Affaires
La CGEM à la recherche d’un nouveau souffle
Peu de prétendants. On se dirige vers une élection avec deux candidats en lice.
Le sentiment est général : il faut dépasser la crise actuelle.
Que reproche-t-on à la CGEM ? Analyse des principaux points de discorde.
Retour sur des incidents survenus il y a trois ans.

Jamais les élections pour la présidence de la CGEM n’auront fait couler autant d’encre. Depuis l’automne dernier, les spéculations vont bon train sur le successeur de Hassan Chami qui ne peut, mathématiquement, se représenter, après deux mandats passés à la tête du patronat. Plusieurs candidats donnés comme potentiels, des démentis, des nouveaux prétendants, un comité de soutien…. L’on pouvait penser que la bataille serait à la hauteur du suspense qui a duré de longs mois. Pourtant, à l’arrivée, il se peut qu’il n’y ait pas de surprise. Au mercredi 3 mai, le seul candidat officiellement déclaré était Moulay Hafid Alami, patron du groupe Saham (voir entretien en pages 10 et 11), celui-là même qui déclarait dans nos colonnes, le 20 janvier dernier, qu’il n’avait pas l’intention de briguer le poste. Face à lui, l’alternative pour les patrons électeurs serait représentée par Bouchaïb Benhamida, président de la Fédération BTP et vieux routier de l’institution. Ce dernier n’affirme ni n’infirme la candidature qu’on lui prête. La Vie éco, qui a décidé de donner la parole à tous les candidats, se verra opposer un refus poli pour cause de décision non encore prise : «Vous le saurez d’ici au 12 mai».
«Les membres sont démobilisés et la responsabilité est partagée»
En dehors des deux rivaux – encore faut-il que Benhamida se présente -, c’est le vide. A croire que le syndicat patronal n’intéresse pas les patrons. Même les adhérents-électeurs semblent traîner les pieds. Sur les 6 500 voix potentielles que détiennent les membres, seules 1000 voix peuvent s’exprimer, leurs détenteurs étant à jour en matière de cotisations. Que se passe-t-il ?
Le fait est que la CGEM sort passablement écorchée d’une période qui aura duré six ans. Divisions, tiraillements, perte d’influence… le point d’orgue en aura été l’épisode des élections de juin 2003, pendant lesquelles on a voté, non pour un programme ou un candidat auquel on croyait réellement mais pour ou contre Hassan Chami. Et si ce dernier balaie d’un revers de main l’existence de deux camps, il reconnaît cependant lui-même qu’il a réformé les statuts pour donner plus de poids aux grands groupes et qu’il a ouvert son bureau aux contestataires. Bref, le malaise est là. «Les gens sont démobilisés, le travail s’en ressent. Mais la CGEM n’est pas UNE personne, nous avons tous quelque chose à nous reprocher», affirme Khadija Doukkali, présidente de la Fédération des industries de la mer (FIM).
Observateur extérieur au syndicat patronal, Faouzi Chaâb, administrateur d’Ynna holding et fils de Miloud Chaâbi, patron de du groupe, qui a claqué la porte de la fédération il y a quelques années, estime qu’il y a un essoufflement. «Peut-être, se hasarde-t-il à pronostiquer, parce que c’étaient les même équipes qui se renouvelaient et que leurs représentants sont peu écoutés».
Pourtant, il serait faux de dire que rien n’a changé à la CGEM. Réforme des statuts pour une meilleure représentativité, élargissement du bureau aux contestataires, timide ouverture -mais ouverture quand même – vers les régions, plusieurs actions ont été entreprises sous le second mandat de Hassan Chami alors même que ce dernier, n’ayant rien à perdre, aurait pu laisser le statu quo perdurer.
En dépit de cela, il semble que les griefs soient ailleurs. Que reproche-t-on à la CGEM ? Abdelilah Hifdi, président de la Fédération du transport, parle de sa faible capacité de réaction en la comparant au cours de ces dernières années à «une chambre d’enregistrement», quand Hassan Sentissi, président de la Fédération des industries de la pêche, pense plutôt à son «manque d’indépendance». Jamal Belahrach, président de l’AETTO (Association des entreprises de travail temporaire), lui, estime que la question est de «savoir si nous avons un patronat qui a une véritable vision d’avenir». Et puis, ajoute-t-il, «sait-on comment doit être positionné le patronat ? La CGEM a-t-elle essayé de réhabiliter l’image du patron vis-à-vis de l’Etat avec lequel il y a un différend historique ?». Enfin plusieurs opérateurs économiques ont soulevé le problème de la perte de crédibilité de l’instance.
Entre l’automne 2002 et l’été 2003, plusieurs incidents ont affaibli la maison Patronat
Comment la CGEM en est-elle arrivée-là ? Pour bien comprendre le malaise, il convient de replacer certains incidents qui ont émaillé la vie du patronat au cours des quatre dernières années dans leur contexte. Le premier est celui de l’augmentation des tarifs de l’assurance sur les accidents du travail (AT). Annoncée en septembre 2002, son ampleur allait créer un choc : 132% de hausse alors que le gouvernement sortant se préparait à faire voter la généralisation de l’AT par dessus le marché. La réaction de la CGEM fut maladroite. Prise entre les revendications sectorielles des assureurs d’un côté et celles des autres patrons, de l’autre, elle n’aura pas réussi à éteindre le feu… et c’est Driss Jettou qui vint à la rescousse, jouant les bons offices pour régler un problème strictement inter-patronal. Il n’est pas déraisonnable de penser que le premier ministre, technocrate, disposant d’une majorité politique, mais encore mal accepté par les partis mêmes du gouvernement, dont les accusations de «hold-up sur la primature» résonnaient toujours, y a vu là une occasion de trouver un soutien parmi les patrons, ses anciens pairs. La CGEM a-t-elle perdu de son indépendance à ce moment-là ? Beaucoup le pensent, mais rien ne permet de l’affirmer. En tout cas, elle n’aura pas su laver son linge sale en famille.
