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Affaires

Jacques Attali : «Le monde rural et les TPE sont l’avenir de la microfinance au Maroc»

Les institutions de microfinance ont contribué à  l’inclusion financière des jeunes ces dernières années.
Elles doivent étendre leur couverture géographique et développer de nouveaux produits pour atteindre les objectifs fixés à  l’horizon 2020. Ces institutions doivent se soumettre à  des audits réguliers de leurs performances financières et sociales.

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Mis à jour le

Jacques Attali 2014 06 24

Dans quelle mesure les institutions de microfinance ont-elles contribué à l’amélioration des ratios d’inclusion financière au Maroc au cours des cinq dernières années?

Les clients des institutions de microfinance (IMF) ne sont pas recensés dans les statistiques d’inclusion financière du pays qui retiennent seulement l’ouverture d’un compte bancaire auprès du secteur bancaire classique. Cela dit, certaines IMF ont contribué à l’inclusion financière des jeunes dans le cadre d’un programme d’éducation financière en incitant à l’ouverture de compte d’épargne auprès des banques, les IMF ne pouvant récolter l’épargne au Maroc. L’amélioration constatée des ratios d’inclusion financière est en grande partie du fait d’Al Barid Bank, la banque postale marocaine avec qui PlaNet Finance travaille en partenariat.

Le taux de bancarisation est passé de 34% à la création de la banque postale en 2010 à 54% aujourd’hui. Al Barid Bank a mis sur le marché une gamme complète de produits simples et utiles, à une tarification accessible, le dernier étant une solution de Mobile Banking sur laquelle PlaNet Finance a collaboré en appuyant la banque dans la conception d’une interface ergonomique et la réalisation de supports marketing adaptés aux populations non bancarisées. L’extension du réseau a également été poursuivie, ce qui a donné un rythme d’ouverture de nouveaux comptes de 500000 par an.
 
Quels segments du marché marocain représentent pour les IMF les meilleurs relais de croissance en 2014? Quels domaines-clés de l’économie locale devraient tirer profit du microcrédit à moyen terme ?

Le secteur du microcrédit touche actuellement environ 800 000 personnes au Maroc et vise 3,2 millions de bénéficiaires actifs à l’horizon 2020, un objectif ambitieux nécessitant de gagner de nouveaux marchés. Les IMF devront continuer à étendre leur couverture géographique, en particulier dans les zones rurales non servies. La plupart d’entre elles se sont dotées maintenant de guichets mobiles pour pénétrer ces zones enclavées. Les IMF pourraient également développer des produits financiers adaptés aux activités des petits agriculteurs et éleveurs et cibler les coopératives agricoles.  
Un autre relais de croissance non négligeable qui reste encore à exploiter est le financement des TPE, ces dernières ayant encore peu accès au crédit tant des banques que des IMF. Les acteurs bancaires les considèrent comme trop risquées et la gestion de ce type de crédit trop coûteuse pour eux. Les IMF ne peuvent offrir qu’un financement limité de leur trésorerie compte tenu de la réglementation imposée sur le montant maximum des prêts octroyés (50000 DH). Entre ces deux limites se trouve le chaînon manquant de la mésofinance qui pourrait financer la création et le développement des TPE. Soit les IMF mettent en place des programmes d’upscaling pour servir ces entreprises avec des nouveaux produits et services adaptés, soit les banques font des programmes de downscaling pour accompagner ces TPE porteuses d’emplois et de croissance pour le Maroc.

Quel type de levées de fonds les IMF devront-elles privilégier pour couvrir d’ici à 2020 la demande croissante en liquidités de 3 millions d’emprunteurs potentiels ?

Les IMF se financent à près de 80% auprès des banques locales puis à hauteur de 20% auprès du fonds de refinancement Jaida dédié au secteur et regroupant des organisations nationales et internationales comme la CDG, la CDC, l’AFD, la KfW et Al Barid Bank. Ces acteurs continueront à être les partenaires privilégiés des IMF au Maroc pour les accompagner dans leur développement.

