Affaires
Impôts : la nouvelle démarche de l’Etat expliquée par Noureddine Bensouda
L’Etat ne veut plus s’immiscer dans la gestion des entreprises au moyen de la fiscalité.
Les professions libérales sommées de se mettre en règle vis-à-vis du fisc.
L’Etat sera plus intransigeant en matière de recouvrement.

Le dîner-débat organisé par La Vie éco, jeudi 17 janvier, a drainé une assistance nombreuse, composée essentiellement de chefs d’entreprises, d’experts-comptables et de cadres du secteur privé. Il faut dire que le thème de la soirée ne laisse personne indifférent: «Les dispositions fiscales de la Loi de finances 2008». En particulier, lorsque celles-ci sont déclinées, explicitées et commentées par le directeur général des Impôts, Noureddine Bensouda.
Certes, il n’y eut pas d’annonces, de «scoop» comme on dit dans notre jargon, et il ne fallait pas en attendre. M. Bensouda, partout où il se rend pour ce genre d’exercice, s’est imposé une ligne de conduite : ne parler que de ce qui existe. Des questions ont beau lui être posées, par exemple sur une éventuelle fiscalisation de l’agriculture, une fois l’exonération dont bénéficie le secteur arrivée à son terme, il opposera toujours le même refus d’y répondre, expliquant, à juste titre, que c’est une décision politique qui, en tant que telle, ne relève pas de ses compétences.
Mais la matière fiscale est d’une telle complexité (en dépit des efforts déployés pour la simplifier) et présente un tel intérêt (elle touche directement au portefeuille du contribuable) qu’une intervention du premier responsable des impôts est toujours fortement attendue et attentivement suivie.
Suppression des dotations aux provisions non courantes : un signe de neutralité de l’Etat
Cela dit, même si l’objet d’un dîner-débat est souvent, toujours même, centré sur les aspects d’explication, d’éclaircissement, de pédagogie du sujet traité, celui du 17 janvier a donné lieu malgré tout à des précisions qu’on peut tenir pour des annonces fortes, venant de la part du directeur des Impôts.
La première de ces précisions-annonces, c’est la décision des pouvoirs publics de ne plus s’ingérer, en quelque sorte, dans la gestion des entreprises au moyen de la fiscalité. Et l’illustration la plus importante de cette décision concerne la suppression des dotations aux provisions non courantes : dotations aux provisions pour investissement, pour reconstitution de gisements, et pour logements. En contrepartie de cette suppression des dotations aux provisions non courantes, le gouvernement a concédé une baisse de taux. Ainsi, l’IS passe de 35 à 30% (de 39,6 à 37% pour les établissements de crédit et les organismes assimilés, Bank Al Maghrib, la CDG ainsi que les sociétés d’assurances et de réassurances). En fait, cela revient à faire coïncider le taux effectif (qui était de 30 % réellement, avec les dotations aux provisions) et le taux nominal ou légal qui, lui, était de 35 %. Mais, surtout, cela signifie que l’Etat ne s’occupe que de ce qui le regarde, à savoir éditer des lois, à charge pour l’entreprise d’en faire l’usage qu’elle estime le plus profitable pour elle. Si une entreprise décide de prévoir des dotations aux provisions pour investissement, c’est son problème ; l’Etat, lui, a autre chose à faire que de s’encombrer de considérations liées à la gestion…, dira en substance M. Bensouda.
Quand la fiscalité dérogatoire avait tendance à devenir la norme
En même temps qu’elle apporte plus de clarification et de simplification en matière d’impôt sur les sociétés (pour rester sur cet exemple), pareille décision semble indiquer que le tissu économique est arrivé à maturité puisque désormais il n’y a plus besoin que l’Etat oriente, dans un sens ou dans un autre, ses décisions de gestion. La tendance – amorcée depuis quelque temps – à supprimer les niches fiscales participe de cette démarche. Plus généralement, ce qu’on pourrait appeler le «désengagement fiscal» de l’Etat est aussi expliqué par la volonté de ce dernier de faire une place plus grande à l’équité fiscale. Les rapports sur les dépenses fiscales élaborés chaque année, depuis 2005, ont justement pour objet de remettre de l’ordre dans cette fiscalité dérogatoire qui, au fil du temps, prenait tellement d’importance qu’elle semblait être plutôt la norme. 410 mesures dérogatoires ont déjà été recensées et 178 d’entre elles ont fait l’objet d’évaluation. Selon cette évaluation, les dépenses fiscales (c’est-à-dire les recettes auxquelles l’Etat a renoncé au profit de certains contribuables) en 2007 se sont élevées à 23,61 milliards de DH. Sur le simple plan arithmétique, si 43,4 % (178 mesures) de l’ensemble des mesures fiscales représentent un manque à gagner pour le Trésor de plus de 23 milliards de DH, l’évaluation de la totalité des dépenses fiscales devrait dépasser les 50 milliards! D’où les questions liées à la qualité de ces dépenses, et des dépenses publiques en général, qui se posent de plus en plus aujourd’hui ; ici comme ailleurs, du reste.
La deuxième précision-annonce faite par le directeur général des Impôts, c’est que les professions libérales, au rang desquelles il a nommément désigné les médecins, contribuent faiblement aux recettes fiscales. L’occasion lui a été donnée ainsi d’appeler cette «corporation» à déclarer ses revenus, faute de quoi les agents du fisc ne manqueraient pas de sévir. Le rappel à l’ordre est lancé sur un ton presque amusé, mais personne dans l’assistance n’est dupe : l’Etat entend recouvrer ce qui lui est dû, rien que ce qui lui est dû mais tout ce qui lui est dû. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les chiffres : grâce aux contrôles fiscaux, les recettes de recouvrement sont en effet passées de 1,9 milliard de DH en 2006 à 2,42 milliards en 2007.
Avec la tendance à la baisse des taux, la simplification de la matière fiscale, les pouvoirs publics ont désormais plus d’arguments que par le passé pour exiger que personne ne se dérobe à ses obligations fiscales.
