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Houda Chafil : Avant même la nouvelle loi, des mesures pour encourager la titrisation sont prévues en 2013
De nouvelles règles d’allocation d’actifs pour les assurances, les banques et les OPCVM sont prévues afin de leur permettre d’investir plus dans les titres émis par les fonds en titrisation. Des exonérations d’impôts sont accordées aux initiateurs d’opérations de titrisation pour leur garantir la neutralité fiscale.
Les choses sérieuses commencent pour la titrisation. Une nouvelle loi actuellement en cours d’adoption élargit ce levier de financement au Trésor et à toutes les entreprises privées. Et ce n’est là qu’une première étape car une multitude de mesures encourageant les investisseurs et les initiateurs à s’orienter vers cette technique sont prévues dans la Loi de finances 2013. Houda Chafil, directrice générale de Maghreb Titrisation, en expose le détail.
Pourquoi amender la loi sur la titrisation dans la conjoncture actuelle ?
L’amendement de la loi sur la titrisation intervient dans la conjoncture actuelle précisément pour faire profiter tous les acteurs économiques d’un financement alternatif dans un contexte où les besoins en liquidités sont de plus en plus croissants. En effet, la titrisation n’est utilisée aujourd’hui que par les seuls établissements de crédit (NDLR : les établissements publics, les sociétés d’assurances et les délégataires de service public y ont également droit) principalement des raisons de liquidité mais également pour se mettre en conformité avec les ratios prudentiels. Or, le besoin de financement existe partout. Il existe d’abord au niveau de l’Etat qui doit mobiliser des ressources conséquentes pour entretenir une politique d’investissement public volontariste. Il existe aussi généralement au sein des sociétés commerciales qui ont besoin d’accéder à des moyens de financement alternatifs. D’où l’élargissement de la titrisation à ces dernières entités et plus généralement à toute personne de droit privé ou public, ce qui au passage aligne le Maroc sur les législations internationales en la matière, notamment celle européenne.
Est-ce le seul apport de la nouvelle loi ?
Il est également prévu l’élargissement de la liste des actifs éligibles. Actuellement, ces derniers ne peuvent être que des créances. Le nouveau cadre rajoute à cela les actifs tangibles (mobilier, immobilier et matières premières), les titres de capital, les titres de créances ainsi que d’autres actifs qui pourraient être autorisés par voie réglementaire. Et là n’est pas tout, car parallèlement aux initiateurs de titrisation et aux actifs, il faut aussi élargir la base des investisseurs. A cet effet, grâce au nouveau cadre, les investisseurs étrangers peuvent bénéficier des conventions fiscales internationales en matière de non double imposition, et ce, du fait que les Fonds de placement collectif en titrisation (NDLR. FCPT, organismes à travers lesquels les créances titrisées sont cédées aux investisseurs institutionnels) seraient désormais dotés de la personnalité morale et ne consistent plus seulement en simple copropriété de créances. Dans la même logique, le nouveau texte introduit un cadre légal pour les certificats de Sukuk (NDLR : des titres conformes à la charia islamique) qui devraient notamment attirer les investisseurs dans les pays du Golfe.
Réformer la loi suffira-t-il à attirer les investisseurs ?
Un ensemble de dispositions prévues dans la Loi de finances 2013 devrait effectivement encourager les investisseurs. Il est surtout proposé de revoir un ensemble de règles d’allocation d’actifs qui s’imposent, d’une part, aux assurances et banques, et d’autre part, aux OPCVM. Pour les premières, au lieu de considérer un ratio standard dans le cadre de l’investissement dans des titres émis par un fonds en titrisation, il est proposé d’appliquer le principe de transparence par rapport à la catégorie de l’actif sous-jacent. Par exemple, dans le cas de titres adossés à un actif immobilier, c’est le ratio d’allocation en vigueur pour l’investissement immobilier qui devrait être appliqué. Les OPCVM, quant à eux, devraient avoir la possibilité d’investir dans les titres émis par un fonds en titrisation en tant que classe d’actif distincte. Car en l’état actuel des choses, les titres de FCPT sont classés dans la même catégorie d’actifs que les titres émis par les organismes de placement en capital risque (OPCR) et les titres de créances négociables (TCN) dont les émetteurs sont non cotés, le tout étant limité par un ratio d’allocation de 20%. Ces aménagements devraient accorder plus de marge de manoeuvre aux investisseurs qui souhaitent se positionner sur des titres émis par des fonds en titrisation. Dans le même souci de maximiser l’attractivité pour les investisseurs, surtout internationaux, une mesure à l’étude consiste à accorder une exonération d’impôt totale pour les placements réalisés initialement en devises. Sur un autre plan, Maghreb Titrisation lancera une plateforme accessible via notre site internet dont une nouvelle version sera mise en ligne ce début de mois de novembre, qui permettra aux investisseurs de procéder à un pricing des titres.
