Affaires
Il faut sauver le soldat TPE !
La TPE traverse une véritable zone de turbulences. Outre les maux structurels, elle fait face aujourd’hui à des éléments conjoncturels qui mettent en péril sa survie. Selon les prévisions, la défaillance d’entreprises devrait atteindre le chiffre de 12 500 d’ici la fin de l’année, 15% de plus par rapport à l’année 2021.
Inflation, reprise molle, délais de paiement longs, effets de la crise sanitaire… La très petite entreprise (TPE) marocaine vivote et souffre de plusieurs maux structurels et conjoncturels. L’année 2022 sera une année à oublier pour ce tissu économique qui représente plus de 90% de notre économie. Le nombre de défaillances va augmenter par rapport à 2021, une année qui a d’ailleurs été catastrophique pour les TPE marocaines. Joint par La Vie éco, Amine Diouri, Directeur études et communications chez Inforisk, nous dresse un tableau noir de la situation actuelle. «Nous prévoyons une augmentation des défaillances des entreprises marocaines cette année, et qui seront au nombre de 12 500, soit une augmentation de 15% par rapport à l’année dernière. Parmi ces défaillances, 99% sont des TPE», nous annonce Amine Diouri. Près de la moitié des défaillances des TPE sont dues au problème endémique des retards de paiement, nous confie notre interlocuteur. Un délai de paiement qui n’a jamais été aussi anormalement long que ces dernières années, certaines grandes entreprises ayant profité de la crise sanitaire en rallongeant considérablement leurs délais de paiement. Ces derniers ont d’ailleurs culminé à 280 jours en 2020. «Aberrant», commente Abdellah El Fergui, Président de la Confédération marocaine des TPE-PME.
Offres de financement inadaptées
S’ajoute à cela la difficulté d’accès au financement et aux marchés publics. Sur ce dernier point, le quota de 30% accordés aux TPE marocaines dans le cadre des marchés publics n’est toujours pas respecté, selon nos deux interlocuteurs. «Théoriquement, les TPE ont bénéficié d’un quota de 30% des marchés publics. Mais entre la théorie et la pratique, il y a un énorme gap. Nous ne disposons pas de chiffres officiels sur la réalité des choses, mais d’après nos observations et analyses, je peux vous dire que nous sommes encore loin de ce pourcentage», regrette Amine Diouri. Concernant l’accès au financement, les banques ne joueraient pas le jeu, à en croire Abdellah El Fergui. Selon lui, les mécanismes et les offres de financement déployés ces deux dernières années en réponse à la crise sanitaire ne sont pas adaptés à la réalité des TPE marocaines, et ceux qui ont bénéficié des crédits Oxygène et Damane Oxygène peinent actuellement à les rembourser. En effet, tout est lié. Une petite entreprise subit le diktat de ses clients qui tardent à la payer, et doit en même temps payer ses fournisseurs. Face aux problèmes de trésorerie et à l’incapacité du patron de l’entreprise d’injecter des liquidités, le circuit bancaire est la dernière alternative pour ces entreprises. Si le robinet des crédits est fermé, la défaillance est assurée. «L’encours des crédits accordés aux TPE reste faible. Le retard des paiement ajouté à un faible accès au financement et aux marchés publics ne peut que mener à des défaillances de ces entreprises et c’est ce que nous observons actuellement», alerte Amine Diouri.
L’inflation aggrave la crise
Outre ces maux structurels, la TPE marocaine souffre aujourd’hui de problèmes conjoncturels qui ne feront qu’aggraver une situation déjà catastrophique. L’inflation et l’onde de choc de la crise russo-ukrainienne se sont fait ressentir sur l’économie marocaine et l’impact sur des milliers de TPE a été dévastateur. «La crise s’aggrave de manière considérable actuellement. Il faut que les pouvoirs publics viennent à la rescousse. En plus des problèmes que nous rencontrons depuis plusieurs années, nous faisons face aujourd’hui à une inflation importante qui se répercute sur la trésorerie des entreprises. La hausse des prix des produits des matières premières a parfois triplé et la facture énergétique a grimpé. Certaines TPE ne peuvent pas les répercuter sur leurs prix d’achat», précise Abdellah El Fergui qui alerte, par ailleurs, sur une tendance inquiétante : «Face au nombre important des faillites, plusieurs fournisseurs demandent dorénavant des chèques personnels de la part des patrons de TPE comme garantie et n’acceptent plus des chèques des entreprises», alerte-t-il. Et pour ne pas arranger les choses, la décision de Bank Al-Maghrib de rehausser le taux directeur de 50 points de base impactera, dans certains cas, les TPE. Ceux qui ont déjà contracté des crédits à taux fixe seront épargnés, mais ceux qui détiennent des crédits à taux variables ou ceux qui vont contracter prochainement des crédits devront payer des mensualités plus élevées.
La TPE marocaine traverse actuellement une zone de turbulence à cause de maux structurels et d’éléments conjoncturels. La situation devient inquiétante et met en péril 90% du tissu économique du pays. L’Etat est amené à prendre le taureau par les cornes en soutenant urgemment ces entreprises pour sauver ce qu’il reste des meubles.