Le second incident qui allait semer le trouble est celui du Code du travail. Là encore le contexte a joué un rôle prépondérant. Tenu par un échéancier serré, en vue de la réalisation d’un programme ambitieux, le premier ministre aura réussi le tour de force de faire accepter ce texte, qui avait passé 15 ans en va-et-vient, en quelques mois seulement. Mais à quel prix ? Beaucoup de concessions faites aux syndicats et des dispositions innaplicables, une flexibilité du travail trop peu améliorée et la promesse d’un texte sur la grève qui n’a toujours pas vu le jour. En fait, la seule satisfaction qu’auront obtenue les patrons est celle de voir les indemnités de licenciement abusif «barémisées». «Hassan Chami s’est fait berner par Jettou», conclut sarcastiquement un chef d’entreprise. Le président de la CGEM, lui, explique que certaines dispositions ont été ajoutées au Code du travail à l’insu de la CGEM. Quoi qu’il en soit, berné ou pas, le problème ne se pose pas en ces termes puisqu’il n’est pas inhabituel de voir un gouvernement revenir sur ses promesses. En revanche, on reproche à la CGEM de ne pas avoir fait le suivi, de ne pas avoir pu agir quand le texte était encore dans le circuit gouvernemental et surtout l’absence de lobbying au niveau du Parlement, alors même qu’elle dispose d’une cellule ad hoc.
Le coup de gueule attendu n’aura pas eu lieu
A cette conjonction de faits, on peut ajouter l’acceptation sans rechigner du passage aux 44 heures, et l’augmentation du Smig, alors même que cette décision est un acte souverain du gouvernement. Faut-il abonder dans le sens de ceux qui pensent que Hassan Chami a fait trop de concessions en échange d’un soutien de Driss Jettou, par la suite, lors des élections de juin 2003? Ne pourrait-on pas penser, plus simplement, que le premier ministre a usé de ses talents de persuasion pour avoir les mains libres au cours de son mandat ? «Pourquoi pas, estime un industriel, mais alors pourquoi, par la suite, la CGEM n’a-t-elle pas tapé du poing sur la table ?». Le fait est que le coup de gueule n’est pas venu, ni à propos du Code du travail ni sur des questions latentes comme celle de la fiscalité. Aurait-ce été la bonne approche ? Il faut mettre au crédit de la CGEM son inlassable retour à la charge concernant les problèmes en suspens. Le président Hassan Chami a envoyé courrier sur courrier à Driss Jettou pour rappeler les engagements, mais sans résultat.
En dehors de tout cela, on aura aussi reproché à la CGEM son manque de politique régionale avec des antennes sans rôle effectif, ou encore son peu d’influence au niveau des institutions. La sortie médiatique de Hassan Chami sur les problèmes de gouvernance, en juillet 2005, aura compliqué les choses, quoique – il faut le dire – plusieurs patrons, s’ils n’ont pas apprécié la forme et le flou entourant les destinataires des reproches, sont d’accord sur l’existence de problèmes. Il n’empêche, en tant qu’institution, la CGEM perdra encore un peu plus de son aura.
Le renouvellement du président changera-t-il la donne ? Tout le monde, y compris ses détracteurs, s’accorde à dire que l’actuel président du patronat n’a pas ménagé ses efforts envers l’institution, de même que l’on précise que l’on ne saurait attribuer au seul Hassan Chami la situation actuelle, car, après tout, le bureau de la CGEM est bien composé de membres qui symbolisent différentes tendances et la responsabilité devrait être partagée.
Il est toutefois un point qui ressort en filigrane dans les déclarations des uns et des autres : on veut y croire à nouveau et il faut dépasser les frictions internes pour avoir à nouveau une CGEM forte autour d’un patron qui, comme le dit Karim Tazi, président de l’Amith, «saura resouder les rangs et réparer les fractures imaginaires», ou encore qui, comme l’espère Khadija Doukkali, «arrivera à obtenir un changement d’état d’esprit».
En conclusion ? On ne votera pas cette fois-ci pour ou contre un candidat mais bel et bien en faveur de celui qui a un programme et une capacité à fédérer les 6 500 voix autour de ses idées. Est-ce pour cela que les candidatures se font rares ?
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Karim Tazi Président de l’Amith Un mandat de trois ans, c’est très court. Il ne sert donc à rien de vouloir faire trop de choses à la fois. S’il n’y avait qu’un seul point sur lequel le futur président devrait se focaliser, ce serait la réforme fiscale, la fiscalité sur les salaires et l’investissement (patente). Ensuite, il y a aujourd’hui au Maroc un fossé entre Rabat et Casa, c’est-à-dire entre le politique et l’économique. Le futur président doit être en mesure ou du moins faire l’effort de combler ce fossé. Il faut instaurer et multiplier les canaux de communication, de dialogue et de travail avec l’administration pour régler les problèmes et faire avancer les dossiers. Pour moi, un grand programme a de fortes chances d’être dispersé et inefficace. Le président de la CGEM doit s’occuper des problématiques transversales car les fédérations sectorielles s’occupent des problèmes spécifiques à chaque secteur et elles le font bien. Enfin, le futur président doit introduire du sang neuf dans les instances de la CGEM notamment le bureau. Ahmed Sadiki Président de l’Union régionale du Nord-Tanger Hassan Sentissi Président de la Fenip Jamal Belahrach Président de l’AETTTO |