Mais les investisseurs sont très regardants sur la liquidité des titres. Comment prévoyez-vous de l’encourager ?
La liquidité et les possibilités de refinancement des titres émis par les fonds en titrisation constituent effectivement un point crucial pour les investisseurs. Dans ce sens, nous proposons que ces titres puissent être considérés comme collatéral dans le cadre des opérations de pension, notamment auprès de Bank Al-Maghrib. Un amendement du projet de loi sur les prêts et emprunts de titre est également à l’étude afin que les titres émis par des fonds en titrisation puissent faire l’objet de ce type d’opérations. Mais cela ne doit pas nous dispenser de mener une réflexion globale sur la problématique de la liquidité qui reste le maillon faible du marché secondaire de la dette privée.
Qu’en est-il de l’encouragement des initiateurs d’opérations de titrisation ?
Il s’agit principalement de les faire bénéficier de plusieurs dispositions fiscales. Celles-ci ont été pensées de manière à garantir la neutralité fiscale pour les FCPT et, in fine, les initiateurs d’opérations. Le principe est que les opérations de titrisation ne doivent pas générer un surcoût fiscal pour l’initiateur, à savoir que s’il a payé des impôts sur une créance (TVA, IR, IS, droits d’enregistrement et conservation foncière…), il ne doit pas les repayer au niveau du fonds en titrisation. Cela est d’autant plus nécessaire lorsque l’opération porte sur un actif tangible dont la propriété est transférée par l’initiateur au fonds de titrisation, ce qui est notamment le cas lors d’émissions de sukuks. Dans ce dernier cas de figure, un premier transfert de propriété s’opère de l’initiateur vers le FPCT et une fois que les sukuks sont remboursés, l’actif est retransféré à l’établissement initiateur. Cela peut donner donc lieu à une imposition à l’occasion de chaque transfert, ce qui alourdit les charges de ce mode de financement.
Dans une autre configuration, un établissement initiateur qui cède un actif à un FPCT ne doit pas être imposé sur une éventuelle plus-value, puisqu’il s’agit d’un actif qui est supposé revenir par la suite dans son bilan. Toutes ces opérations devraient être exonérées d’impôts puisque après tout il s’agit d’opérations de financement et non de transfert ou de cession d’actifs. Bien sûr, des garde-fous sont prévus pour éviter l’évasion fiscale en cas de non-retour de l’actif à l’établissement initiateur.
Il s’agit principalement du fait que les exonérations d’impôt ne sont effectivement prévues que lorsque le retour de l’actif titrisé s’opère en faveur de l’initiateur. A côté de la neutralité fiscale, l’autre attrait de la titrisation réside dans son coût qui reste moindre par rapport aux levées obligataires et au financement bancaire, et ce, même en incluant les frais d’arrangement, de placement, de gestion et de notation.
Tout le monde se souvient encore de la crise des subprimes et du rôle qu’a joué la titrisation dans sa propagation. Comment prévoit-on de parer à ces cas extrêmes ?
La nouvelle loi sur la titrisation prévoit notamment la protection des investisseurs contre les risques de faillite des fonds de placement en titrisation. Ces derniers, en accédant à la personnalité morale, profitent de fait des dispositions prévues par la loi en matière de faillite.
Il était donc nécessaire que la nouvelle loi précise bien qu’un fonds en titrisation ne peut pas faire faillite même s’il est créé sous forme de société. D’ailleurs, le nouveau cadre prévoit également d’autres dérogations aux lois actuelles sur les sociétés permettant d’ajuster au mieux le mode de fonctionnement, de gouvernance ou encore la prise de décision au sein des fonds en titrisation constitués sous forme de société.
Quels effets d’entraînement positifs peut-on escompter pour le marché financier avec le développement de la titrisation ?
La titrisation présentera un argument certain pour le Maroc en tant que hub financier africain puisque la plateforme marocaine pourrait être choisie dans le cadre de Casablanca Finance City par des pays pour créer leurs fonds de placement en titrisation, lesquels seront de droit marocain mais dotés en actifs étrangers. L’on peut également anticiper des effets sur la Bourse dans la mesure où les titres émis par des fonds en titrisation pourront être cotés.
Rien n’empêche cela, en tout cas en l’état actuel des choses. L’essentiel sera d’intéresser les investisseurs à ce nouveau placement.