre royale (9 janvier) instituant cette réforme mettait l’accent sur «les difficultés que rencontrent les promoteurs en raison des formalités nombreuses et complexes exigées pour la constitution de sociétés ou d’entreprises individuelles et l’aboutissement des procédures administratives nécessaires à l’acte d’investir». Quinze ans après, cette réforme qui se voulait «un modèle de réforme de l’administration» est loin d’être concluante ! Le discours du Trône du 30 Juillet faisait le constat selon lequel «les Centres régionaux d’investissement, si l’on en excepte un ou deux, constituent un problème et un frein au processus d’investissement : ils ne jouent pas leur rôle de mécanisme incitatif».
Pourquoi donc ces structures censées favoriser la création d’entreprises et faciliter l’acte d’investir en deviennent l’écueil ? Qu’est-ce qui fait qu’un centre régional est performant et qu’un autre l’est moins ? Et quels sont les recadrages qui s’imposent pour rectifier le tir ?
A la base, il faut rappeler que la réforme de 2002 voulait étendre et concrétiser, dans un domaine essentiel du développement économique et social qu’est l’investissement, la vision du rôle de l’autorité au service du citoyen, étant donné que le cadre régional peut être la dimension territoriale et administrative la plus opportune, compte tenu des moyens dont dispose actuellement l’administration territoriale. Pour ce faire, les 12 CRI aujourd’hui en activité, placés sous la responsabilité des walis des régions, ont deux fonctions essentielles : l’aide à la création d’entreprises et l’aide aux investisseurs, et donc sont composés de deux guichets. Le guichet d’aide à la création d’entreprises est l’interlocuteur unique de toutes les personnes qui veulent créer une entreprise, quelle qu’en soit la forme. Son personnel met à la disposition des demandeurs un formulaire unique dans lequel figurent tous les renseignements exigés par la législation ou la réglementation pour la création de l’entreprise. Ce personnel accomplit toutes les démarches nécessaires pour recueillir, auprès des administrations compétentes, les documents ou attestations exigés par la législation ou la réglementation, et qui sont nécessaires à la création d’une société. Dans un délai correct et réduit au maximum, il fournit au demandeur les pièces justificatives délivrées par les administrations établissant l’existence de l’entreprise.
La fonction du second guichet, celui d’aide aux investisseurs, est de procurer aux investisseurs toutes les informations utiles pour l’investissement régional, étudie toutes les demandes d’autorisations administratives et prépare tous les actes administratifs, nécessaires à la réalisation des projets d’investissement dont le montant est inférieur à 200 MDH. Ceci pour permettre au wali de la région de délivrer les autorisations ou de signer les actes administratifs afférents à ces investissements. Le CRI étudie aussi, pour les investissements dont le montant est égal ou supérieur à 200 MDH, les projets de contrats ou de conventions à conclure avec l’Etat, en vue de faire bénéficier l’investisseur d’avantages particuliers, et les transmet à l’autorité gouvernementale compétente pour approbation et signature par les parties contractantes. Bien entendu, tout cela n’a pas été laissé sans contours : des études doivent être menées régulièrement par les délégués régionaux des départements ministériels compétents qui rendent compte au wali de l’exercice de leurs compétences et leurs missions.
Actuellement, pour évaluer l’accomplissement de ces fonctions, les indicateurs n’existent pas pour la plupart des CRI. Certains (4 plus précisément) ont adopté des plans d’action qui arrêtent les objectifs à suivre à moyen terme. Toutefois, ces plans ne disposent pas d’indicateurs de performance et de budgets nécessaires à leur réalisation. Pour les autres CRI, des plans annuels ont été élaborés. Ces derniers sont calqués sur les stratégies sectorielles mises en place au niveau national. Ce qui n’aide pas à apprécier la véritable valeur ajoutée des centres, d’autant plus qu’au niveau de l’évolution des investissements ayant transité par les centres, une variabilité très importante d’année en année est constatée. Pas de tendance de fond, haussière, et soutenue dans la durée quant au nombre de projets autorisés et le montant des investissements.
Des carences sérieuses en matière de gouvernance au niveau régional
Quoi qu’il en soit, sur le terrain, la pléiade d’investisseurs sondés sont dans leur majorité insatisfaits. Ils rapportent que leurs demandes, allant des plus basiques (préparation d’actes administratifs, mise en contact…) jusqu’aux autorisations complexes, ne trouvent pas écho auprès de plusieurs CRI. Une source à la CGEM résume ce constat en déplorant un grand déficit en matière de gouvernance et une défaillance du processus de prise de décision. «Il n’y a personne pour prendre le risque, d’autant plus que les commissions qui statuent sont multi-départementales, elles se rejettent la responsabilité, arguant à chaque fois qu’elles ne sont pas habilitées à le faire», détaille-t-elle.
