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Affaires

Jusqu’où les matières premières iront-elles ?

En douze mois, le pétrole a augmenté de 36%, le blé de 70%, le maïs de 98%, le coton de 136%… La hausse de la demande en Chine et en Inde de certains produits miniers et les effets négatifs des phénomènes climatiques pèsent sur l’offre.

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Maroc Economie Finances publiques 2011 02 25

Après la crise des subprimes, le monde vivra-t-il une crise des matières premières ? L’interrogation n’est pas anodine, elle est même au cœur des préoccupations de la communauté internationale. La France, qui préside actuellement le G20, en a fait son sujet de priorité pour le sommet de Cannes, en novembre prochain.
Mais si la crise des subprimes a fait s’écrouler des institutions financières parmi les plus réputées et les plus solides, l’embrasement des prix des matières premières fait, lui, planer le spectre de crises alimentaires avec leur corollaire, celui des révoltes populaires notamment dans les pays pauvres où la consommation représente encore entre 60% et 80% des dépenses des ménages, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). C’est que les prix des matières premières ont atteint des niveaux stratosphériques et, pour certaines d’entre elles, jamais égalés. Si le pétrole n’a pas encore atteint son record de juillet 2008 avec plus de 147 dollars le baril, il a tout de même progressé de 39%, à 107,3 dollars le baril de Brent en douze mois (entre le 22 février 2010 et le 22 février 2011). Sur la même période, le blé a augmenté de 70%, le sucre entre 3,6% (à Londres) et 18% (à New York), le maïs de 92,5%, le soja de 34%, le café entre 73% (Londres) et 98% (New York), le coton de 136%… Et on peut continuer ainsi l’énumération des hausses tant elles ont touché quasiment toutes les matières premières agricoles. Les matières premières minières, elles aussi, sont dans le même mouvement haussier : + 36,7% pour le cuivre, + 22,2% pour l’aluminium,     + 92% pour l’étain, + 43,6% pour le nickel. Cela fait certes le bonheur de l’industrie de l’extraction minière marocaine, mais pour autant le Maroc reste un gros importateur de minerais divers et pas toujours ceux produits au Maroc.
Qu’est-ce qui a bien pu être à l’origine de cette flambée ? Les avis, on s’en doute, sont aussi nombreux que divergents. Il y a ceux qui mettent cette hausse sur le compte de la boulimie des pays émergents (la Chine et l’Inde notamment) qui achètent à tour de bras pour répondre aux besoins d’une croissance forte. Il y en a d’autres qui privilégient des phénomènes spécifiques : sécheresse et inondations pour les produits agricoles, risques géopolitiques et autres difficultés d’extraction s’agissant des matières premières minières. Il y en a enfin qui pointent un doigt accusateur en direction des spéculateurs (voir article en page suivante), comme l’a fait le président français, qui entend pousser à une régulation des marchés des matières premières à l’occasion du G20 à Cannes.

Certains pays interdisent carrément les exportations de matières premières

Il est plus que probable que c’est la conjugaison de tous ces phénomènes, à des degrés divers et selon la matière première concernée, qui est derrière cette envolée des prix. Personne ne peut nier en effet que les pays émergents, notamment les plus grands parmi eux, avec les taux de croissance élevés qu’ils réalisent, l’urbanisation galopante qu’ils connaissent (le Maroc, par exemple, est désormais plus urbain que rural), l’amélioration du niveau de vie des populations, ont contribué fortement à l’augmentation de la demande mondiale en matières premières de toutes natures. Sur les dix dernières années, la demande de la Chine et de l’Inde, par exemple, ont été à l’origine de 50 % de la hausse de la consommation de pétrole. Bien normal quand on  sait qu’en Chine, par exemple, les ventes de voitures ont, pendant ce temps, été multipliées par cinq. Et cela est valable pour les métaux (le cuivre notamment) dopés par le boom de la construction.
L’amélioration progressive des revenus des ménages a, elle, généré une hausse de la consommation des produits alimentaires, et donc augmenté la pression sur ce marché. Et ceci dans un contexte où les superficies agricoles diminuent sous l’effet de la réaffectation d’une partie d’entres elles à la production d’autres spéculations, comme les bio-carburants. Les Etats-Unis et l’Union européenne, faut-il le rappeler, prodiguent des aides généreuses pour le développement de carburants bio, dans le but à la fois de diminuer leur dépendance vis-à-vis du pétrole et de satisfaire aux exigences environnementales de plus en plus fortes. L’Union européenne exige, qu’en 2020, 10 % de carburants utilisés dans les transports soient «bio». Quand, en plus, la nature devient capricieuse (inondations en Australie, sécheresse au Brésil et en Russie l’année dernière), l’offre n’arrive plus à répondre à la demande. Surtout que, en pareille situation, certains grands pays producteurs (comme la Russie ou l’Inde), n’hésitent pas à interdire carrément les exportations.

