Affaires
La compétitivité du port de Casablanca remise en question
La durée moyenne de séjour des conteneurs au port s’améliore, mais les périodes de congestion sont toujours aussi fréquentes. Que ce soit pour les visites de marchandises, les contrôles par scanner ou la libération des espaces, le transit des marchandises nécessite souvent des délais trop importants.

Considéré pendant de longues décennies comme un joyau du secteur portuaire au Maroc et en Afrique, le port de Casablanca ne satisfait plus aujourd’hui les opérateurs économiques (importateurs, exportateurs, transitaires, transporteurs…). Souvent confrontée à de graves problèmes de congestion, l’enceinte est aujourd’hui fortement concurrencée par l’autre fleuron de l’infrastructure portuaire au Maroc, Tanger Med. Selon des témoignages recueillis auprès de plusieurs acteurs de la chaîne portuaire, les importateurs et exportateurs marocains n’hésitent plus, à chaque fois qu’ils le peuvent, à faire passer leurs marchandises, à l’export comme à l’import, par le nord du royaume.
Et ce n’est pas seulement la qualité des infrastructures ou les services disponibles à Tanger Med qui expliquent ce choix, mais plutôt le calvaire qu’ils vivent parfois à Casablanca. Certes, les statistiques montrent une nette avancée. Selon les données de Portnet SA, gestionnaire de la plate-forme de dématérialisation des procédures d’importation et exportation, le délai de séjour moyen au port de Casablanca est passé de 11,5 à 6,2 jours entre juillet 2013 et octobre 2015. Portnet explique même cette performance par «un processus d’amélioration continue mené par les acteurs de la chaîne portuaire». Cependant, ces chiffres ne constituent qu’une moyenne et il arrive souvent que les délais soient beaucoup plus importants.
Le dernier épisode en date remonte à fin novembre dernier. Pendant plus d’une dizaine de jours, les exportateurs ont dû composer avec un rallongement important des délais dûs, entre autres, aux longues files d’attente des camions avant le passage au scanner. C’est là un des points noirs souvent pointé du doigt par les opérateurs économiques. Actuellement, le port de Casablanca dispose de deux scanners, un pour chaque terminal, pour le contrôle des marchandises transportées dans les conteneurs. Or, «l’économie marocaine s’est beaucoup développée ces dernières années et les flux d’import-export aussi. Deux scanners ne sont pas suffisants pour faire face à l’importance des flux qui transitent par le port», explique un transporteur.
Les statistiques de l’ANP le prouvent. Entre 2013 et 2014 par exemple, le port de Casablanca a enregistré une hausse de 11% du trafic de marchandises, à 25,2 millions de tonnes. Plus de 840 000 conteneurs y ont transité en 2014 et 2015 s’inscrit sur la même tendance (près de 500000 conteneurs à fin juillet). «Ce flux important ne peut être géré avec deux scanners, surtout que vu le contexte actuel, les autorités recourent à des contrôles quasi systématiques de tous les conteneurs, au lieu de procéder à un échantillonnage comme cela se fait ailleurs», explique un exportateur.
En effet, la stratégie des pouvoirs publics de lutte contre le trafic de cannabis et qui est devenue très agressive au niveau des ports, conjuguée au contexte sécuritaire global marqué par des menaces terroristes sur plusieurs pays, poussent les autorités à faire preuve d’une vigilance extrême en matière de contrôle. Ceci induit une forte activité au niveau des scanners. «Comme tout outil technique, il arrive aussi que ces scanners tombent en panne, ce qui accentue les risques de congestion vu que leur remise en service nécessite souvent des délais de réparation importants», fait remarquer un ancien cadre de l’ANP.
l’ANP s’apprête à acheter un troisième scanner
L’agence semble avoir conscience de ce problème et s’active pour le résoudre. Il y a quelques semaines, elle a lancé un appel d’offres pour l’acquisition d’un nouveau scanner. Le coût est de 25 MDH. Selon l’agence, l’utilisation du scanner réduira les délais de contrôle de plusieurs heures à quelques minutes. «Source de productivité accrue, la mise en place de ce nouvel outil permettra non seulement de renforcer les contrôles mais également de faciliter le transit et la circulation des marchandises au sein du port, en réduisant les temps de contrôle et en améliorant les délais de passage des marchandises», explique-t-on auprès de l’ANP.
