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La Banque mondiale place la barre très haut pour l’économie marocaine

Pour converger vers le niveau des pays de l’Europe du Sud, le Maroc devrait réaliser une croissance annuelle moyenne de 4,5% sur 25 ans. Pour y parvenir, les gains de productivité devraient croître de 2% par an jusqu’en 2040.
Investir dans le capital immatériel serait la pierre angulaire de ce schéma.

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S’il n’y avait qu’un seul intérêt au mémorandum que la Banque mondiale vient de publier sur le Maroc (Le Maroc à l’horizon 2040 : Investir dans le capital immatériel pour accélérer l’émergence économique), ce serait celui-ci : il met la barre très haut, et invite les acteurs à se sortir de l’équilibre bas dans lequel se trouve l’économie pour la propulser, l’espace d’une génération, dans le club des pays émergents.

L’ambition est grande, c’est évident, est-elle irréalisable ? Si des pays, qui se trouvaient au même niveau de développement que le Maroc il y a un demi-siècle, sont parvenus à se hisser au rang de puissances économiques, comme c’est le cas de la Corée du Sud par exemple, c’est que, au bout du compte, rien n’est impossible. Bien sûr, chaque pays a ses spécificités et par conséquent les comparaisons sont à manier avec prudence. Mais ce que suggère la Banque mondiale -et qui n’est pas tout à fait nouveau à vrai dire- c’est de tirer les enseignements du parcours économique du pays, en capitalisant les acquis obtenus et en corrigeant les dysfonctionnements constatés, en vue de mettre l’économie sur un sentier de rattrapage accéléré. La Banque mondiale n’ignore pas l’ampleur de la tâche, elle rappelle d’ailleurs que, depuis 1950, seules treize économies dans le monde ont été capables d’atteindre puis de maintenir une croissance supérieure à 7% pendant plus de vingt-cinq ans.
Pour le Maroc, le scénario de rattrapage économique accéléré que propose le mémorandum de la Banque mondiale se base sur l’hypothèse d’une croissance tendancielle d’au moins 4,5% par an jusqu’en 2040. Une création de richesse à ce rythme-là et maintenue sur toute la période considérée, estime l’institution de Bretton Woods, devrait permettre de doubler la cadence actuelle de convergence de l’économie marocaine vers les pays de l’Europe du Sud (Espagne, Italie, Portugal, France) et, ainsi, augmenter le PIB par habitant du Maroc (en parité de pouvoir) de 22% actuellement à 45% de celui d’un habitant de ces pays.

Briser le «plafond de verre» du revenu intermédiaire

Tout le problème est de savoir comment atteindre un tel résultat, d’une part, et dans quelles conditions socioéconomiques, d’autre part. Cela revient à définir tout à la fois les politiques économiques à mette en œuvre au service d’un tel objectif et l’économie politique des réformes à entreprendre. Car il s’agit rien moins que de changer de paradigme, de modèle de croissance, et cela requiert l’adhésion de tous.

Pour la Banque mondiale, si le Maroc veut accéder à un palier supérieur dans son niveau de développement, briser le «plafond de verre» qui empêche nombre de pays en développement de sortir de la catégorie des pays à revenu intermédiaire, il n’y a pas trente-six chemins à emprunter : il faut impérativement augmenter, et sur une longue durée, la productivité globale des facteurs (PGF) ainsi que le taux d’emploi de la population en âge de travailler. La PGF, qui est de 1%, devrait être portée à 2% par an pendant vingt-cinq ans. Le taux d’emploi, quant à lui, devrait passer de 42,8% en 2015 selon le HCP (et non pas 45% comme l’écrit la Banque mondiale) à 55% en 2040.

Voilà un chantier herculéen qui, pour aboutir, suppose une transformation profonde des structures de l’économie. Et cette transformation, estime-t-on, n’adviendra pas par la seule poursuite des investissements en capital physique -du reste, difficilement soutenable au-delà d’une certaine limite- mais par une accumulation accrue du capital immatériel. Déjà en vogue à l’échelle de l’entreprise, dont il constitue une partie importante de la valeur, le capital immatériel est aujourd’hui un facteur décisif dans le décollage économique d’un pays. L’expérience a montré que c’est ce capital-là qui permet une combinaison réussie des facteurs de production. Que vaudrait en effet un investissement matériel, si les ressources humaines pour faire marcher les chantiers et les usines n’étaient pas qualifiées, si les institutions chargées d’en contrôler et d’en réguler le fonctionnement étaient peu efficientes ou même quelquefois défaillantes ?

