Affaires
La fièvre de l’immobilier s’empare des hommes d’affaires
Les industriels mais également les opérateurs des services et des professions libérales s’y mettent à tour de bras.
Pour ceux qui détiennent d’anciennes réserves foncières,
les marges atteignent 100 %.
Les professionnels mettent en garde contre l’amateurisme.
La fièvre de l’immobilier se propage comme une traînée de poudre parmi les industriels au point qu’il devient difficile de trouver des noms d’opérateurs qui n’ont pas été tentés par le secteur. Des noms comme les Ajana, Tazi, Sentissi, Amhal, Benkirane, Alj, Alami et autres ont signé ces 48 derniers mois leur arrivée en force sur le marché de l’immobilier, profitant d’une bulle spéculative qui n’en finit pas d’enfler. D’autres, autrefois intervenants occasionnels sur le secteur, lui ont carrément dédié des ressources et du temps, diversifiant le risque et amortissant le retour sur investissement relativement long de l’investissement industriel.
Qu’est-ce qui attire ces investisseurs dans le secteur ? «Tous sont séduits par le grand potentiel qu’offre la promotion immobilière», analyse Youssef Iben Mansour, président de l’ALPIC (Association des lotisseurs et promoteurs immobiliers de Casablanca).
Marges de gain importantes, jusqu’à 100 % dans certains cas, demande en hausse et incitations de l’Etat ont fini par attirer de plus en plus d’investisseurs. Les réalisations des différents intervenants en sont la preuve. L’année 2006 est considérée comme un bon cru avec 127 000 logements et lots livrés par les opérateurs publics et privés de l’habitat, – une première dans l’histoire du pays -, une consommation de ciment qui a augmenté de 12 % par rapport à 2005 et des encours de crédit immobilier de 69,7 milliards de DH, en hausse de 26,25% par rapport à l’année précédente. Pour ce qui est des autorisations de construire, les agences urbaines ont instruit 80 000 dossiers contre 75 000 en 2005 et 72 000 une année plus tôt. «Nous évoluons dans une économie qui encourage l’initiative privée. Une croissance aussi soutenue du secteur allait immanquablement encourager d’autres hommes d’affaires à y investir», souligne M. Iben Mansour.
Avant de lancer Addoha, Anas Sefrioui était textilien
Le secteur a donc le vent en poupe. Certains opérateurs ont découvert le filon depuis plusieurs années et précédé la tendance à l’instar des Jamaï qui se sont petit à petit désengagés de leurs affaires dans le textile pour se consacrer à la production de logements sociaux. Depuis le projet Anassi, construit en 1995, ils ont produit quelque 25 000 unités et se sont installés aux quatre coins du pays avec
18 000 unités actuellement en construction et 28 000 en projet. Autre exemple de cette reconversion précoce, celle d’Abdelali Berrada, PDG de Dolidol, qui s’est distingué au début des années 90 par son projet dans le résidentiel très haut standing de le Palmeraie Golf Palace, à Marrakech. Même Addoha, géant du logement social, qui s’est lancé récemment dans l’immobilier résidentiel et touristique, est le résultat de la reconversion d’Anas Sefrioui à partir de l’industrie textile. Trois exemples de textiliens dont le succès a été au rendez-vous. En effet, plusieurs opérateurs de ce secteur ont préféré déserter en partie ou en totalité leur activité de base, attirés par la rentabilité affichée mais aussi pour fuir la concurrence de plus en plus acharnée. Le cas de Mohcine Bennani, patron de Bénitex, illustre parfaitement cette situation. Ce fournisseur de Marks & Spencer au Maroc s’est retrouvé depuis quelques années en face d’«une concurrence chinoise acharnée et des perspectives peu encourageantes du secteur», comme il l’explique lui-même. Décision sans hésitation : se diversifier.
