Affaires
La contrebande prend en otage l’économie !
Electroménager, habillement, pièces détachées, matériaux de construction, blé, épices, légumineuses, dérivés laitiers, chocolat-confiserie, tabac… Pratiquement aucune activité n’est épargnée.
L’économie continue d’être prise en otage par la contrebande. Le phénomène ne faiblit pas malgré la mobilisation croissante des services douaniers. D’après des sources concordantes exerçant dans le commerce de gros et dans l’industrie, le marché local est toujours inondé de gros volumes de marchandises de toute nature. Electroménager, habillement, pièces détachées, matériaux de construction, blé, riz, épices, légumineuse, dérivés laitiers, biscuits, chocolat-confiserie, tabac…, pratiquement aucune activité n’est épargnée. Seules quelques niches ne sont pas encore touchées. «Ce qui est très dangereux aujourd’hui, c’est que la contrebande a changé de paradigme. Fini le temps des ‘‘hammala’’ et des ‘‘fourgons’’ du Nord, nous sommes dorénavant face à des opérateurs structurés qui importent légalement une petite partie de la marchandise mais qui font rentrer le reste d’une manière illicite et le refont systématiquement», relève un grossiste d’épices. Selon plusieurs commerçants de gros à Derb Soltane et Derb Omar, ces opérateurs sont des entreprises familiales connues sur le marché.
«Le raisonnement est simple. Au vu des prix pratiqués, ils ne peuvent en aucun cas rentabiliser leur business s’ils importent légalement», explique un marchand de produits alimentaires à Derb Omar. Un autre relève que si le phénomène fait aujourd’hui plus mal qu’il y a quelques années, c’est parce que ces opérateurs invétérés, dans leur course effrénée pour écouler les gros stocks importés, ne trouvent aucune gêne à brader les prix qui atteignent des niveaux jamais vus.
La différence de prix entre les produits légalement importés et ceux issus de la contrebande commence à 5 DH l’unité pour les produits alimentaires (chocolat-confiserie et dérivés laitiers), varie de 6 à 12 DH le kilo pour les épices, riz et légumineuses, et va jusqu’à des centaines de DH pour les pièces détachées et les appareils électroménagers.
Quant aux volumes, ils se passent de tout commentaire. En effet, rien que pour les produits de contrebande, c’est-à-dire qui rentrent camouflés et sans déclaration aux postes frontières, plus de 30 000 tonnes de riz ont été déversées sur le marché en 2013 à travers Sebta et Mellilia, contre 18 000 tonnes en 2011. Pas moins de 11000 tonnes de café, chocolat et biscuits ont été canalisés dans les différentes villes du Royaume au titre de la même année. Environ 3700 tonnes de fromages ont suivi le même périple. De plus, les importations de tabac de Sebta et Mellilia sont passées de 18,5 tonnes en 2009 à une moyenne de 25 tonnes les deux dernières années, selon les estimations de nos sources. Ces dernières se basent sur les chiffres du département du commerce extérieur espagnol recoupés avec la consommation moyenne des habitants des deux enclaves du Nord.
A ces quantités, capables à elles seules de déstabiliser le marché, il faut ajouter ce qui passe par les postes aux frontières du pays et dont les opérateurs usent de fausses déclarations d’espèce, de sous-déclaration (de quantité, de prix ou les deux) ou de détournement d’une partie de la marchandise avant l’arrivée au poste de destination pour dédouanement (pour les marchandises transportées sous douane à l’intérieur du pays selon le régime de l’acquit-à-caution).
Le contrôle physique représente 20% des vérifications de la Douane
Ne pouvant pas tenir face à cette configuration du marché, caractérisé par une concurrence déloyale criante comme la qualifient nos sources, des dizaines d’opérateurs ont récemment fermé boutique. «Il ne se passe pas un mois sans entendre qu’un de nos confrères sur le marché a fait faillite. Ces cas se trouvent aujourd’hui précipités par les retards de paiement, d’une part, et les chèques et effets de commerce sans provision qui sont devenus très courants dans le commerce, d’autre part», concède un revendeur de pièces détachées.
Et ce n’est pas que dans le commerce que la contrebande fait des victimes ! Les industriels de tout bord tirent solennellement la sonnette d’alarme. «Des usines tournent à des capacités qui ne dépassent pas 40%, voire moins dans quelques secteurs et les opérateurs qui bataillent encore sont très fragilisés sur plusieurs niveaux», déplore un opérateur dans l’agroalimentaire.
Que font les pouvoirs publics pour contrecarrer ce phénomène qui les pénalise autant que le secteur privé, et ce, sur le plan de l’emploi, des recettes fiscales… ?
Du côté de l’Administration des douanes et des impôts indirects (ADII), les responsables se disent conscients des proportions que prend aujourd’hui le phénomène, en relativisant les déclarations parfois exagérées des opérateurs.
«Effectivement, il y a beaucoup de saisies et nous relevons plusieurs manquements à l’occasion de nos interventions», rapporte Fathallah Hajjar, directeur de la prévention de la fraude et du contentieux à l’ADII qui insiste sur les actions récemment menées par son administration. Concrètement, pour contrecarrer la contrebande et la fraude commerciale à l’importation, les efforts de l’ADII ont consisté en l’abaissement de la fiscalité concernant justement les produits sensibles, notamment l’électroménager, les pièces détachées, le chocolat et biscuits, les épices, et les légumineuses ; le renforcement des contrôles aux postes frontaliers et les interventions ciblées en réactivant plusieurs brigades sur tout le territoire. «Sur le terrain, nous procédons aujourd’hui au pesage systématique dans la majorité des cas au lieu de se fier aux déclarations de l’importateur ou du transitaire», ajoute M. Hajjar. Selon lui, les services douaniers font dorénavant appel à la vérification physique plus qu’auparavant. Aujourd’hui, 20% des contrôles sont faits selon cette formule. «Même si nous avons un système d’analyse des risques qui cible les opérations douteuses par produit, origine, opérateur et transitaire, vu les moyens limités de la douane, nous procédons de plus en plus à la vérification physique pour nous assurer à 100%», explique le directeur. «Ceci étant, nous nous tenons à la disposition de n’importe quel opérateur qui vient dénoncer des cas avérés de contrebande ou de fraude commerciale», ajout-t-il.