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INDH : 13 milliards de DH dépensés, 22 000 projets et 5,4 millions de bénéficiaires
En 2005, les pouvoirs publics avaient budgété 10 milliards de DH. Fin 2010, 13 milliards de DH auront été dépensés.
3,3 milliards de DH consacrés aux infrastructures de base et 2,9 milliards d’aides directes aux populations vulnérables.
Le manque de convergence et de coordination entre les différentes administrations constitue l’une des imperfections qu’il faudra corriger.
Un bilan de fin de parcours sera fait au Forum du développement humain prévu à Agadir le 1er et le 2 novembre.

Comme annoncé depuis quelques semaines déjà, lundi 1er novembre, Agadir a rendez-vous avec un événement de taille : le grand Forum du développement humain. La qualité des participants, 1 500 en tout, beaucoup de sommités mondiales en la matière parmi les intervenants, et la présidence effective, attendue, du Souverain sont des signes qui ne trompent pas : la rencontre est d’une extrême importance. Elle sera l’occasion pour le Maroc d’exposer à l’international son expérience inédite en la matière qu’est l’INDH. Ce sera également le moment de faire le point en fin de parcours sur l’initiative qui s’étalait sur 5 années, de 2005 à 2010. Et, enfin, à la lumière du bilan, la rencontre sera également l’occasion pour le Maroc d’annoncer une INDH nouvelle génération. Certainement, l’ampleur des déficits et des besoins sociaux est telle qu’il faudra probablement prolonger encore dans le temps un tel programme. Mais une INDH de nouvelle génération devra également éviter les imperfections de la première version. Car comme tous les programmes inédits et pilotes, l’INDH reste très perfectible. Mais pour ce faire, il faut d’abord en faire un bilan exhaustif, détaillé, objectif pour connaître les volets qui ont réussi, ceux qui ont moins bien marché, les facteurs de blocage.., bref une radioscopie complète du système.
Une telle radioscopie est aujourd’hui disponible. Le ministère de l’intérieur, chargé de piloter toute l’initiative depuis 2005, a procédé dès le départ à des audits réguliers. Dans la perspective du forum d’Agadir, un bilan est prêt. Un premier chiffre qui rassure et en même temps renseigne sur l’ampleur des besoins des populations sur le terrain : alors que l’initiative, dans ses prévisions initiales, tablait sur une enveloppe de 10 milliards DH, ce sont finalement 13 milliards qui ont été engagés dont 7,8 milliards financés sur le Budget annuel spécialement alloué par l’Etat à l’INDH et 5,2 milliards par des partenaires, dont essentiellement les bailleurs de fonds internationaux comme la Banque mondiale, l’Union européenne et autres organisations. Les fonds engagés ont servi au financement de 22 000 projets profitant à près de 5,4 millions d’habitants.
7,8 milliards de DH fournis par l’Etat et 5,2 milliards par les partenaires internationaux
Quand on voit la répartition de l’enveloppe par nature et secteur, il n’est pas étonnant de constater que les deux plus gros volets qui ont capté le plus de fonds sont les infrastructures de base (eau, assainissement, électricité, routes…) avec 3,3 milliards de DH et la lutte contre la précarité et aides directes aux personnes en situation vulnérable avec 2,9 milliards de DH. Viennent ensuite les infrastructures sportives pour 1,6 milliard de DH, ainsi que l’éducation et les activités génératrices de revenus qui ont eu droit respectivement à 1,24 et 1,15 milliard de DH. Les projets ayant trait à la santé ont bénéficié de 868 MDH.