La collecte de l’épargne reste pour l’instant une source de financement encore inaccessible pour les IMF marocaines alors que le dépôt des clients peut constituer près de 60% des ressources financières des IMF en Afrique de l’Ouest. Les grandes IMF, qui ont toutes un statut réglementaire d’association leur interdisant la collecte de l’épargne, se sont toutes prononcées favorablement pour un processus de transformation institutionnelle. La question de la collecte de l’épargne devra donc être posée dans le cadre de ce dialogue avec les autorités compétentes, le ministère des finances et Bank Al-Maghrib.  
 
Quelles mesures complémentaires devraient être mises en place pour assurer une meilleure notation des organismes préteurs au Maroc ? Quel rôle la Banque Centrale devrait-elle jouer en ce sens ?

Les IMF marocaines ont bénéficié jusqu’à très récemment de mécanismes d’appui nationaux pour le financement de notations. Elles font donc noter leurs performances institutionnelles et sociales par des agences de notations spécialisées, mais la fréquence de ces évaluations reste à leur discrétion, bien que certains investisseurs fassent la promotion de notations régulières. Les agences de notation en microfinance sont un formidable moteur de la professionnalisation du secteur, car leur connaissance profonde des marchés et des institutions leur permet de diffuser les meilleures pratiques. De ce point de vue, la régularité des notations ne fait qu’accroître leur utilité, et les autorités de régulation et supervision peuvent bien sûr jouer un rôle en ce sens.

Les IMF de certains marchés matures d’Amérique Latine (Pérou, Equateur) sont déjà légalement soumises à des notations de leur risque de crédit, mais il serait opportun que les notations institutionnelles spécialisées en microfinance, offrant des perspectives plus long terme que le seul risque de défaut à un horizon temporel donné, le deviennent. L’obligation de notation, ainsi que l’agrément des agences de notation spécialisées, comme c’est le cas pour Planet Rating qui a reçu l’agrément de la Banque Centrale aux Philippines, seront sans doute des étapes nécessaires au développement de la microfinance. Quant aux notations des performances sociales, elles sont peut-être in fine les plus essentielles, car des IMF dont la mission sociale est correctement mise en œuvre sont la clé d’une microfinance utile à ses bénéficiaires et pérenne.
 
Quels garde-fous devraient être mis en place pour limiter les risques de crédit chez les opérateurs de la microfinance au Maroc ?

Le secteur du microcrédit au Maroc a connu une grave crise à partir de 2008 se traduisant par une forte augmentation des impayés et l’endettement croisé. Dès 2006, une étude de PlaNet Finance avait mis en avant la forte concentration des prêts dans les grandes zones urbaines et le développement des prêts croisés. D’un portefeuille à risque (PAR30) de l’ordre de 1,9% en 2007, le secteur est passé à 5% en décembre 2008 avant d’atteindre un niveau alarmant de 10% en juin 2009, comme l’a souligné une étude du CGAP. La raison de cette crise est avant tout une forte croissance non maîtrisée par les IMF elles-mêmes avec des systèmes d’information défaillants, des procédures de contrôle interne non maîtrisées et des politiques de crédit laxistes.

Les acteurs du microcrédit et les autorités de régulation ont su répondre à temps à ces problèmes en mettant en place une assistance technique pour renforcer les systèmes d’information et de contrôle, en renforçant la supervision de la banque centrale et la création d’une centrale des risques. Les autres garde-fous que vous évoquez sont sûrement à rechercher dans une meilleure protection des clients et le renforcement de leurs capacités. D’une part, les IMF doivent se soumettre à des audits réguliers de leurs performances financières et sociales afin de s’assurer qu’elles remplissent bien leur mission sociale auprès des populations ciblées. D’autre part, le renforcement du capital humain de la clientèle à travers des programmes d’éducation financière, le développement de la micro-entreprise ou l’appui à des débouchés commerciaux constituent autant de garde-fous pour réduire les risques de crédit.