Risque de tensions sociales dans les pays du sud

Cette explication de la hausse des prix des matières premières par le phénomène de l’augmentation de la demande et des autres facteurs objectifs, est-elle suffisante ? Est-elle même convaincante ? De nombreux observateurs, mais surtout d’hommes politiques, voient surtout, derrière cet embrasement des prix, la main des spéculateurs. Il y a quelques semaines, le commissaire européen en charge des services financiers, le Français Michel Barnier, ancien ministre de l’agriculture, se disait scandalisé par la spéculation sur les matières premières agricoles, se démarquant ainsi de certains experts pour qui celle-ci n’est que «l’écume de la vague» et que son effet sur la flambée ne serait que marginale. Une chose est sûre : la spéculation, dans tous les sens du mot paraît consubstantielle à l’existence même de marchés à terme, lesquels peuvent parfois rendre des services aux opérateurs, en particulier pour se couvrir contre justement la volatilité des prix (voir p.12). Donc, la spéculation est dans la logique même du système…
Au-delà des phénomènes déclencheurs de cette envolée des prix sur lesquels les avis sont forcément divergents, les conséquences, elles, sont dramatiquement réelles et ne souffrent aucune contestation. Beaucoup redoutent désormais de voir se développer des jacqueries dans les pays du sud en réaction aux hausses des prix des produits alimentaires notamment. D’ailleurs, à tort ou à raison, certains attribuent à la hausse des prix un rôle au moins partiel dans ce qui s’est passé en Tunisie puis en Egypte ! On notera en tout cas que la menace sur la stabilité sociale est plus souvent évoquée que la menace sur la croissance mondiale.
Au Maroc, le renchérissement des cours mondiaux des produits de base n’a qu’un faible impact sur les prix intérieurs. A preuve, l’inflation en 2010 n’a été officiellement que de 0,8%. Et ceci pour une raison bien simple : l’Etat prend en charge une partie des prix de certains produits de grande consommation, précisément ceux dont les cours à l’international ont flambé.
Pour 2011, le gouvernement a déjà prévu un budget de 17 milliards de DH pour soutenir ces produits (carburants, farine, sucre), mais il  s’est résolu, in fine, à rallonger cette enveloppe d’où l’affectation de 15 milliards de DH supplémentaires et qui pourraient même ne pas suffire. En janvier, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 0,2% par rapport au mois précédent et de 2,2% en comparaison avec le même mois de 2010. Sur cette même période, les prix des produits alimentaires se sont appréciés à 4,1%. Mis à part la question de l’inflation et donc du pouvoir d’achat, la persistance de la hausse des prix à l’international pourrait mettre à mal les finances publiques des pays importateurs nets (du fait justement de la politique de subvention des prix) et ainsi créer des difficultés pour les finances externes. Car les importations, c’est l’évidence, il faut les payer en devises et il est à craindre que le milliard d’euros emprunté l’été dernier ne soit rapidement englouti dans les dépenses d’importations, se ce n’est déjà fait. Avec cela, il faudra encore faire face à la sortie de devises inévitable corrélative à la distribution de dividendes de la part des multinationales opérant au Maroc.