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«Il ne faut pas que l’embellie des 18 derniers mois nous détourne des sujets de fond»
Le président de l’ANIT a sollicité Salaheddine Mezouar pour réorganiser le débat sur la réintégration à la CGEM. Selon Jalil Benabbés-Taarji, le déficit de pilotage stratégique et une gouvernance défaillante sont les causes premières des échecs passés. Il prône le dialogue mais estime que seul le président et le CA de la CGEM disposent de l’autorité suffisante pour réunir toutes les parties prenantes et organiser un débat du secteur privé.

Depuis 9 mois, la Confédération nationale du tourisme et cinq fédérations et associations (FNAVM, ANIT, FNTT, FLASCAM et FNR) sont en désaccord avec la CNT à propos d’une éventuelle réintégration de la CGEM. Entre-temps, le comité d’experts a rendu public son rapport sur les 15 dernières années du secteur. En tant que président de l’Association nationale des investisseurs touristiques (ANIT), Jalil Benabbés-Taarji revient sur le désaccord, le rapport des dirigeants de la CGEM au tourisme et l’utilité d’intégrer le rapport du Comex dans la réflexion sur l’avenir du tourisme au Maroc.
Cela fait plusieurs mois que le Collectif de cinq fédérations et associations nationales sont en désaccord sur plusieurs points. Qu’en est-il depuis? Comptez-vous reprendre les discussions, voire réintégrer la CNT ?
Nous n’avons qu’un seul et unique point de désaccord, mais il est majeur. Celui de l’utilité et de la nécessité de réintégrer la CGEM, pour un temps et dans une logique de «réincubation», ou non. Je dois rappeler que l’intégralité du rapport du Comité des experts (long de 140 pages) a été validé de manière formelle et statutaire par le conseil d’administration de la CNT du 16 mars dernier, hormis ce seul sujet. Faut-il rappeler également que cette réintégration a été votée favorablement et sans réserve, y compris par le binôme de tête de la CNT. Seule la FNIH a préservé sa cohérence en y posant une réserve, admise par le ComEx et notre collectif. Nous sommes partisans du dialogue et du débat. Nous avons sollicité le président de la CGEM pour organiser le débat sur ce point, sous sa «tutelle» et permettre au comité des experts d’entamer ses travaux et débats avec le département du tourisme et, partant, le gouvernement sur tous les sujets pour lesquels des accords unanimes sont acquis depuis mars dernier.
Les présidents de la CGEM, Meriem Bensalah puis Salahddine Mezouar, ont toujours maintenu le contact avec le ComEx et le Collectif afin de reconstruire une cohésion et une cohérence d’ensemble. Avec tous. Nous voulons rester optimistes, malgré les récents développements qui posent question.
Le rapport du comité d’experts réalisé conjointement avec les professionnels de différentes fédérations a été enfin présenté au public. Quels ont été, selon vous, les principaux enseignements ? Est-ce que ce rapport sera soumis et étudié par le ministère du tourisme ?
Permettez-moi de préciser que les membres du comité des experts issus des secteurs privé et public ont des parcours très divers et complémentaires. Ces experts avaient convenu de laisser leurs casquettes respectives à l’entrée des séances de travail et ce, pendant 7 mois. Chose faite. Sans exception. Dès lors, ni l’ANIT ni aucune autre organisation professionnelle n’en est l’auteur, contrairement au commentaire du président de la FNIH dans votre édition du 19 octobre dernier. L’objectif principal de ce rapport du ComEx est bien de faire en sorte que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Surtout après plus de 17 ans de déficit de pilotage stratégique. Ce même rapport, qui est essentiellement tourné vers l’avenir, démarre sur une revue statistique riche et innovante et se poursuit sur un diagnostic sans concession avant de développer, en troisième et dernière partie, une stratégie de relance à travers des recommandations.
A noter que seule la revue statistique a été rendue publique à ce jour. Son principal enseignement est que le déficit de pilotage stratégique et une gouvernance (des secteurs privé et public) défaillante sont les causes premières des échecs passés. Les solutions et dynamiques de relance ne peuvent faire l’économie de ces sujets et des nécessaires ruptures. Certains pensent pouvoir écrire l’avenir sans une lecture responsable et objective du passé, soit ! Le comité des experts, résolument et unanimement soutenu par notre Collectif des 5 fédérations et associations nationales, pense et défend le contraire. Preuves à l’appui. Nous ressentons bien des réticences à revenir sur le passé récent, et nous imaginons bien pourquoi.
Les membres de la CNT se sont entretenus le 11 octobre avec le ministère du tourisme et ont décidé de créer des commissions mixtes pour la refonte de la vision 2020. Qu’en pensez-vous ?
Si le ministère du tourisme et la CNT, réduite à la seule FNIH, estiment qu’ils peuvent occulter les recommandations du ComEx et le débat qui en découle, libre à eux ! Ils sont souverains ! Mais nous serions alors plongés dans un océan de perplexité. Serait-ce donc un rapport qui dérange et qu’il est urgent de glisser au fond du tiroir ? Nous verrons bien si la raison finira par l’emporter. C’est du moins le sens de nos actions.
Quels sont, d’après vous, les besoins du secteur du tourisme pour un réel décollage ?
En premier lieu et je le répète, une lecture objective et responsable des 17 dernières années. Ensuite et concernant le fond, le ComEx a identifié 5 profondes discordances dans les équations du tourisme et de l’hôtellerie dont il a déduit 5 nécessaires ruptures, elles-mêmes conduisant à une nouvelle architecture institutionnelle (CNT, ONMT, SMIT, CRTs, OT, etc.). La difficulté de la thèse et des conclusions du ComEx est qu’elles sont l’aboutissement d’une démonstration factuelle et chiffrée qui nécessite plusieurs heures d’exposés et de débats et par conséquent du temps et de l’attention. Ce qui nous a trop souvent fait défaut. Ce n’est pas un sujet «grand public», d’où les ratés de la communication des deux derniers mois. Enfin, il ne faut pas que l’embellie des 18 derniers mois, dont nous nous réjouissons mais qui ne remet aucunement en cause le travail du ComEx et ses conclusions, nous détourne des sujets de fond.
Quels sont les dossiers urgents de votre collectif aujourd’hui ? Pourrait-on s’attendre à une vision commune entre vous, la CNT et le ministère pour que le secteur aille de l’avant ?
Notre priorité est le dialogue sous la seule houlette de la CGEM qui est la «holding de tête». Son président est informé et sensibilisé. Seuls lui et le CA de la CGEM disposent de l’autorité suffisante pour réunir toutes les parties prenantes et organiser un débat du secteur privé que nous appelons de nos vœux. Notre Collectif représente 5 des 6 métiers principaux du secteur, face à une CNT réduite à un seul métier. Feindre de l’ignorer et adopter une politique de fuite en avant peut être grave et conséquent. Nous voulons dialoguer, pas polémiquer. Mais il faut être deux pour y arriver.
