SUIVEZ-NOUS

Affaires

«La plupart des clients jugent que le surcoût du financement participatif est justifié»

Avec des milliers de comptes ouverts et des centaines de financements initiés sur cinq mois d’activité, Bank Assafa est en ligne avec son business plan. Les clients s’accommodent des comptes ouverts auprès des établissements conventionnels et ne recourent à la banque participative que pour obtenir un financement immobilier. En dépit des investissements publicitaires consentis jusqu’à présent, l’offre reste encore peu connue.

Publié le


Mis à jour le

Youssef Baghdadi

Cinq mois après le démarrage de ses activités, Bank Assafa commence à creuser son sillon sur le marché de la finance participative. Youssef Baghdadi, président du directoire, se félicite du bon début et lève quelques zones d’ombre sur le fonctionnement du métier.

 Bank Assafa a ouvert ses agences depuis août dernier. Quel bilan pour ces 5 premiers mois d’activité ?

L’engouement de la clientèle pour notre offre est perceptible. Nous avons opéré depuis le démarrage effectif de notre activité des milliers d’ouvertures de comptes, avec ce qui s’en suit de dépôts collectés et de distribution de moyens de paiement. De même que nous avons initié des centaines de financements Mourabaha immobilière dont plusieurs sont aujourd’hui dénoués. Les réalisations sont jusqu’à présent en ligne avec les objectifs de notre business plan.

Que retenez-vous des premiers contacts avec la clientèle intéressée par cette nouvelle industrie ?

Sans surprise, les intéressés consistent surtout en des particuliers, tout en sachant que nous avons aussi capté une clientèle de TPE et de PME qui devrait se renforcer au fur et à mesure que l’offre se développera. La majorité écrasante de ces clients est d’abord intéressée par le financement immobilier bien plus que par l’ouverture de compte. Cela est à lier au fait que les clients, même les plus pieux, s’accommodent tout à fait du compte qu’ils détiennent déjà auprès des établissements conventionnels. Ce n’est que lorsqu’ils souhaitent contracter un financement que le souci de se conformer à la Charia s’exprime clairement. Il faut aussi dire que beaucoup de clients ont cette idée fausse que l’industrie participative ne propose que des financements. Un premier effort de pédagogie que nous avons dû déployer a donc consisté à expliquer qu’il ne s’agit que d’un volet de l’offre des établissements participatifs qui sont des banques à part entière à même de proposer tous les services et solutions bancaires classiques.

Mais tout financement accordé donne bien lieu à une ouverture de compte en définitive…

Non, une partie de la clientèle fait le choix de conserver son compte détenu auprès d’un établissement conventionnel, d’autant plus lorsqu’elle a des engagements sur ce compte. Car je précise bien qu’il n’est pas obligatoire de détenir un compte chez nous pour bénéficier d’un financement. Cela ne doit en fait jamais être imposé pour garantir la conformité de l’activité à la Charia. Ce serait de toutes les manières une erreur d’essayer à tout prix de faire migrer la clientèle vers l’industrie participative, cannibalisant ainsi l’activité des établissements conventionnels. Car après tout, un des objectifs de l’introduction de cette nouvelle industrie dans notre pays est d’aller chercher la clientèle qui n’est pas bancarisée pour une plus grande inclusion financière au niveau national.

 Est-ce qu’effectivement vous attirez aujourd’hui des particuliers qui n’ont jamais été clients de banque ?

Nous captons effectivement ce type de clients mais ils sont encore loin de représenter le profil dominant. La clientèle a encore besoin de temps pour comprendre cette nouvelle industrie. En dépit de tous les investissements publicitaires consentis jusqu’à présent, l’offre reste bien moins connue que ce que l’on pourrait croire. Nous demeurons dans une configuration de secteur en devenir dont les fondements et les principes ne sont pas encore connus et maîtrisés par la clientèle. Il s’agit à présent d’intensifier les efforts de terrain tout en admettant que la cible qui est toujours dans l’attentisme n’adhérera effectivement à l’offre que lorsqu’elle aura un véritable besoin.

 L’assurance participative, Takaful n’est toujours pas disponible. Cela gêne-t-il les demandeurs de financements ?

Nous constatons que l’absence de cette solution est effectivement un frein pour une partie de la clientèle. Des demandeurs de financements ont renoncé à souscrire à la Mourabaha immobilière, jugeant qu’il était risqué de ne pas être couvert par une assurance dans ce cadre. Ces clients restent minoritaires parmi l’ensemble des demandeurs qui se manifestent. Mais il faut aussi envisager le fait que l’absence du Takaful a dissuadé d’office des demandeurs potentiels qui n’ont même pas approché les établissements participatifs.