Même les grands s’y mettent
Plus que les autres industriels, les textiliens illustrent cette mutation vers l’immobilier. Dans cette migration, ils bénéficient d’une force de frappe considérable, celle de la réserve foncière. Autrefois, elle leur servait, en tant que trésor de guerre, à amortir les chocs des crises sectorielles pour dégager du cash disponible de suite. Aujourd’hui, l’extension urbaine aidant, la réserve classique s’est renforcée avec des sites de production et de stockage rattrapés par l’extension urbaine et dont la valeur commerciale a explosé au point que des experts parlent même de rente foncière réinvestie dans l’immobilier.
Aux côtés des textiliens, les nouvelles recrues de l’immobilier viennent aussi du BTP comme c’est le cas du groupe Hadj Fahim qui se lance à Skhirat, du commerce à l’instar du groupe Hadj Said et Amhal, de la distribution (Label Vie) mais aussi de l’industrie. Les Bensaleh, avec des budgets d’investissement de plusieurs milliards de dirhams sur les trois prochaines années, offrent l’exemple le plus frappant de cette catégorie aux côtés de Hassan Sentissi, qui s’associe à des Russes et lorgne la nouvelle ville de Tamesna en plus de projets à Laâyoune.
La ruée ne fait que commencer
A en croire certains spécialistes du secteur, la ruée ne fait que commencer. Les villes les plus visées par les nouveaux entrants sont Casablanca, Marrakech, Tanger et Agadir. «Ce sont les villes qui présentent le plus grand intérêt», souligne Samir Benmakhlouf, directeur général de Century 21, qui a laissé tomber son poste de responsable de process de production dans une multinationale pour se lancer dans cette nouvelle aventure. «L’engouement pour Marrakech s’explique d’abord par l’aura touristique internationale dont jouit la ville ocre. Programmes de villas de luxe, appartements de standing ou tout simplement habitat social : autant d’opportunités d’investissement saisies par la plupart de ces néo-promoteurs. Casablanca, agglomération économique, est immanquablement une cible pour ces investissements, encouragés par la demande de plus en plus structurée des Marocains», explique-t-il. L’intérêt des investisseurs immobiliers, qu’ils soient nouveaux ou anciens, pour Tanger et Agadir, s’explique par la vocation touristique de la seconde, et l’attrait économique d’une zone franche qui sera boostée par l’ouverture du plus grand port du Royaume en 2007 pour la première ville. Les voyants sont donc au vert et l’avenir semble être… «promoteur» !
Comment réagissent les «professionnels» à cet engouement ? «C’est une excellente chose», souligne Youssef Iben Mansour, président de l’ALPIC. Rachid Jamaï, DG du groupe éponyme, salue cette affluence du capital dans le secteur immobilier mais insiste au passage sur la nécessité de professionnaliser l’intervention de chacun. «Il faudrait systématiser le recours à la maîtrise d’ouvrage déléguée», recommande-t-il. Pour sa part, William Simoncelli, DG de Carré Immobilier Maroc, conseiller en immobilier, pense que le salut est dans le professionnalisme. «La demande est de plus en plus exigeante. Il faut donc que ces nouveaux investisseurs adaptent leurs produits pour y répondre favorablement», précise-t-il.
Même son de cloche chez l’architecte Fouad Akalay qui craint pour la réputation de ce secteur ouvert où tout porteur de capital peut investir. «L’initiative de l’Ecole Hassania des ingénieurs qui a lancé un 3e cycle dédié aux profils désireux de se spécialiser dans la promotion immobilière est excellente», souligne-t-il. Le danger pourrait aussi venir des «erreurs des promoteurs occasionnels et qui peuvent coûter cher, pas en termes de sécurité car les accidents restent rares, mais en termes de désagréments multiples et divers pour leur clientèle et la qualité urbanistique de nos villes», note Saïd Sekkat, secrétaire général de la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI).
