Affaires
Il y a près de soixante ans naissait la Comanav
Créée en 1946 sous le nom de Compagnie franco-chérifienne de navigation, elle est rebaptisée Compagnie marocaine de navigation 13 ans plus tard
En 1962, deux navires d’une capacité de 1 200 passagers assuraient le transport des pèlerins marocains à Jeddah
Premier commandant marocain en 1975.

«Comanav» : il fut un temps où ce nom évoquait pour les Marocains un beau fleuron de l’économie nationale, auquel il était bon de s’arrimer, de préférence dans un poste à terre, pour s’assurer un salaire très au-dessus de la moyenne, et sûrement des voyages à l’œil et à vie. Une telle représentation du travail est, du reste, le prolongement de l’idée que se caser dans les rangs de l’administration est une sinécure, dans une société où rente et fonctionnariat sont, d’une certaine manière, synonymes.
Mais l’histoire de la Comanav réserve quelques surprises, contredisant l’idée que cette entreprise publique était un refuge pour ronds de cuir. Et ce sont d’anciens cadres, mémoire vivante de la compagnie, qui s’en font les hérauts. Ceux que La Vie éco a rencontrés, avec le concours du président actuel de la Comanav, s’appellent Faddi Mohamed, Abdallah Imghi, Laânaba Lahcen, Thami Boukantar ou encore Rizghi Amalaoui. Ce sont des loups de mer à la retraite ou d’anciens cadres dirigeants, fiers d’avoir travaillé pour que le pavillon marocain flotte sur les mers du monde entier.
C’est en 1974 que la compagnie commence à s’intéresser au transport de passagers
Tout a commencé en 1946, lorsque naquit une entité dénommée à l’époque «Compagnie franco-chérifienne de navigation», et qui devint, treize années plus tard, la Compagnie marocaine de navigation. Son modeste siège était situé place Mirabeau, à Casablanca. Cinq navires furent acquis en 1960 (Atlas, Toubkal, Mauritanie, Ketama et Chaouen).
A ses débuts, l’entité comptait à peine une cinquantaine d’employés et les Marocains étaient encore loin d’être aux commandes des bateaux. En effet, il a fallu attendre 1967 pour voir le premier Marocain capitaine sur des bateaux couvrant les courtes distances (cabotage sur l’Europe), et 1975 pour le premier commandant de long-courrier. Les anciens se rappellent qu’il a fallu faire preuve d’ingéniosité pour installer le nom de la compagnie nationale avant de voir l’Etat soutenir ouvertement son essor. Le résultat ne s’est pas fait attendre puisque, entre 1971 et 1975, la compagnie va acquérir 6 bateaux. Un peu plus tard, la flotte a pu comprendre jusqu’à 100 unités, entre bâtiments en propre et bateaux affrétés. Durant les premières décennies, on ne parle que de transport de marchandises et la Comanav, qui ambitionnait d’assurer 25 % du trafic, totalisait 12,2 % en 1972 et 15% en 1978.
La compagnie connaîtra sa période faste dès qu’elle s’intéressa réellement au transport des passagers. Et c’est en 1974, lorsque l’Agadir va entrer en service pour assurer la ligne Tanger-Sète, que l’on comprendra que ce créneau est le nerf de la guerre. Aujourd’hui, il représente 60 % des recettes de la compagnie maritime (le chiffre d’affaires est passé de 240 MDH en 1975 à 1 milliard de DH en 1990 et 1,3 milliard de DH en 2004).
Toujours est-il que les anciens se souviennent d’avoir commencé à transporter des passagers au tout début de la naissance de Comanav. C’est, en effet, témoignent-ils, dès 1962 que furent acheminés des pèlerins marocains vers Jeddah. Les bateaux étaient alors aménagés pour cette opération ponctuelle. Deux unités d’une capacité de 1 200 passagers chacune assuraient la liaison au prix de 1200 DH par pèlerin, restauration comprise, et sans limitation de poids pour les bagages, pour une traversée qui durait 12 jours en moyenne. De cette époque glorieuse, les anciens gardent le souvenir d’un grand respect pour leur compagnie et pour le pays, en général. Le commandant Rizghi Amalaoui, le premier commandant marocain aux voyages transatlantiques, se souvient d’avoir eu une avarie au large de Singapour, dans les années soixante-dix. Au moment d’accéder à un chantier naval aussi éloigné de son port d’attache, il avait prévenu les responsables qu’il ne disposait pas d’argent liquide pour régler les frais sur le champ. Il s’entendit répondre par le directeur : « Comanav, no problem ».
Une telle notoriété était de nature à optimiser la gestion car un bateau immobilisé peut coûter jusqu’à 10 000 dollars (90 000 DH) par jour en frais seulement. Quand il est en location, il faut ajouter les quelque 30 000 dollars (270 000 DH) quotidiens qu’il faut régler à son propriétaire. C’est ainsi que les anciens de la Comanav attestent de la bonne santé de l’entreprise et de la créativité de ceux qui sont restés des décennies à son service.
La compagnie se remet progressivement à flot après une période critique
Si ce message peut être reçu 5/5, comme on dit, comment expliquer les déconvenues qu’a connues cette entreprise qui, n’était le secours de l’Etat, aurait chaviré plus d’une fois ? Les raisons des difficultés qui ont valu au représentant du «pavillon national » d’avoir failli être envoyé par le fond sont nombreuses. Il y a notamment le manque de souplesse et de flexibilité dans la gestion, et l’impossibilité pour le management de prendre la moindre décision importante en dehors de la lourde machine des conseils d’administration. Des conseils qui n’ont jamais vu venir – encore moins pu prévenir – les dangers qui guettaient la Comanav. L’arrivée de la concurrence, le non-renouvellement à temps d’une partie de sa flotte, les lignes subventionnées ouvertes (vers le Maghreb, l’Afrique et le Moyen-Orient) sur ordre des politiques… Ce sont là quelques-uns des problèmes qui ont plombé le développement d’une entreprise qui a su toutefois anticiper sur beaucoup de domaines. En témoignent les alliances nouées avec l’OCP et la Samir pour la création d’entités dédiées au transport des produits de Maroc Chimie I et II ou du pétrole pour le compte du raffineur marocain.
Quoi qu’il en soit, la Comanav est bel et bien sortie de la tempête et les perspectives sont prometteuses. On espère que les enseignements des erreurs du passé lui permettront de sillonner les mers encore longtemps
5 navires en 1960, 6 entre 1971 et 1975, jusqu’à 100 unités un peu plus tard (bâtiments en propre ou affrétés).
