Affaires
Intelaka : Un programme aux résultats mitigés
Jusqu’à avril dernier, il a même dépassé les objectifs fixés. Le taux de rejet est toujours élevé. Le motif communiqué officiellement lié à la faible qualité des dossiers n’est que l’arbre qui cache une immense forêt.

Le programme Intelaka, lancé depuis 2019 sur instructions royales, a fait plusieurs heureux. Des porteurs de nouveaux projets en mal de financement et rejetés par les banques, y ont trouvé leur bonheur. Des entrepreneurs ayant déjà une activité ont réussi à l’étendre et des personnes exerçant dans l’informel se sont même converties au circuit officiel. Cela, grâce aux avantages qu’offre cette initiative, tant en termes de financement à taux réduit (2% HT pour Damane Intelak et 1,75% HT pour Damane Intelak Al Moustatmir Al Qarawi), qu’en matière d’accompagnement et orientation. A fin avril (derniers chiffres disponibles), les prêts accordés dans le cadre de ce programme ont dépassé 6 milliards de DH. Ce sont 44 700 crédits qui ont été distribués au profit de 28 700 bénéficiaires. Ces financements devraient permettre la création de 97 000 postes d’emplois et générer des investissements d’environ 13,7 milliards de DH. Ce programme a presque atteint les objectifs projetés lors de son lancement en termes de nombre de bénéficiaires (13 500 chaque année prévus) et les a dépassés s’agissant des emplois créés (27 000 par an attendus).
Que des contraintes !
Cela semble bien beau. Pourtant, le taux de rejet des dossiers de financement avoisine 40%. Le motif principal de ce taux, communiqué de manière officielle par les parties prenantes, est la faible qualité des dossiers présentés. Sur le terrain, en contactant quelques banquiers chargés de la clientèle TPE, ci et là, plusieurs dossiers ne se révèlent pas bancables. Ils rapportent une incohérence du profil du demandeur du crédit avec l’activité à lancer. «Cela est attesté par le manque d’expérience et de formation dans le domaine souhaité. Ajouter à cela les lacunes dans la gestion quotidienne de l’activité et du personnel, mais aussi dans les perspectives d’évolution du projet», nous rapporte un banquier. A côté, le business plan reste l’une des contraintes principales d’un porteur de projet. Il est des cas où les mêmes prévisions d’évolution d’une activité circulent entre plusieurs entrepreneurs ayant des projets différents. Ce qui témoigne de la méconnaissance profonde du métier, encore moins de la clientèle cible, de la composition de son chiffre d’affaires estimé, des charges à couvrir…, le b.a.-ba !
L’étude du marché qui devrait accompagner le plan d’investissement représente également l’une des difficultés majeures de ce programme. «Des résultats contradictoires sont conclus, des chiffres vraisemblablement écrits au hasard, sans maîtrise des enjeux ni des risques spécifiques à chaque activité», dévoile l’une de nos sources.
Toujours dans cette quête d’en savoir plus, d’autres sources évoquent une surestimation des devis fournis. «Requérir un financement de 500 000 DH au titre de l’aménagement d’un espace de 20 m2, pour une activité purement commerciale, semble exagéré, même pour les plus néophytes», ironise ce banquier. Pour des dossiers, le refus s’explique par le seul mauvais emplacement de l’activité. Cela dit, le rejet du dossier est automatique lorsqu’il s’agit d’une personne ayant déjà un contentieux avec une banque ou une société de crédit, ou frappé d’un interdit bancaire.
Les banquiers en font trop !
En face, les porteurs de projet déplorent recevoir des exigences qualifiées d’exagérées par certains. Même si un dossier se révèle complet, les banquiers réclament d’autres documents qui sont, le plus souvent, impossible à apporter. Allusion faite essentiellement au contrat de bail et ce, avant l’accord du financement, ou encore l’obligation de disposer d’une adresse physique de la société sujet du projet et non d’une domiciliation, alors que l’activité en soi ne le nécessite pas, telle que le développement informatique, les services de livraison…
Les banquiers jouent de leur propre partition, qui de demander des garanties personnelles, qui d’exiger un apport dépassant 20% du montant à financer, ou même de justifier leur diplôme ou leur expérience professionnelle. Autant de complications relevées par les porteurs de projet et qui, pour rappel, ont été publiées dans un rapport publié par Oxfam. Elles se résument, entre autres, à la complexité des procédures de financement, la lenteur de traitement des dossiers, le mindset entrepreneurial des conseillers qui induit une mauvaise compréhension du projet, le manque d’accompagnement du programme par les instances publiques…
Mauvaise foi ?
A côté de l’ensemble de ces contraintes qui bloquent le déploiement du programme Intelaka, un autre type de problèmes a fait surface avec son lancement. Certains bureaux d’études et autres sociétés de conseil se sont donné à cœur joie à une activité de vente de business plan, tout prêts, ou études de marché, à des porteurs de projet, tous deux réunis par la mauvaise foi. Des faux devis ou autres documents falsifiés sont également présentés aux banquiers. Pire encore, des personnes ou entreprises non éligibles au crédit prennent comme intermédiaire d’autres, pour pouvoir bénéficier du montant de financement. Il le leur est reversé une fois contracté et ce, moyennant rémunération importante, bien entendu. Par ailleurs, bien des dossiers ont été bancables et financés, mais dont les sommes ont été détournées. L’on nous rapporte un supposé porteur de projet, qui a fini par acquérir une voiture, à travers la 1ère partie de la somme versée par la banque pour financer ledit projet. Un autre en a profité pour meubler sa maison, ou comme complément à son dossier d’immigration… Bref, les exemples ne manquent pas ! C’est dire que ce programme, non ficelé ou fait à la hâte, a laissé libre cours à l’imagination pour prétendre à un crédit à taux réduit. Vu les problèmes qui entourent ce programme, une banque de la place a levé le pied sur Intelaka, quand bien même le projet tenait la route. L’explication communiquée est «manque de visibilité». Qu’adviendra-t-il de ces dossiers rejetés ? Pour l’heure, aucun redéploiement n’est prévu, si ce n’est le programme Forsa. Ces porteurs d’idée devront faire face encore une fois aux différentes problématiques de financement et exigences imposées par le système bancaire.
Focus
Accompagnement et suivi : Talon d’Achille du programme
Si toutes ces contraintes existent, c’est que le manque d’accompagnement et de suivi en est la cause. Dès sa mise en place, le CRI est une partie prenante du programme. Souhaitant disposer davantage de détails sur les entraves rencontrées dans l’accompagnement des projets, les CRI contactés ne voulaient formuler de réponse, jugeant le dossier d’une sensibilité extrême ! Mais l’on sait que le blocage principal à l’accompagnement est le manque de ressources humaines nécessaires pour traiter chaque dossier en bonne et due forme. Dans ce cadre, le CRI de Tanger-Tétouan-Al Hoceima a lancé un appel d’offres pour l’accompagnement de 1 000 porteurs de projets de la région, reparti en 4 lots. Le but est de sensibiliser, soutenir et accompagner les porteurs de projets, et les TPME de bout en bout passant par les démarches de création, le montage des dossiers de financement et le suivi post création. Là aussi, ce suivi pose-problème. Il n’est pas réalisé ou très peu.
En cause, la quantité des ressources qui est insuffisante. «Comment un chargé de clientèle peut-il, à lui seul, procéder au suivi d’une cinquantaine d’entrepreneurs financés», s’interroge un banquier. Et d’ajouter : «Le seul souci de la banque est de s’assurer du remboursement des traites et de la non-constatation d’impayés. Le reste peut attendre».
