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Jusqu’où peut aller la résilience du système financier face à la crise ?

• Le prolongement de la pandémie pourrait mettre le système financier à rude épreuve, étant donné l’ampleur du choc jamais vu auparavant. Les assurances mieux loties que les banques sur le plan de la sinistralité !
• La forte accumulation des engagements non couverts de la CNSS et du RCAR et l’importance des engagements de la CMR menacent sérieusement la pérennité des régimes de retraite.

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C’est un secret de polichinelle : le secteur financier marocain est des plus solides de la région. Institutions internationales, agences de notation et autorités financières le confirment depuis des années ! Cette résilience du secteur dans son ensemble (banques, assurances, marché des capitaux, en plus des infrastructures de marchés financiers) est la résultante en grande partie des mesures prudentielles très rigoureuses appliquées par les autorités des marchés financiers, en plus des règles de contrôle et de supervision des différents compartiments et intervenants du système financier.
Cependant, de toutes les expositions que ce dernier aurait pu avoir depuis que l’institut d’émission existe, la crise pandémique actuelle avec toutes ses implications et ses retombées sur les acteurs du système financier a constitué et continue de représenter un choc de grande ampleur qui met à rude épreuve les équilibres, costauds faut-il le relever, des banques, assurances, et aussi des opérateurs faisant appel à l’épargne publique, et les gestionnaires de cette épargne. L’ampleur de la crise est aussi un challenge pour les infrastructures du système sur le plan financier, ainsi que sur le plan opérationnel, sachant que ces infrastructures constituent l’épine dorsale de la stabilité financière.
Certes, si l’on prend le cas des banques, l’étude d’impact et le macro stress-test menés au 4e trimestre 2020 continuent de faire ressortir à cette date la résilience des banques face au choc induit par la crise sanitaire. Mais la pandémie avec ses implications va certainement continuer à peser sur le coût du risque en raison de la dégradation des profils des contreparties. Pas que cela, les établissements financiers font aussi face à des risques opérationnels naissant du contexte et aussi de nouveaux risques de marché. Tout ceci viendra aggraver une situation déjà pas au beau fixe, puisque nous assistons sur les dernières années à une envolée de la sinistralité dans le secteur bancaire particulièrement. D’après les projections des stress test de BAM, dans le cas d’une catastrophe, le taux de sinistralité devra se dégrader, pour se propulser à 13,4 % en 2020. Cependant, les provisions constituées par les banques devaient leur permettre de faire face à ce scénario extrême.

Les ménages ont vu leurs impayés s’envoler de 15,7% à 30 milliards de DH
Mais la sinistralité continue d’empirer. Les créances en souffrance continuent d’augmenter. Après une aggravation de 2,5% à fin 2018, le stock s’est encore une fois alourdi à plus de 70 milliards de DH, en hausse de 7,2%. Avec un encours du crédit bancaire qui se situe à 892 milliards de DH, ce sont ainsi 7,8% de crédits qui sont risqués. Trop, quand on sait que la moyenne mondiale tourne autour de 4%. Or, ce niveau même qui se situe entre 7 et 8% fait débat !
Pour les entreprises, l’encours des impayés s’est aggravé de 1,6% à près de 40 milliards de DH, soit plus de la moitié du stock global des créances en souffrance et 11% de l’encours global des crédits accordés à ce secteur institutionnel. De leur côté, les ménages ont vu leurs impayés s’envoler de 15,7% à 30 milliards de DH, il y a deux mois, après une hausse de 2,7% en 2018, de 9,7% en 2017 et une baisse de 3,6% en 2016. Par rapport à l’encours des crédits distribués à cette clientèle, les créances en souffrance des ménages représentent 9,8%. Sur ce compartiment de crédits aux ménages aussi, le taux des impayés a progressé plus rapidement que l’encours des crédits qui, eux, ont augmenté, pour s’établir à plus de 300 milliards de DH.
Or, le prolongement de la pandémie et de ses répercussions économiques veut dire la poursuite de la dégradation de la situation des ménages et du pouvoir d’achat avec le risque du basculement d’un large pan de la population dans la pauvreté. La perte des postes d’emplois et la lenteur de la convalescence de larges pans des secteurs productifs est source de précarité dans de larges parties de la population. Aussi, l’informel qui pourvoie plus de 70% de l’emploi et dont les employés n’ont pas de vraies garanties sur la régularité de leurs revenus rajoute à ces risques de précarité et de fragilité étant plus exposé, comme l’a démontré l’épisode du confinement.
Autre variable qui fait peser des risques sur la résilience des établissements de crédit, l’amenuisement de l’épargne et les mouvements de retraits massifs en raison des inquiétudes de la clientèle quant à la situation économique et les perspectives peu claires. Ce facteur est d’autant plus impactant une fois à l’impératif des banques de continuer à distribuer des crédits, voire avec un rythme plus soutenu pour accompagner les opérateurs dans leurs tentatives de relance. Ce qui risque de faire trinquer les coefficients d’emploi des banques restés dans des niveaux très confortables ces dernières années.
Cela dit, à en croire les affirmations du dernier Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques, le secteur financier dans son ensemble est à ce jour résilient. Le constat a été fait après que les membres du comité aient examiné l’état d’avancement de la feuille de route inter-autorités de stabilité financière 2019-2021 et analysé la cartographie des risques systémiques pesant sur le système financier national, dans le contexte de la crise sanitaire encore entouré de fortes incertitudes sur l’évolution de la pandémie.