Dans son étude, la première du genre, sur le rendement des investissements, publiée il y a un peu plus d’une année, le HCP avait attiré l’attention sur cette problématique en notant que l’accélération de l’investissement entre 2000 et 2014 n’avait pas généré une croissance à la mesure des efforts déployés en dépenses de capital. Alors que le taux d’accroissement de l’investissement était de 6,6% par an en moyenne entre 2000 et 2014, le rythme de progression du PIB, sur la même période, était, lui, inférieur de plus de 2 points, à 4,4% en moyenne. L’investissement (physique) est donc faiblement rentable. Selon le HCP, le coefficient marginal du capital, l’indicateur qui mesure cette rentabilité, est de 7,2 points au Maroc, contre 2,9 en Corée du Sud, 3,5 en Malaisie, 4,2 au Chili. Autrement dit, il faut 7 unités d’investissement pour obtenir 1 unité de croissance au Maroc, et seulement 2,9 unités d’investissement pour 1 unité de croissance en Corée du Sud. Cela explique qu’avec un taux d’investissement de 28% du PIB, des pays en développement ou émergents ont réalisé un taux de croissance économique moyen de 6% par an sur les quinze dernière années, alors qu’au Maroc, où le taux d’investissement était supérieur à 30% du PIB, la croissance n’a pu dépasser 4,4% sur la même période.

Le stock de capital physique encore insuffisant

Cette faiblesse du rendement des investissements, le HCP l’explique en deux points, principalement : le premier point à trait à l’insuffisance du stock de capital au Maroc, malgré les progrès réalisés ces quinze dernières années (mais qui viennent, en fait, en rattrapage de la stagnation enregistrée durant la période du PAS), et ceci comparativement aux pays de l’échantillon étudié ; le second point est, lui, lié à une utilisation non optimale des facteurs de croissance. Et là, on retrouve le même constat que celui de la Banque mondiale, à savoir une productivité globale des facteurs qui demeure encore faible. Mais si le HCP recommande d’intensifier l’investissement pour parvenir à un niveau d’accumulation du capital physique à même de libérer le potentiel de croissance disponible, tout en améliorant simultanément la combinaison des facteurs de production, la Banque mondiale, elle, semble inverser quelque peu les termes de l’équation, en mettant l’accent davantage sur le capital immatériel, sans toutefois négliger l’investissement classique. On peut lire en effet dans le mémorandum que «les gains de productivité supplémentaires ne découleront pas uniquement de nouveaux investissements en capital fixe mais d’un effort accru pour accumuler davantage de capital immatériel, c’est-à-dire de capital humain, institutionnel et social. Les évolutions de la productivité et du capital immatériel sont en grande partie liées, et c’est autour de ces deux variables clés que se détermineront la trajectoire de croissance et l’évolution du bien-être de la population marocaine à l’horizon 2040». On le voit, la Banque mondiale établit une corrélation forte entre le capital immatériel et les gains de productivité, sans lesquels le Maroc n’échappera pas au «piège du revenu intermédiaire» dont sont victimes nombre de pays en développement.

Seulement voilà : ce nouveau paradigme appelle une panoplie de réformes aussi importantes les unes que les autres. Il serait fastidieux de les énumérer toutes ici (se reporter au rapport pour les détails), retenons simplement que l’amélioration du capital immatériel, selon la Banque mondiale, passe, entre autres, par la réforme de l’éducation pour une meilleure qualité des ressources humaines ; la refonte du code du travail dans le sens de son assouplissement pour une allocation du travail «efficiente et inclusive» ; la modernisation de l’administration et des services publics ; le renforcement de l’état de droit et de la justice pour une meilleure protection des personnes, des biens et des contrats, etc.

Il y a, dans ce qui précède, comme un air de déjà-vu ou lu, et néanmoins ce mémorandum a au moins le mérite, en se fixant un objectif aussi haut, de pousser à un débat sur la problématique, si souvent évoquée ici et ailleurs, du modèle de croissance du Maroc.