Cela suffira-t-il à résoudre les problèmes de congestion? Certainement pas, car pour les opérateurs économiques, d’autres raisons expliquent les conditions difficiles de transit. L’une d’elles renvoie aux délais nécessaires pour la réalisation des visites physiques des importations (contrôle des marchandises par les services de la douane, l’ONSSA et le ministère du commerce extérieur). «Avec des capacités réduites au niveau des aires de visites dans les deux terminaux, le délai d’attente de la marchandise peut être de plusieurs jours», déplore un membre de l’association des transitaires.
Actuellement, et en attendant le déploiement du dispositif prévu par Portnet SA qui prévoit l’unification des visites physiques lors des procédures d’importation, chacun des organismes concernés effectue seul l’opération. Ceci implique que la marchandise importée reste sur l’aire de visite jusqu’au passage des trois acteurs concernés par le contrôle. Entre-temps, les navires doivent attendre que l’espace se libère avant de décharger leur cargaison. A ceci s’ajoutent «des outils de manutention comme les grues qui sont parfois insuffisantes face à la taille des porte-conteneurs qui entrent au port», souligne un expert portuaire.
Certains opérateurs transforment le port en espace de stockage
Au lieu d’avoir à disposition deux, voire trois grues, pour décharger un navire simultanément, ce n’est souvent qu’une seule grue qui est utilisée. Ceci a naturellement pour conséquences de rallonger le délai de déchargement, mais aussi le délai d’attente des navires en rade.
Il faut aussi reconnaître que certains problèmes du port de Casablanca émanent directement des opérateurs économiques eux-mêmes. Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, certains d’entre eux n’hésitent pas à faire de l’enceinte un espace de stockage pour leurs marchandises. Ce cas est particulièrement constaté chez les céréaliers dont plusieurs prennent des jours à décharger les silos, bloquant ainsi d’autres opérateurs qui sont contraints d’attendre. De même, «le manque d’anticipation par certains importateurs de leurs opérations, en s’assurant notamment de la disponibilité des camions de transport pour les sorties directes des marchandises, contribue à son tour à la congestion», assure l’expert portuaire.
Du coup, au lieu de faire sortir la marchandise du port immédiatement après que les procédures administratives sont accomplies, elle y reste plusieurs jours.
Enfin, le troisième reproche qui est directement fait aux importateurs-exportateurs concerne les horaires. Pour des raisons d’optimisation des coûts, il arrive que des opérateurs qui importent des produits classés comme divers ( les produits en vrac incluant les céréales, les métaux…) préfèrent retarder la sortie de leur marchandise, si celle-ci doit avoir lieu entre 23 heures et 5 heures du matin. «Cette période est ce qu’on appelle le 3e shift. Si la marchandise sort à cette heure, cela implique des coûts supplémentaires pour l’importateur. Or, en cas de congestion, la capitainerie du port n’a le droit d’imposer la sortie de la marchandise que pour les conteneurs, alors que les produits en vrac ne sont pas soumis à cette obligation», rajoute l’expert portuaire. Par effet d’accumulation, ce décalage de quelques heures de la sortie des marchandises pendant la nuit se transforme rapidement en une congestion de plusieurs jours.
[tabs][tab title = »Les périodes redoutées »]Les périodes où les risques de congestion sont élevés au niveau du port de Casablanca sont bien connues des opérateurs. Il s’agit d’abord des périodes de forte consommation, comme Ramadan. La difficulté à ce niveau est qu’une grande partie des importations est constituée de consommables qui ne peuvent supporter de longues durées de stockage. Du coup, les opérateurs économiques attendent l’approche de ce mois pour importer. L’autre période fortement redoutée par les usagers du port est la fin avril de chaque année. Avec sa vocation de port principal de transit des céréales, le port connaît une forte affluence pendant cette période qui coïncide avec l’approche de l’application des droits d’importation. En vue de favoriser l’écoulement de la production agricole locale, le ministère de l’agriculture recourt en effet quasiment chaque année à l’application de droits d’importation à partir du mois de mai sur les céréales importées. Anticipant cela, les industriels et commerçants importent massivement en avril. Vu la capacité limitée des silos disponibles dans le port, l’engorgement se produit très rapidement.[/tab][/tabs]