Maintenant, au-delà de ce bilan chiffré, il est des questions sur lesquelles l’évaluation ne pourra pas faire l’impasse. D’abord, l’INDH a-t-elle véritablement atteint les objectifs que lui assignait le Souverain à savoir la lutte contre la pauvreté, l’amélioration des conditions de vie et donc des indicateurs de développement humain dans les zones ciblées ? Difficile aujourd’hui d’apporter une réponse tranchée et encore moins chiffrée. Selon des sources proches du ministère de l’intérieur, un travail est actuellement en train d’être fait par les services du ministère en collaboration étroite avec le Haut commissariat au Plan (HCP) pour mesurer de la manière la plus fine possible l’impact de l’INDH sur l’état du développement humain dans les zones concernées. Il s’agira, entre autres, de voir si les projets lancés ont permis effectivement de réduire le taux de pauvreté ou encore d’améliorer les revenus dans les zones qui en ont profité. Un tel travail nécessitera encore quelques mois pour être finalisé. Pour l’heure, l’on se contentera donc d’une approche qualitative en attendant les chiffres. «Ce qui est sûr c’est que dans beaucoup de régions où des projets de l’INDH ont été implémentés, les témoignages recueillis auprès des populations bénéficiaires laissent croire que l’impact est net sur les conditions de vie», confie une source au ministère de l’intérieur.
Au-delà des chiffres, une nouvelle manière de travailler pour l’administration
L’autre registre sur lequel devront se pencher les évaluateurs est celui de l’efficience du mécanisme INDH. En d’autres termes, si les chiffres des réalisations, projets, bénéficiaires et autres indicateurs, permettent de renseigner sur le niveau d’atteinte des objectifs, il sera tout aussi pertinent de s’intéresser à d’autres questions. Beaucoup d’observateurs considèrent l’INDH comme un cas d’école. Dans le domaine de l’action publique au Maroc, l’INDH fait sans doute figure d’exception car c’est bien la première fois que l’Etat décline avec autant de précision un programme sur le plan stratégique et opérationnel en ciblant très finement les populations et surtout en mettant en place des mécanismes novateurs en termes de gouvernance et de pilotage. Mais si cette démarche est le fondement même de l’originalité de l’INDH, elle en a constitué aussi toute la difficulté. En 2005 déjà, le gouvernement avait pris la mesure de l’ampleur des enjeux.
Dans les mois qui avaient suivi le discours royal du 18 mai qui annonçait l’INDH, le gouvernement a dû travailler d’arrache-pied dans un seul objectif : mettre en place les procédures, les règles de gestion, les critères selon lesquels devait fonctionner le programme national et surtout ses déclinaisons à l’échelle locale. L’autre enjeu de taille qu’il fallait régler rapidement : la convergence des politiques publiques. Le gouvernement a travaillé presque toute une année pour peaufiner tout le dispositif. Car l’un des fondements de l’INDH était de faire converger les politiques et les programmes des différents départements à l’échelle territoriale et de les coordonner de sorte à ce que l’impact sur le développement humain soit effectif. En effet, il ne sert à rien de construire une école dans une localité éloignée si elle n’est pas desservie par la route. De même, un souk moderne et construit aux normes ne servira à rien si les agriculteurs ne peuvent pas s’y rendre. C’est malheureusement là le type de schéma que l’administration marocaine a reproduit durant des décennies par manque de coordination. Et c’est à ce niveau que l’INDH, en plus de sa finalité directe qui est de lutter contre la pauvreté, a été considérée comme étant un programme structurant pour l’administration. Pour la première fois, les différents départements devaient travailler pour converger tous vers une même cible, de mêmes objectifs avec de mêmes outils et procédures de travail. La convergence est donc l’autre grand critère sur lequel il faudra peut-être évaluer l’INDH.
Au terme de cinq années d’expérimentation, peut-on alors dire que l’administration marocaine a réussi son défi de convergence ? Là aussi, difficile d’apporter un jugement tranché, tant on ne dispose pas encore d’évaluation précise et scientifique sur la question.
Cela dit, on peut déjà trouver quelques éléments de réponse dans les rapports d’audit que produisent annuellement l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT) et l’Inspection générale des finances (IGF). Dans le rapport d’audit relatif à l’exercice 2008, plus particulièrement, on peut relever des remarques justement qui touchent de près la question de la coordination aussi bien entre l’administration centrale et celle territoriale qu’entre les différentes administrations et les différents intervenants (ONG, élus, services extérieurs, administration territoriale) au niveau local.
INDH, une simple source de financement au lieu d’être un catalyseur d’efficience ?
