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La pression fiscale au Maroc tourne autour de 23% du PIB depuis une dizaine d’années
La pression fiscale par rapport au PIB non agricole est de 4 points plus élevée. Les recettes fiscales constituent 80% des ressources de l’Etat. Le Maroc a des taux d’imposition plus élevés que beaucoup de ses concurrents.

Le nouveau gouvernement hérite d’une situation assez tendue en matière de ressources, puisque, ici et là, on annonce un déficit budgétaire supérieur à 5% du PIB ; et ceci dans l’hypothèse, très improbable, où l’objectif de croissance de 5% du PIB visé au départ se réalise.
Par conséquent, pour tenir ses engagements, notamment ceux d’un déficit limité à 3% du PIB et d’un doublement de l’investissement public, pour ne citer que ces deux exemples, cet Exécutif devra soit augmenter ses recettes fiscales, soit procéder à des emprunts. Or, on sait que dans son programme le PJD a promis de réduire l’impôt sur le revenu pour les catégories sociales défavorisées et moyennes, c’est-à-dire l’essentiel de l’assiette de cet impôt, et de l’augmenter pour les hauts revenus, autrement dit pour une portion infime des contribuables. Il a également promis de baisser l’impôt sur les sociétés (IS) à 25%, et de porter le chiffre d’affaires donnant lieu à un IS à 15% de 3 MDH à 5 MDH.
Au regard de ces promesses, le PJD juge-t-il que la pression fiscale est trop forte sur les contribuables ? Ou bien compte-t-il récupérer ce qu’il aura concédé sur la fiscalité directe (IR et IS) en augmentant la fiscalité indirecte, notamment la TVA qu’il veut porter à 30% pour les produits de luxe ?
L’assiette fiscale reste limitée au Maroc
En observant les niveaux de prélèvements fiscaux dans le monde (voir tableau), et mis à part les pays exportateurs de pétrole, on peut penser, à première vue, que la pression fiscale au Maroc est tout à fait correcte : autour de 23% depuis une dizaine d’années, 22,1% en 2011 d’après les estimations du ministère des finances contre 22,8% en 2010. Pourquoi correcte ? Parce que les ressources de l’Etat proviennent à hauteur de 80% des recettes fiscales. Autrement dit, l’Etat n’a pas d’autres choix, pour financer ses programmes d’investissement, sa politique sociale…que de prélever l’impôt.
Dans les faits, cependant, ce niveau de pression fiscale est plus lourd qu’il n’y paraît. En effet, en rapportant le montant total des recettes fiscales au PIB (c’est la méthode de calcul de la pression fiscale), on fait comme si tout le monde et tous les secteurs contribuent à ce PIB. Or, on sait qu’au Maroc le secteur agricole est exonéré d’impôts. En bonne logique, la pression fiscale devrait donc être calculée par rapport au PIB non agricole. Si on devait procéder ainsi, on aurait eu par exemple en 2010 une pression fiscale de 26,4% au lieu de 22,8% et, en 2008, de plus de 31%. Selon nos calculs, il y a, bon an mal an, une différence de 4 points selon que le dénominateur est le PIB global ou seulement non agricole.
Logiquement, une analyse plus fine de la pression fiscale conduirait à soustraire du dénominateur tous ceux qui, pour une raison ou une autre, n’y contribuent pas. On sait par exemple qu’aujourd’hui 53% des salariés sont exonérés de l’impôt sur le revenu. A la limite, dans ce cas, il s’agit d’un choix des pouvoirs publics pour redonner du pouvoir d’achat à cette catégorie de la population, de la même façon que de nombreuses activités économiques, pour les encourager, sont exonérées de l’impôt ou bénéficient d’abattements fiscaux. Il n’empêche que, en tenant compte également de l’informel, de l’évasion fiscale, l’assiette sur laquelle sont assis les prélèvements, y compris la TVA, pourtant comprise dans les produits et services que nous achetons, est finalement assez réduite. Tout cela pour dire que le poids de la fiscalité en lui-même n’est pas si lourd que cela au Maroc ; c’est le fait qu’il soit supporté par peu de contribuables, personnes physiques ou sociétés, qui le rend pesant. Car, si l’assiette était plus large, les taux d’imposition actuels pourraient être abaissés sans que les recettes en soient négativement affectées.
L’IS à 20% en Turquie et 16% en Roumanie
Si l’on prend l’exemple de l’impôt sur les sociétés (IS), on constate que de nombreux pays concurrents du Maroc ont des taux d’IS plus faibles : 20% en Slovénie et en Turquie, 19% en Pologne et en Slovaquie, 17% au Chili, 16% en Roumanie, 10% en Serbie, et 30% au Maroc. Idem pour l’impôt sur le revenu. Précisons néanmoins que, de manière générale, dans les pays où le taux d’IS est faible, et à l’exception encore une fois des pays pétroliers, l’Etat se rattrape sur la TVA qui est dans beaucoup de cas élevée. Exemple : la Hongrie avec deux taux d’IS bas, 10% et 19% mais une TVA à 27% pour le droit commun et 18% pour la restauration et la nourriture de base ; le taux faible de 5% étant réservé aux médicaments et aux livres.
Le Maroc a lui aussi entamé, depuis 2005, une réforme dans ce sens : faire progressivement de la TVA l’impôt (ou plutôt la taxe) pivot de sa fiscalité. Ceci pour une raison fort simple : la TVA est la taxe qui dispose d’une assiette potentielle énorme. Cela est vrai partout ailleurs, mais c’est encore plus vrai au Maroc où la croissance repose principalement sur la consommation des ménages. Or, aujourd’hui, c’est à ce niveau que les exonérations sont les plus importantes : 13,24 milliards de DH de dépenses fiscales au titre de la TVA en 2011, soit 41,3% de l’ensemble des dépenses fiscales. Et encore, ce montant concerne seulement les mesures dérogatoires recensées !
Cela dit, dans un pays où le chômage, la précarité et la pauvreté sont encore des réalités assez pesantes, s’appuyer fortement sur la TVA risquerait de fragiliser encore plus le pouvoir d’achat de ces populations.