 Justement, comment comptez-vous gérer la survenance d’un sinistre pour les clients que vous avez financé?

Si ce type de situations devait se présenter, nous nous livrerons à des études de dossiers au cas par cas en prenant en considération plusieurs facteurs dont par exemple la catégorie socioprofessionnelle. En définitive, nous n’imposerons pas forcément au client de prendre en charge l’intégralité du sinistre, conformément à la démarche de recouvrement éthique que nous dicte notre référentiel.

 La Mourabaha immobilière a été critiquée par le public dès son lancement pour son coût, généralement plus élevé que le tarif du financement conventionnel. Comment justifiez-vous ce surcoût et comment la clientèle intègre-t-elle aujourd’hui cette donne ?

Tout en continuant à comparer systématiquement entre l’offre conventionnelle et celle participative, la plus grande partie des clients admet aujourd’hui notre politique de pricing qu’elle juge justifiée pour accéder à une solution de financement conforme à la Charia. S’agissant du coût de la Mourabaha immobilière, il s’explique d’abord par les charges de gestion de l’industrie participative qui sont radicalement différentes de ce que supportent les banques classiques. Celles-ci ont des process industrialisés tandis que nous sommes en train de roder la machine, ce qui a un coût. Par exemple, nos conseillers clientèle en agence peuvent consacrer jusqu’à une heure de leur temps à un seul client pour lui expliquer le fonctionnement de cette industrie. Ensuite, notre coût du risque est nécessairement plus lourd du fait que nous ne facturons aucun frais accessoire en cas de défaut de paiement du client alors que les banques classiques peuvent appliquer des intérêts de retard, entre autres charges, dans ces cas. Cela fait d’ailleurs que si l’on compare le coût global du financement participatif avec celui du financement conventionnel sur toute la durée du financement et non pas seulement le jour de la contractualisation, comme cela se fait habituellement, le premier s’aligne en général sur le second, et peut même être plus avantageux.

 Les contrats-type de la Mourabaha immobilière diffusés par Bank Al-Maghrib semblent avoir été diversement interprétés par les banques, ce qui donne lieu à des pratiques hétérogènes sur la place. Cela ne constitue-t-il pas un risque ?

Le cadre réglementaire de la Mourabaha immobilière laisse une marge d’interprétation aux opérateurs car il aurait été difficile de tout réglementer dès le départ, certains aspects nécessitant une mise en pratique des produits. Lorsque l’on aura tiré des enseignements des premiers retours de terrain, Bank Al-Maghrib et le Conseil supérieur des oulémas apporteront certainement les ajustements et précisions nécessaires au cadre actuel et les pratiques tendront à s’uniformiser. D’ici là, il faut veiller à ce que les process mis en place ne compromettent pas la conformité des produits. Cela doit être en général la priorité de toute la place car il en va de la crédibilité de cette industrie vis-à-vis de la clientèle. Pour notre part, nous estimons que la banque participative doit effectivement prendre un risque dans le cadre de son activité pour s’accorder avec l’esprit de cette industrie. Dans le cas de la Mourabaha immobilière, il s’agit pour l’établissement de s’approprier effectivement le bien objet du financement, avec ce qui s’en suit comme procédures d’enregistrement auprès de la Conservation foncière, avant de le revendre au client. Cela fait d’ailleurs que nous avons plusieurs biens immobiliers qui sont aujourd’hui inscrits à notre bilan au titre de dossiers de financement qui sont en cours de traitement.

 Quel est justement aujourd’hui le délai de dénouement de la Mourabaha immobilière ?

Nous mettons actuellement en général une semaine pour accorder un dossier et entre un mois et un mois et demi pour le dénouement total du financement. Mais nous pensons pouvoir ramener ce délai à court terme à moins d’un mois une fois les process rodés. Ceci dans l’hypothèse où le client présente dès le départ une demande complète car le fait de devoir compléter progressivement les dossiers rallonge considérablement les délais. Les temps de traitement ne pourront aussi être écourtés que si toutes les parties prenantes dans la procédure font des efforts dans ce sens. Par exemple, nous nous heurtons encore au refus de certains notaires de traiter des contrats d’achat par Mourabaha immobilière.

Comment l’offre de produits participatifs devrait-elle se développer sur les mois à venir ?

Nous nous attendons à ce que les contrat-type relatifs à la Mourabaha mobilière soit diffusés ce mois de janvier et qu’ils soient suivis peu après par ceux relatifs à l’Ijara. Le cadre des comptes d’investissement (comptes participatifs rémunérés) devrait venir ensuite au plus tard d’ici mars. Pour leur part, les solutions d’assurance participative sont attendues pour juin prochain mais elles ne devraient être probablement disponibles que d’ici la fin de l’année.