Le discours du Trône a vu juste quand il a repris une vérité générale et un mal éternel: «L’un des problèmes qui entravent aussi le progrès du pays est la faiblesse de l’Administration publique, en termes de gouvernance, d’efficience ou de qualité des prestations offertes aux citoyens». Voilà qui est dit ! «La pluralité des intervenants dans les commissions et le nombre de documents à produire ôtent au concept de guichet unique toute son efficacité et allonge indéfiniment les délais», témoigne un promoteur marocain de la région du Nord qui se rappelle sa mésaventure avec le CRI pour une autorisation obtenue au bout de… 3 ans! La source de la CGEM affirme que le bât blesse davantage quand il s’agit d’investisseurs étrangers qui, déçus par le retard et l’inefficacité des CRI, préfèrent rebrousser chemin, citant un grand groupe allemand qui préparait une joint-venture avec un opérateur local, sans suite ! Un autre entrepreneur rapporte qu’il a dû se déplacer à plusieurs reprises au CRI, à l’OMPIC, et à la Direction des impôts. «La représentation effective des administrations auprès des CRI est l’une des principales contraintes obligeant parfois les CRI ou les personnes qui comptent créer des entreprises à faire le tour auprès des différentes administrations concernées», expliquent des responsables de l’Administration. Il est à noter que peu de CRI disposent d’un guichet unique où sont représentées toutes les administrations concernées par la création d’entreprise (5 au maximum). La qualification des ressources humaines est également montrée du doigt par plusieurs investisseurs qui trouvent qu’elles se limitent à des missions basiques alors que la vocation du CRI implique qu’il soit outillé de compétences qui maîtrisent les forces et faiblesses de la région et qui peuvent améliorer l’attractivité et le marketing territorial. Aussi, plusieurs élus sont déconnectés de l’investissement dans leurs collectivités et n’en font pas une priorité. Les investisseurs relatent également que le guichet d’aide à la création d’entreprise manque souvent d’annexes au niveau provincial, préfectoral ou communal pour prendre en charge toutes les demandes, alors que le besoin existe. Les officiels expliquent cette carence par un déficit de moyens.
Une commission chargée du dossier de la gouvernance et de la réforme de l’Administration sera créée
Force est de constater que plusieurs carences rapportées par les investisseurs, quelques responsables de CRI, et les gestionnaires de la chose locale ont été déjà relevées par la Cour des comptes dans deux rapports datant de 2009, puis 2011. Pas de vision stratégique, manque de cohérence entre les plans sectoriels et ceux des CRI, manque de moyens logistiques et humains, absence d’échanges en temps réel entre les CRI et les administrations, pas de prérogatives juridiques pour plaider la mobilisation et la prise en compte des besoins en foncier pour le développement futur de l’activité économique… La liste est longue ! Néanmoins, même avec cela, les officiels rétorquent que «les CRI ont pu mettre en place des dispositifs sérieux et ambitieux en faveur des investisseurs en vue d’aider à la facilitation des démarches administratives et le renforcement de l’investissement», ajoutant qu’une partie de l’effort est visible dans le nombre de création d’entreprises, «en hausse d’année en année pratiquement dans tous les guichets». Quoi qu’il en soit, il est clair que des actions urgentes de recadrage de la réforme s’imposent ! Chose faite: au lendemain du discours et face à la fermeté des messages relayés, l’Exécutif n’a pas mis beaucoup de temps pour réagir. Selon des sources au ministère de l’industrie et du commerce, un chantier de réforme globale pour une modernisation complète des CRI vient d’être lancé. Le gouvernement a constitué une commission interministérielle en charge de ce chantier, présidée par le ministère de l’intérieur et constituée des départements ministériels concernés. Aussi, une grande mesure qui porte sur l’administration, qui semble se trouver au centre de l’échec de cette réforme des CRI, a été décrétée. Il s’agit en effet de la création d’une commission chargée du dossier de la gouvernance et de la réforme de l’Administration qui sera composée de plusieurs ministères et présidée par le ministère délégué auprès du chef du gouvernement chargé de la fonction publique et de la modernisation de l’Administration. Enfin, le chef du gouvernement a appelé à l’accélération de l’élaboration des mesures de simplification des procédures administratives et leur annonce dans les plus brefs délais. Reste qu’en dehors de toute réforme des institutions, c’est d’abord l’humain qui doit faire sa mue! «Pour mettre fin aux dysfonctionnements de ces centres, il appartient au gouverneur et au caïd, au directeur et au fonctionnaire, ainsi qu’au responsable communal, d’adopter les méthodes actives de travail et les objectifs ambitieux des cadres du secteur privé pour aboutir à des résultats concrets», résume le Souverain sans ambages.