Ainsi, les auditeurs avaient clairement écrit que «la convergence entre les programmes INDH et les autres programmes sectoriels reste en deçà du potentiel souhaité». Le rapport fait remarquer aussi que «la convergence devrait particulièrement se concrétiser en amont, lors de la programmation des projets. Or, les services extérieurs disposent rarement des ressources humaines nécessaires, surtout au sein des petites localités, pour pouvoir accompagner efficacement les organes de gouvernance au moment de la programmation des projets INDH ou pour en assurer la maîtrise d’œuvre. Ils ne disposent également pas des moyens financiers ou du pouvoir de décision nécessaires pour pouvoir pleinement participer à la programmation des projets de l’INDH».
Dans le dernier rapport, relatif à l’exercice 2009, publié en juin dernier, les auditeurs sont de nouveau revenus sur le sujet et dans des termes encore plus critiques. Ils estiment ainsi qu’«en l’absence d’une véritable politique de convergence qui devrait être privilégiée lors des réunions de concertation au niveau des organes de gouvernance, l’INDH pourrait être considérée comme une simple source de financement», ce qui viderait finalement la démarche de toute sa philosophie.
Le rapport note au passage que toutes les recommandations émises dans les précédents audits au sujet de la convergence n’ont été que partiellement appliquées, ce qui explique, selon les auditeurs, «la tendance observée depuis le lancement de l’INDH, selon laquelle il y a eu une implication graduelle des services extérieurs dans la réalisation des projets, particulièrement à travers l’accompagnement et le conseil technique, et que leur implication en matière de coordination des actions et des interventions reste timide».
Comment et par quoi expliquer ce manque de convergence et de coordination ? Comment peut-on y remédier ? Ce sont là les questions auxquelles il faudra forcément répondre pour pouvoir dépasser le problème surtout au cas où une INDH 2 venait à être lancée. Et en attendant un diagnostic poussé il y a là aussi les premiers éléments de réponse connus et qui s’imposent d’eux-mêmes. Qui dit convergence dit forcément coordination qui n’a pas toujours été le point fort des administrations marocaines et encore plus à l’échelle locale. Le constat reste valable pour ce qui est des relations entre l’administration et les autres intervenants dans l’INDH notamment les élus et les ONG.
D’un autre côté, l’INDH a naturellement constitué une manne financière pour les collectivités locales, pour les ONG mais aussi pour les services extérieurs des ministères qui ont eu tendance à considérer l’INDH comme une ressource additionnelle qu’ils utilisent pour parer à la faiblesse de leurs budgets et réaliser une partie de leur programme.
Cependant, l’INDH n’a pas été sans effet sur le mode opératoire de l’administration et sa manière de concevoir et déployer les actions publiques notamment en matière sociale. Les projets INDH ont créé une dynamique nouvelle sur le plan organisationnel et institutionnel. Le premier a en avoir bénéficié a été l’administration territoriale notamment les wilayas et préfectures du fait que le ministère de l’intérieur a été investi des missions de pilotage de l’initiative au niveau local. L’une des grandes nouveautés, par exemple, a été le repositionnement des divisions des affaires sociales (DAS) qui n’étaient jadis que des coquilles vides ou presque et qui sont devenues, depuis 2005, la cheville ouvrière du programme en régions.
D’un autre côté, quoi que pas toujours prêts à le faire, les différents intervenants que ce soit à l’échelle central ou locale, ont été obligés de faire preuve d’un minimum de coordination dans le cadre des organes de gouvernance collectifs. Ils ont été également obligés de parler le même langage, de manipuler les mêmes outils, d’échanger leurs informations. En soi, tout cela est une véritable révolution pour l’administration.
In fine, il va sans dire que malgré quelques petites imperfections qu’il faudra corriger, l’INDH a été incontestablement une grande avancée en matière de politiques publiques au Maroc et plus spécialement sur le plan territorial.
Pour beaucoup d’observateurs et d’experts, elle a été structurante et porte en elle les germes du changement. A tel point que certains verraient bien l’institutionnalisation de l’INDH dans le cadre d’une structure permanente. Mais en attendant que ce débat soit tranché, la meilleure chose serait déjà de perpétuer la pratique avec une INDH 2.
