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La création d’emplois de plus en plus corrélée à la qualité de la croissance

Entre 2006 et 2015, la part de l’emploi rémunéré a augmenté de 72,6% à 78,1%.La part du salariat est passée de 43% à 46,3% entre les deux dates. Les créations d’emplois ont été divisées par 2,8.

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Au cours des dix dernières années, l’emploi au Maroc a forcément connu des modifications dans ses caractéristiques, mais ces changements, encore faibles, n’ont pas pour autant bouleversé sa structure même. De sorte que la qualité de l’emploi, de façon globale, laisse encore à désirer, comme le rappelle périodiquement le Haut commissariat au plan (HCP) dans ses enquêtes sur le marché du travail. «Dans sa grande majorité, l’emploi est peu conforme aux normes de l’emploi décent», écrit encore récemment le HCP qui cite, à l’appui de son analyse, quelques chiffres tirés de ses enquêtes sur le terrain : en 2015, par exemple, 61,2% des actifs occupés n’ont aucun diplôme, 63% travaillent sans contrat et près de 80% ne bénéficient pas de la couverture médicale, entre autres. Ces proportions, inutile de le rappeler, sont évidemment plus élevées en milieu rural. Malgré tout, cette faible qualité de l’emploi n’empêche pas que les caractéristiques de celui-ci changent progressivement -mais très lentement, il est bien vrai. C’est ainsi qu’en dix ans, l’emploi rémunéré est passé de 72,6% de l’emploi total en 2006 à 78,1% en 2015 (+5,5 points). Pendant cette période, l’économie a créé 1 075 000 emplois rémunéré et a détruit 546000 emplois non rémunérés. Cette amélioration est le résultat de deux facteurs principalement : d’une part, l’augmentation de la part du salariat dans l’emploi total, passant de 43% en 2006 à 46,3% en 2015, et, d’autre part, le recul du poids des aides familiales et des apprentis avec 22% en 2015 contre 27,4% dix ans plus tôt.

La question qui vient immédiatement à l’esprit est de savoir si cette évolution n’est pas, peu ou prou, à l’origine du faible niveau des créations d’emplois observé ces cinq dernières années. L’examen par La Vie éco de la série d’enquêtes du HCP sur le marché du travail montre en effet que de 2011 à 2015, l’économie nationale a créé 274 000 emplois nets dont 353 000 rémunérés, contre 776 000 entre 2006 et 2010 dont 722000 rémunérés. Les créations d’emplois nets ont donc été divisées par 2,8 et les emplois rémunérés par 2 ! Outre le niveau de la croissance économique, qui a ralenti à 3% en moyenne depuis 2010 contre 4,5% le quinquennat précédent (mais on connaît le faible contenu en emploi de la croissance au Maroc), les évolutions qui ont affecté le statut socioprofessionnel de la population active occupée semblent constituer un autre facteur explicatif du recul des créations d’emplois.

76% des emplois créés entre 2007 et 2010 sont des emplois occasionnels ou saisonniers

Si la période 2006-2010 a été riche en emplois, y compris d’ailleurs en emplois rémunérés (93% du total), c’est principalement en raison du fait que durant cette période le secteur du BTP était en pleine expansion. Entre 2008 et 2010, le BTP a créé en moyenne 63 000 emplois par an. C’était bien sûr des emplois rémunérés, mais…tout de même très précaires. Selon le HCP, en effet, 76% des emplois créés entre 2007 et 2010 (soit environ 362 000 postes) étaient des emplois occasionnels ou saisonniers. Mais tout porte à croire que les emplois occasionnels et saisonniers, principalement localisés dans le BTP et l’agriculture, sont de moins en moins recherchés. Il est significatif à cet égard que la part des actifs occupés âgés de moins de 35 ans dans la population active occupée totale a baissé de 49,4% en 2006 à 44% en 2015. En général, c’est cette population-là qui, en raison de sa jeunesse, accepte les travaux difficiles comme ceux du BTP. Or, la baisse de son poids dans l’emploi total signifie clairement qu’une partie de cette population entre désormais tardivement dans le marché du travail, soit en raison de la poursuite des études, soit parce que les emplois offerts ne correspondent plus aux souhaits et aux aptitudes des chercheurs d’emplois. Deux chiffres pour appuyer cette observation. Un, la part des actifs occupés n’ayant aucun diplôme dans la population totale occupée a baissé de 69,3% en 2006 à 61,2% en 2015. En d’autres termes, la part des diplômés dans l’emploi total, sur cette période, s’est améliorée de 8,1 points. Deux, le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans augmente de 16,6% en 2006 à 21% en 2015. Cela conforterait l’idée que les actifs appartenant à cette tranche d’âge, comme indiqué précédemment, ne paraissent pas disposés à accepter n’importe quelle proposition d’emploi.

graph-emploisCes évolutions, reflétées tant par la baisse du taux d’activés (47,4% en 2015 au lieu de 51,3% en 2006) que du taux d’emplois (42,8% en 2015 contre 46,3% en 2006) expliquerait que malgré un niveau de création d’emplois entre 2011-2015, 2,8 fois inférieur par rapport à 2006-2010, le chômage a stagné à 9,7% sur la période.

En résumé, il est possible, à partir de ces données, de faire deux observations. La première serait que l’emploi pendant longtemps a été soutenu principalement par deux secteurs : l’agriculture et le BTP. Or, ces activités connaissent et connaîtront encore un essoufflement en matière d’emploi, la première parce qu’elle se modernise, se mécanise, la seconde parce qu’elle a plongé dans une crise dont elle commence à peine à sortir. La seconde observation a trait à l’élément humain : les candidats à l’emploi sont sur une tendance d’amélioration de leurs connaissances et aptitudes professionnelles (même si le chemin est encore long à ce niveau, mais la tendance est là quand même), ils sont par conséquent de moins en moins enclins à accepter des emplois de faible qualité, comme c’était encore le cas il y a quelques années. Moyennant quoi, la question de l’emploi serait probablement à l’avenir assez fortement corrélée non plus seulement au rythme de la croissance économique mais aussi à la qualité de celle-ci.