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La LOA, une menace pour les sociétés de crédit à la consommation ?
Cette formule alimente à elle seule la croissance de la production des sociétés spécialisées depuis quasiment 3 ans. Sa marge nette moyenne a chuté, passant de 1,5% à 0,05%, dans un contexte de forte concurrence. Elle enfonce la profitabilité des sociétés qui n’en retirent que des commissions ponctuelles plutôt que des revenus d’intérêt étalés dans le temps.

C’est aujourd’hui le financement sur lequel les sociétés de crédit à la consommation misent le plus et pourtant il ne leur rapporte quasiment rien ! La distribution de crédits automobiles en location avec option d’achat (LOA) tourne en effet à plein régime. «C’est véritablement cette formule qui justifie pour la plus grande partie la croissance du crédit automobile et même le maintien de toute la production des sociétés de crédit conso depuis près de 3 ans», assure le directeur commercial d’une société de la place. Cela se vérifie par les chiffres de l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF). La LOA, dont la production a continuellement crû à deux chiffres depuis 2014, a dopé l’encours du financement automobile de 33% jusqu’au premier trimestre de l’année en cours. Etablis à 24 milliards de DH, plus des deux tiers de ce stock sont constitués de la LOA. En parallèle, l’autre métier historique des sociétés spécialisées, le prêt personnel, a vu son encours régresser de 8%, à 21,9 milliards de DH, entre fin 2014 et le premier trimestre de l’année en cours.
La LOA réhabilitée par la baisse des ventes
Il aurait été pourtant difficile de parier sur un retour en grâce de la LOA il y a encore peu. En 2013, successivement à l’assujettissement des ventes de véhicules d’occasion à la TVA, les sociétés avaient retiré cette solution de leur catalogue, sa rentabilité ayant baissé drastiquement. Cette même année, le marché automobile enregistre une de ses pires évolutions de la décennie avec une baisse des nouvelles immatriculations de plus de 7%. Cela motive les concessionnaires à explorer des pistes avec les sociétés de crédit conso pour réhabiliter la LOA, spécifiquement celle présentée comme gratuite, qui domine aujourd’hui largement le marché. Un accord est trouvé consistant pour les revendeurs automobiles à reverser aux sociétés une partie de leur marge sur chaque voiture vendue à crédit pour que celles-ci puissent s’y retrouver. Il faut donc bien comprendre que dans la majorité des solutions de LOA gratuites proposées aujourd’hui, une partie du prix du véhicule payée par le client rémunère directement la société de financement. «Cette commission démarre à 2% du prix du bien hors taxe et peut aller jusqu’à 10%», dévoile le directeur financier d’une société de la place. Ce système de rémunération, entouré d’un grand secret, évolue par ailleurs au gré des priorités commerciales des distributeurs (stock à écouler pour préparer le terrain à de nouveaux modèles, incitation des ventes de certaines catégories à la traîne…).
C’est peu dire que la formule issue de ce montage a permis de reconquérir la clientèle. «Les emprunteurs ne jurent plus que par la LOA gratuite. Les clients qui optent pour le crédit classique ne le font que parce qu’ils n’arrivent pas à fournir l’apport demandé -généralement entre 35 et 50% de la valeur du véhicule- garantissant le paiement de la valeur résiduelle du bien à l’échéance du prêt», certifie le directeur marketing et commercial d’un opérateur du marché. Et même avant d’en venir au crédit classique, les emprunteurs s’assurent bien d’avoir épuisé toutes les pistes. «Certains clients contractent même un prêt personnel pour couvrir l’apport requis», témoigne le responsable. La LOA gratuite commence même à être réclamée par de nouvelles catégories de clientèle, notamment les loueurs de voiture qui sont bien parvenus à leurs fins.
Cela pousse des professionnels à se demander si la machine n’est pas en train de s’emballer. «Les concessionnaires s’appuient aujourd’hui sur la LOA gratuite comme premier levier de vente jusqu’à faire passer les caractéristiques intrinsèques des véhicules au second plan», s’alarme le directeur d’une société. Il faut aussi dire que les établissements se sont laissés prendre au jeu, cette formule s’étant avérée une redoutable arme pour gagner des parts de marché, dans un contexte sectoriel difficile. «Il suffit de faire un effort sur les frais de dossiers et l’avance demandée pour voir la clientèle affluer à coup sûr», assure le directeur commercial d’une société de la place.
Des crédits pas tout à fait gratuits
Le plus préoccupant dans tout cela est que l’accent mis sur ces solutions gratuites porte un coup à la rentabilité des sociétés. Bien sûr, les crédits accordés ne sont pas véritablement gratuits, étant donné qu’ils donnent lieu à des frais de dossier et que le prix du bien financé est majoré de la marge que perçoit la société de financement. Mais cette charge est loin d’être aussi rémunératrice qu’on pourrait le croire pour les sociétés. «Du fait de la concurrence acharnée entre les établissements, encouragée par les concessionnaires, la charge facturée aujourd’hui au client ne représente plus que 3% au plus du prix du bien sur les formules assorties d’un apport de 50% qui sont les plus répandues», explique un directeur commercial. Déduction faite des frais de refinancement, la prime de risque, les charges d’exploitation…, la marge nette des sociétés tend vers zéro. «Elle est précisément aujourd’hui de 0,05% en moyenne», témoigne le directeur financier d’une société. Il y a encore quelques années les opérateurs se gardaient 1 à 1,5% de profit net. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir la profitabilité des sociétés stagner depuis quelque temps, et ce, même si leurs encours restent relativement bien orientés. Cela a valu à certains opérateurs de la place de se faire remonter les bretelles par leur actionnariat, selon les indiscrétions du secteur. Plus nocive encore, la montée en puissance de la LOA gratuite fait que l’essentiel des revenues des sociétés spécialisées proviennent aujourd’hui de la marge sur commissions plutôt que des revenus d’intérêts. «Autant les frais de dossier que la commission reversée par les concessionnaires dans le cadre de la LOA gratuite consistent en commissions, sans que cela ne donne lieu à aucun revenu d’intérêt», reconnaît un professionnel. Et le fait est que ces ressources ne profitent qu’à un seul exercice financier, quoique quelques rares sociétés étalent leur comptabilisation sur toute la durée des crédits auxquels ils correspondent. Dans l’ensemble, le secteur se retrouve donc dans l’obligation de maintenir coûte que coûte le même niveau de production de LOA gratuite au risque de voir tout le modèle s’effondrer.