La résilience du système financier est plus que jamais mise au défi
Pour les banques, le comité estime que malgré la forte récession économique, le crédit bancaire au secteur non financier devrait enregistrer une progression de 4,3% au terme de l’année 2020, à la faveur principalement des mesures d’appui de politiques budgétaire et monétaire. Il maintiendrait le même rythme en 2021 et 2022 avec une évolution de 4,3% et 4,5% respectivement. Cette reprise profite particulièrement aux entreprises privées qui ont vu leurs concours bancaires s’accroître à fin octobre 2020 de près de 7% en glissement annuel. Dans cette conjoncture porteuse de risques, les banques sont parvenues au titre du premier semestre 2020 à préserver leurs fondamentaux en matière de solvabilité et de liquidité. Elles ont dégagé, sur base sociale, à fin juin 2020 un ratio moyen de solvabilité de 15,5% et un ratio moyen de fonds propres de catégorie 1 de 11,4%, supérieurs aux minimas réglementaires.
Le coussin de liquidité ressort, quant à lui, à 176% à fin octobre, bien au-deçà du minimum réglementaire de 100%. Au plan de la rentabilité, le secteur bancaire a accusé à fin juin 2020 une baisse de 47% de son résultat net, sous l’effet principalement de la montée significative du coût du risque de crédit et de la contribution au Fonds Covid-19.
S’agissant des assurances, le secteur continue, dans l’ensemble, de faire preuve de solidité et de croissance aussi bien en Vie qu’en Non Vie, selon le comité. Au plan technique, sur les dix premiers mois de 2020, le chiffre d’affaires s’est accru de 2,7%, en glissement annuel, avec une progression de 1,4% pour la branche Vie et 3,7% pour la Non Vie.
La sinistralité devrait, pour sa part, s’inscrire en baisse en lien notamment avec l’arrêt de l’activité économique durant la période du confinement. Au plan financier, les placements des entreprises d’assurances ont augmenté de 4,4%, pour atteindre 192,4 milliards de dirhams et les plus-values latentes continuent de s’améliorer avec le redressement du marché boursier.
Quant au résultat net des sociétés d’assurances, il a enregistré à fin juin 2020 une baisse de 25,2%, impacté essentiellement par la contreperformance des activités financières durant le premier semestre. Par ailleurs, le secteur continue de dégager une marge de solvabilité, en couverture du risque de souscription, largement supérieure au minimum réglementaire. Ces excédents de marge devraient, néanmoins, connaître une baisse importante avec le passage à la solvabilité basée sur les risques.
Enfin, pour les régimes de retraite, la sous-tarification des droits acquis dans le cadre de la branche long-terme de la CNSS et du régime général du RCAR conduit à une forte accumulation des dettes implicites (engagements non couverts) des deux régimes. En ce qui concerne le régime des pensions civiles géré par la CMR, sa réforme paramétrique intervenue en 2016 a permis d’équilibrer sa tarification au titre des droits acquis après 2017. Toutefois, l’importance des engagements du régime au titre des droits acquis avant la réforme menace à court terme sa pérennité, avec un épuisement des réserves projeté pour 2029. C’est dire que face aux défis occasionnés par un contexte exceptionnel lourd de répercussions économiques et financières, la résilience du système financier est plus que jamais mise au défi. Jusqu’où ira-t-elle alors ?


Marché des capitaux : le volume d’émission en chute libre de 70% !

La liquidité du marché boursier est retombée à 8,8% à fin novembre après une amélioration à 11,5% en mai 2020. Quant au volume d’émission sur le marché boursier, il s’élève à 3 milliards de dirhams, en baisse de près de 70% par rapport à l’année 2019. L’encours de la dette privée à fin novembre 2020 s’élève à 233 milliards de dirhams, en hausse de 6,9% en glissement annuel. Il sert à hauteur de 63,4% au financement des établissements de crédit. Les émetteurs ont globalement été impactés par la crise actuelle avec une légère tendance à la hausse au niveau de l’endettement des émetteurs non financiers, qui reste néanmoins globalement maîtrisé. Quant au risque opérationnel des entreprises de marché, à savoir la Bourse de Casablanca et le Dépositaire central des titres (Maroclear), le nombre d’incidents et le taux de suspens des transactions boursières restent à des niveaux faibles et en baisse et ce, grâce à des dispositifs de maîtrise des risques globalement efficaces.