Professionnalisme ou pas, la bulle actuelle fait le bonheur des banques qui se livrent une guerre sans merci pour le financement du secteur d’autant plus que la conjoncture de surliquidité pousse à une distribution de crédits tous azimuts. Cette compétition est plus prononcée entre Attijariwafa bank, la Banque populaire et le CIH. Trois structures inscrites dans une logique de taille. Effet de cette compétition, les crédits promoteurs sont alignés sur ceux des acquéreurs. Les premiers arrivent ainsi à se financer à 5 % pour des crédits sur 3 à 4 ans. Tous les moyens sont bons pour recruter de nouveaux clients (voir aussi article en p.11).
Malgré cette fièvre d’investissement, le déficit en logements dont souffre le pays reste énorme. Près d’un million d’unités, selon le ministère chargé de l’habitat et de l’urbanisme. A cela, il faut ajouter la demande exogène exprimée par les étrangers qui s’installent de plus en plus au Maroc et qui permettront, selon les spécialistes, de stabiliser la demande même en cas d’éventuelle crise. Autant dire que les opportunités ne se feront pas rares. Une situation qui ne manquera pas d’intéresser une nouvelle catégorie d’investisseurs immobiliers, de moindre taille certes que les industriels et grands banquiers. Les experts affirment en effet que même les pharmaciens, médecins, avocats, architectes et autres professions libérales commencent à signer leur arrivée en masse dans les rangs des nouveaux promoteurs immobiliers. Le secteur a encore de beaux jours devant lui.
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Outre les hommes d’affaires, des politiques ont aussi cédé à la tentation de l’immobilier et se lancent de plus en plus dans la promotion immobilière. En la matière, les députés détiennent la palme. Un grand nombre d’entre eux a développé, en plus de son activité professionnelle de base, des projets immobiliers, de petite ou moyenne envergure. Faouzi Benallal, président MP du conseil municipal de Harhoura et l’USFPéiste Driss Radi, neveu d’Abdelwahed Radi, président de la Chambre des représentants, tous deux membres de la deuxième Chambre, en sont un exemple parmi des dizaines d’autres. Il y a aussi les maires. Mohamed Sajid, à la tête du Conseil de la ville de Casablanca, est un promoteur notoire pour des projets notamment à Tit Mellil, où il a développé de nombreuses opérations d’habitat social. Le maire de Marrakech, Mohamed Jazouli, préfère les transactions foncières. Parmi ses dernières opérations une transaction portant sur un terrain situé sur le boulevard Mohammed V de la ville ocre. Autres exemples, Driss Sentissi, maire de Salé et vice-président de la première Chambre du Parlement, ainsi que l’istiqlalien Hamid Chabat, maire de Fès. |
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L’expérience des banques qui ont voulu agir directement en promoteur n’a pas été concluante. L’aventure de Wafabank, à la fin des années 1990, en témoigne. La banque, alors dirigée par Abddelhak Bennani, avait lancé, à travers sa filiale Wafa Foncière (aujourd’hui disparue), le projet de la cité Panorama à Sidi Moumen. L’expérience a été par la suite jugée non-concluante à cause du manque d’expertise, des produits inadaptés, du manque de savoir-faire en matière commerciale… Depuis cet échec cuisant, la banque a décidé de se désengager de la promotion et de se réserver au financement, d’autant plus qu’elle risquait de concurrencer directement ses propres clients, eux-mêmes promoteurs immobiliers. Depuis, aucune autre banque n’a voulu tenter directement l’aventure. |
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Ahmed Biaz De l’air à la terre L’ex-patron de l’ONDA s’est reconverti pleinement dans le secteur immobilier. Après une première opération à Bouznika, où il a réalisé un lot de villas, il met le cap sur la ville de Marrakech où il projette de construire des appartements sur un terrain qui lui appartient. Groupe Amhal Karim Tazi Hassan Sentissi Mohamed Kabbaj, groupe Soft (textile) Fahli construction (Hadj Said) Delta Holding Hassan Alami Famille Sekkat (groupe Akymmo) Label’Vie et Sanam Holding Stokvis AbdeLhak Bennani Saâd Kettani Akwa Group Mohamed Hassan Bensaleh Abdellah Slaoui Mohcine Bennani Holding Bentires Lahcen Bicha Abdelali Berrada Stock Pralim |