Affaires
Insuline : Sothema victime ou mauvais perdant ?
La société menace d’aller fabriquer son insuline en Algérie après avoir perdu un appel d’offres face à un produit importé et invoque la « préférence nationale ». Laprophan et Sothema se partagent pourtant le marché de l’insuline achetée par la Santé publique depuis 30 ans.

La sortie médiatique a surpris plus d’un. Samedi 19 novembre, Omar Tazi, PDG de Sothema, producteur local de médicaments, a annoncé vouloir transférer sa ligne de production d’insuline en Algérie. Décision ferme et réfléchie ou bien simple menace ? Ni du chantage, ni de la provocation, affirme le patron du groupe qui conditionne sa décision par le refus éventuel du Conseil de la concurrence de lui donner raison pour ses accusations de concurrence déloyale, mais également de ce qu’il considère comme une indifférence de l’Etat à protéger la production nationale.
Le motif de cette ire est que Sothema vient de perdre, face à son éternel concurrent Laprophan qui importe les produits du géant mondial Novo Nordisk, un marché du ministère de la santé portant sur la livraison de 2 millions de flacons de 10 ml d’insuline, pour un montant total de 33,6 MDH. Le marché avait été adjugé à la multinationale qui a proposé un prix de 16,80 DH l’unité, contre 17 DH pour Sothema. Cette dernière n’a visiblement pas digéré le verdict, d’autant qu’en février dernier elle avait remporté le marché au titre de l’exercice 2011 portant à peu près sur la même quantité en proposant environ 18 DH.
Le Conseil de la concurrence saisi il y a un an
La société a, dans ce contexte, ressorti les accusations de concurrence déloyale qui l’avaient poussée à saisir le Conseil de la concurrence fin 2010, après la perte de l’appel d’offres relatif à cette année-là. Il faut en effet rappeler qu’au titre du marché public de l’année 2010, Sothema avait proposé un prix de 23 DH par flacon alors que Laprophan s’était contentée d’une offre à 19,18 DH.
La plainte soumise au Conseil de la concurrence (contre Novo Nordisk, puisque Laprophan importe et distribue, mais c’est le laboratoire fournisseur qui fixe le prix de vente sur le marché local) porte en fait sur deux volets : le premier est une accusation de dumping qui signifie une vente à un prix inférieur à ce que le même fabricant propose dans d’autres pays. Le second volet, lui, a trait à l’accusation de prix «prédateur» qui signifie que l’entreprise vend à un prix inférieur à son coût de revient.
Qu’a décidé le Conseil de la concurrence ? Justement, il n’a pas encore donné un avis définitif sur la question. En juillet dernier, selon son président Abdelali Benamour, rencontré par La Vie éco, mardi 22 novembre, «le Conseil de la concurrence avait déjà approuvé les premières conclusions du rapporteur et lui a demandé d’ouvrir une procédure contentieuse avant d’émettre un avis définitif sur la question». Le conseil, il faut le préciser, poursuit son enquête sur la base des observations que les deux parties étaient appelées à formuler par rapport aux premières conclusions de juillet dernier. Et ce n’est que lors de la session prévue le 22 décembre qu’il rendra cet avis définitif. Encore faut-il savoir que cet avis demeure encore consultatif, en attendant la réforme (en cours) de cette institution. Les dernières conclusions seront remises au chef du gouvernement qui décidera du sort à y réserver. En tout état de cause, le patron du Conseil de la concurrence se dit «choqué par ce type de réactions sur un dossier qui est en cours d’examen par l’autorité de concurrence».
De fait, ce qu’il convient de relever, c’est que la réaction de Sothema aujourd’hui a une explication plausible. D’une part, et selon les déclarations mêmes de Omar Tazi à la presse, le rapport préliminaire du conseil ne plaide pas en faveur de Sothema puisqu’il a conclu que «les prix pratiqués par Novo Nordisk ne sont pas anormalement bas», et, d’autre part, la décision concernant le nouvel appel d’offres vient de tomber.
Il y a six ans, les deux laboratoires vendaient l’insuline à 50 DH
Cette décision est-elle justifiée ? Là c’est une autre paire de manches… Car dans cette affaire d’insuline, il faut revenir à l’historique du marché pour bien en apprécier les tenants et les aboutissants. Et cet historique prouve en fait que les deux opérateurs n’hésitent pas à user de tous les moyens pour faire valoir leurs positions et surtout défendre leurs intérêts dans un marché pour lequel ils mènent une guerre des prix depuis… 28 ans. Et durant toute cette période, les deux protagonistes ont remporté, tour à tour, les marchés de la Santé publique en matière de fourniture de flacons d’insuline. Sur 29 appels d’offres concernant l’insuline, lancés par le ministère de la santé, depuis 1982, 13 ont été adjugés à Laprophan pour le produit importé Novo Nordisk. Les 16 autres marchés ont été gagnés par Sothema. Mais surtout ce qui est à retenir c’est qu’il y a juste six ans les deux entreprises vendaient le flacon d’insuline à 50 DH, alors qu’aujourd’hui tous deux font des offres à moins de 20 DH, soit une réduction de plus de 60% qui pose la question de leurs marges à tous les deux. Dans ces conditions-là, où est le prix plancher en-deçà duquel on se situe dans un «prix prédateur» ? Et, corollairement, «prix prédateur» pour qui ? Car il se peut très bien que Novo Nordisk soit plus compétitif en coût de production que Sothema, auquel cas le prix de 16,80 DH par flacon relèverait juste d’un resserrement de marge. Il s’agira pour le conseil de trancher.
En attendant, c’est à l’Etat de se saisir de l’autre volet du dossier, car la compétence pour se prononcer à propos de l’accusation de dumping, selon Abdelali Benamour, «relève, dans le cadre de la loi, du ministère du commerce extérieur». Un mécanisme qui donnerait lieu éventuellement à l’instauration d’une mesure de protection du marché national qui peut même aboutir à une interdiction des importations. Mais encore faut-il prouver que le préjudice subi porte atteinte à tout un secteur, ou, à tout le moins, met en danger la survie d’une entreprise. La perte d’un marché de 33 MDH, pour un chiffre d’affaires qui atteint 820 MDH, soit une proportion de 4%, justifie-t-elle la mise en place d’une telle protection ? Si dumping il y a, on reviendra juste à un ou deux dirhams de plus dans les offres des deux concurrents… Affaire à suivre.
